Personnes affiliées à un régime de sécurité sociale étranger : le possible remboursement des prélèvements sociaux français (la jurisprudence de Ruyter)
23 septembre 2015
Les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, etc.) ont un caractère «universel» et frappent tous types de revenus, même non salariaux. Les non-résidents y sont soumis sur leurs revenus fonciers et leurs plus-values immobilières de source française tandis que les résidents fiscaux français y sont soumis sur leurs revenus mondiaux. Cet assujettissement est-il inéluctable ?
La réponse est négative s’agissant des personnes qui relèvent – notamment – du régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou de l’EEE.
Le principe communautaire : une seule législation de sécurité sociale applicable
Dans un souci de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale, les règlements communautaires comportent un principe directeur d’unicité : les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation de sécurité sociale d’un seul Etat membre.
Dans le cas de M. de Ruyter, qui était salarié d’une société néerlandaise ayant son siège aux Pays-Bas, et dont les fonctions de responsable de la négociation de grands contrats à l’étranger lui permettaient de résider en France, la particularité tenait au fait que l’intéressé était résident fiscal français, mais relevait du seul régime de sécurité sociale néerlandais (et donc payait des cotisations sociales aux Pays-Bas).
La question : un résident fiscal français relevant de la législation sociale d’un autre Etat membre doit-il payer les prélèvements sociaux français ?
On entend ici par prélèvements sociaux la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), le prélèvement social et le prélèvement de solidarité.
Or, ces prélèvements sociaux ont une double nature : «impositions de toutes natures» selon le Conseil constitutionnel (décisions n°90-285 DC du 28 décembre 1990 et n°2000-437 DC du 19 décembre 2000), cotisations sociales selon la Cour de cassation (Cass. Soc. 31 mai 2012, n°11-10762).
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que ces prélèvements sociaux – étant affectés directement et spécifiquement au financement de certaines branches de sécurité sociale en France ou à l’apurement du déficit de ces dernières – entraient dans le champ du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale (26 fév. 2015, aff. C-623/13).
Dès lors, les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de l’EEE ne sont pas soumises aux prélèvements sociaux finançant le régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre sur leurs revenus du patrimoine.
Ce faisant, la CJUE applique aux revenus du patrimoine la même conclusion que celle qu’elle avait déjà dégagée pour les revenus d’activité et de remplacement (15 février 2000, aff. 169/98).
M. de Ruyter étant soumis à la sécurité sociale dans l’Etat d’emploi (Pays-Bas), ses revenus ne sauraient être soumis dans l’Etat de résidence (France) aux prélèvements sociaux.
En conséquence, le Conseil d’Etat a déchargé M. de Ruyter des prélèvements sociaux français à raison de ses revenus de source néerlandaise (27 juillet 2015, n°334551).
Une solution applicable aux affiliés d’un régime de sécurité sociale étranger qu’ils soient résidents fiscaux français ou non-résidents
Les règlements communautaires s’appliquent aux ressortissants des Etats membres de l’UE et de l’EEE ainsi que sous certaines conditions, aux ressortissants de pays tiers qui résident sur le territoire d’un Etat membre.
Le critère déterminant est l’affiliation à un régime de sécurité sociale d’un Etat membre sans condition d’exercice d’activité professionnelle. Ainsi, un ressortissant d’un autre Etat membre qui viendrait prendre sa retraite en France tout en restant affilié à son système de sécurité sociale d’origine pourrait se prévaloir de la jurisprudence de Ruyter s’il reçoit des revenus assujettis aux prélèvements sociaux.
Les accords internationaux en matière de sécurité sociale conclus par la France avec un Etats tiers à l’UE ou l’EEE devraient également permettre, lorsqu’ils retiennent le principe d’unicité de la législation sociale (Etats-Unis, Brésil, etc.), aux affiliés d’un régime de sécurité sociale étranger de contester tout assujettissement aux prélèvements sociaux.
Compte tenu de la diversité des situations il est recommandé aux personnes concernées de se rapprocher de leur conseil aux fins de déterminer la seule législation sociale qui leur est applicable.
Les prélèvements sociaux grevant les revenus de toute nature sont concernés
Les règlements communautaires ne font pas de distinction selon la nature des revenus à raison desquels les prélèvements sont acquittés.
Ainsi, les demandes en restitution peuvent porter sur les prélèvements sociaux qui ont grevé :
- les revenus du patrimoine (rentes viagères à titre onéreux, revenus fonciers, etc.),
- les revenus de placement (plus-values immobilières, dividendes, placements à revenu fixe, etc.),
- les revenus d’activité et de remplacement.
Réclamer sans trop tarder
Le Gouvernement s’est engagé à tirer les conséquences des décisions de Ruyter : un montant estimatif des restitutions de l’ordre de 500 millions d’euros a été inscrit dans le programme de stabilité (2015-2018) transmis à la Commission européenne.
Les modalités de remboursement des contribuables n’ayant toujours pas été précisées, il convient, afin d’éviter de subir les effets de la prescription, d’agir sans attendre.
En règle générale, une réclamation doit être présentée avant le 31 décembre de la 2e année suivant la réception de l’avis d’imposition s’agissant des revenus du patrimoine (par exemple, la CSG sur les revenus fonciers de l’année 2012 est contestable jusqu’à la fin de l’année 2015).
En raison de l’ambiguïté de la rédaction du Livre des procédures fiscales s’agissant du délai de réclamation portant sur les prélèvements sociaux ayant grevé les revenus de placement, il existe une incertitude quant à savoir si le délai de droit commun est applicable.
Afin de préserver ses droits, il est conseillé de former une réclamation avant le 31 décembre de l’année suivant celle où le prélèvement a été opéré.
Des intérêts moratoires au taux de 4,80 % par année sont à demander en plus du remboursement.
Auteurs
Vincent Duval, avocat en droit social
Vincent Forestier, avocat en fiscalité directe
Personnes affiliées à un régime de sécurité sociale étranger : le possible remboursement des prélèvements sociaux français (la jurisprudence de Ruyter) – Article paru dans Les Echos Business le 23 septembre 2015
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