Perception des dividendes en communauté légale : domaine réservé de l’associé !
6 juillet 2016
Vigilance lors des prochaines distributions !
La situation des époux associés est source d’un abondant contentieux. L’occasion pour les tribunaux de préciser l’articulation des règles du droit des sociétés et de celles des régimes matrimoniaux. En témoigne une jurisprudence encore récente, rendue au sujet de la perception des dividendes en communauté légale dans une affaire relativement ordinaire.
Deux époux mariés sous le régime de la communauté légale, acquièrent chacun, par emploi de biens communs1, les parts d’une SARL constituée avant leur mariage. L’épouse en devient associée majoritaire2 mais, quatre années durant, c’est à son mari que la société verse les dividendes qui lui sont dus. Lorsque les époux engagent une procédure de divorce, des difficultés apparaissent dans la liquidation et le partage de la communauté. Dans ce contexte, l’épouse assigne la société, et subsidiairement son mari, en paiement des dividendes qui lui étaient dus3.
Après jugement en première instance, l’épouse est déboutée par la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 9e Ch., 5 septembre 2013 n°13/08324) qui considère la société libérée du paiement des dividendes, son mari étant réputé les avoir légalement perçus pour le compte de la communauté en vertu de l’article 1421 du Code civil (qui pose le principe de gestion concurrente des biens communs). Le litige est alors porté devant la 1re Chambre Civile de la Cour de cassation pour qu’il soit répondu à l’interrogation suivante : les dividendes revenant à l’épouse en sa qualité d’associée pouvaient-ils valablement être perçus par son mari en application du principe de gestion concurrente ? La haute juridiction censure finalement la décision de la Cour d’appel pour manque de base légale, au visa de l’article 1832-2 du Code civil. Elle déduit de cette disposition que «l’associé a seul qualité pour percevoir les dividendes», sauf à démontrer qu’il aurait exprimé son accord pour que ces dividendes soient versés entre les mains de son conjoint (Cass. 1re Civ. 5 novembre 2014 n°13-25.820).
La perception des dividendes, droit exclusivement attaché à la qualité d’associé …
Il s’agit pour la Cour de cassation, de tirer toutes les conséquences de la distinction classique du titre et de la finance, en vertu de laquelle les parts sociales n’entrent pas en nature dans la communauté mais seulement en valeur. En d’autres termes, on distingue le titre d’associé et les prérogatives qui y sont attachées, de la valeur pécuniaire des parts sociales. Une distinction que la 1re Chambre civile avait d’ores et déjà consacrée en affirmant que des parts sociales acquises durant le mariage au moyen de deniers communs forment des biens mixtes dont seule la valeur entre en communauté à l’exclusion des parts elles-mêmes et de la qualité d’associé (Cass. civ. 1re 4 juillet 2012 n°11-13.384).
Au cas d’espèce, les dividendes ayant la nature d’acquêts de communauté (article 1401 du Code civil), la Cour d’appel a semblé considérer que leur perception ne pouvait que relever de cette même communauté. C’est la raison pour laquelle elle a fait appel au principe de gestion concurrente des biens communs issu de l’article 1421 du Code civil, qui confère à chacun des époux le pouvoir d’administrer seul les biens communs, donc de recevoir le paiement de sommes communes (cf. notamment Cass. civ. 1re 31 janvier 2006 n°03-19.630).
La Cour de cassation y voit, quant à elle, une distinction plus subtile. Si le droit aux dividendes appartient bien à la communauté en vertu du droit des régimes matrimoniaux, il en va différemment du droit de percevoir les dividendes qui, lui, est attaché à la qualité d’associé en application des règles du droit des sociétés. Cette précision découle de l’article 1832-2 du Code civil qui permet à lui seul de déterminer le titulaire du droit de percevoir les dividendes. Lorsque l’apport est réalisé par emploi de biens communs, seul celui qui a réalisé l’apport ou réalisé l’acquisition des parts sociales a la qualité d’associé, sauf si le conjoint a notifié son intention d’être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises. De la sorte, la 1re Chambre civile s’inscrit dans le sillage d’une précédente décision rendue par elle le 22 octobre de la même année (Cass. 1re Civ. 22 octobre 2014 n°12-29.265)4.
La qualification de bien commun qui s’attache aux dividendes perçus au cours du mariage (article 1401 du Code civil) pas plus que le principe de gestion concurrente (article 1421 du Code civil), ne sauraient ainsi interférer avec les droits liés à la qualité d’associé de chaque époux. Malgré le principe d’attribution de ces droits à la communauté, la perception des dividendes demeure une prérogative propre à l’associé et c’est pourquoi le paiement réalisé entre les mains de l’époux non associé s’avère irrégulier et n’éteint pas la dette de dividendes de la société.
On perçoit, en filigrane, une volonté de préserver le caractère individuel et exclusif du droit, pour l’époux associé, de percevoir les dividendes. Une orientation d’autant plus compréhensible que la perception des dividendes n’est pas étrangère à la gestion de la société, laquelle est assurément réservée aux associés en titre, qui demeurent libres de percevoir ou non les dividendes. Cette logique se reflète également dans une précédente décision de la 3ème Chambre civile qui considérait, au sujet d’une société civile immobilière, que le passif social ne constitue une dette personnelle que du seul époux associé (Cass. civ. 3e, 20 février 2002 n°99-15.474)5. Nul ne doute en effet que le bénéfice distribuable ou le passif social résultent directement de la gestion sociale, qui se trouve être au seul pouvoir de l’époux associé.
…néanmoins susceptible de délégation sur accord exprès de ce dernier.
Pour répondre à des impératifs pratiques, il demeure toutefois possible de déléguer ce droit de percevoir les dividendes de parts sociales à un époux associé. L’hypothèse d’un époux tiers à la société n’est pas envisagée par cette décision. Mais il n’existe, à première vue, aucune raison de refuser un tel procédé.
A n’en pas douter, cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel très marqué qui tire les pleins effets de la distinction du titre et de la finance pour délimiter les pouvoirs de l’époux associé.
Notes
1 L’épouse n’ayant pu démontrer que les fonds apportés en numéraires étaient propres, les deniers furent considérés comme communs.
2 L’épouse détenant 9 500 parts tandis que son époux n’en détient que 200.
2 Pour un montant d’environ 700 000 euros.
4 L’époux ayant la qualité d’associé en exerce seul les prérogatives et peut, par exemple, vendre les parts acquises pendant le mariage sans l’accord de son ex-conjoint.
5 Ce qui implique, conformément aux articles 1413 et 1418 que ce passif n’est exécutoire que sur les biens communs et les seuls biens propres de cet époux.
Auteur
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés
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