Pilier Un : l’OCDE avance
Un rapport d’étape publié par l’OCDE le 11 juillet 2022 invite à faire le point sur l’état d’avancement des travaux sur le Pilier Un.
Le Pilier Un constitue l’un des deux volets de la réforme de la fiscalité internationale envisagés par les nombreux Etats qui contribuent au Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS. L’autre volet est consacré, comme on le sait, à l’établissement d’un système d’imposition minimale des groupes multinationaux dont le taux effectif d’imposition dans certains Etats est inférieur à 15 %.
Le Pilier Un vise à allouer aux « juridictions de marché » et à celles des utilisateurs de technologies numériques (c’est-à-dire aux Etats et territoires – qualifiés de juridictions – dans lesquels un groupe multinational commercialise ses produits ou services ou fournit ses services aux utilisateurs ou sollicite et recueille des données et des contenus auprès d’eux) une fraction du bénéfice mondial consolidé résiduel des groupes multinationaux sur la base du lien (nexus) qui serait caractérisé entre ces groupes et ces Etats.
Le Pilier Un a fait l’objet de nombreuses publications de l’OCDE : un rapport en octobre 2020, plusieurs déclarations dont celle du 8 octobre 2021, décisive pour l’avancement des travaux, et enfin un rapport d’étape du 11 juillet 2022.
On rappellera ici les éléments techniques essentiels du dispositif envisagé avant d’examiner la question du calendrier de son adoption.
Les éléments fondamentaux du Pilier 1
Les éléments fondamentaux du Pilier 1 se rattachent à trois composantes :
- un nouveau droit d’imposition pour les juridictions du marché, portant sur une fraction du bénéfice résiduel calculé au niveau du groupe (ou d’un segment) (Montant A) ;
- un rendement fixe pour certaines activités de distribution et de commercialisation de référence exercées physiquement dans une juridiction du marché, conformément au principe de pleine concurrence (Montant B) ;
- et des processus visant à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale par le biais de mécanismes efficaces de prévention et de règlement des différends.
La déclaration du 8 octobre 2021
Après la publication de deux rapports à très forte dimension technique en octobre 2020 et d’une déclaration du 1er juillet 2021, une nouvelle Déclaration publiée le 8 octobre 2021 est venue préciser les éléments qui ont été acceptés par 137 Etats membres du Cadre inclusif.
Cette déclaration a principalement porté sur la fraction du bénéfice à réallouer et sur le sort des taxes sur les services numériques nationales.
Ainsi, tout en confirmant que le seuil d’entrée dans le champ du dispositif est de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial, et que seules les entreprises multinationales ayant une rentabilité supérieure à 10 % sont concernées, il était précisé, pour la première fois, que la fraction du bénéfice résiduel devant être réallouée aux Etats de marché était de 25 %.
La Déclaration du 8 octobre 2021 prévoyait aussi explicitement que la future convention multilatérale relative à la mise en œuvre du pilier Un imposera à toutes les parties de supprimer toutes les taxes sur services numériques et autres mesures similaires pertinentes à l’égard de toutes entreprises, et de s’engager à ne pas introduire de telles mesures à l’avenir. Les modalités de retrait des taxes sur les services numériques existantes et autres mesures similaires pertinentes seront coordonnées de manière appropriée.
Les travaux conduits en 2022
Depuis cette Déclaration d’octobre 2021, l’OCDE a avancé de façon significative sur les contours techniques du Pilier Un.
L’OCDE a ainsi publié, entre février 2022 et juin 2022, différents documents consacrés à certains aspects du Pilier Un : nexus (lien) et source des revenus, détermination de l’assiette taxable, champ d’application, cas particulier des activités extractives et des services financiers réglementés, ainsi que sécurité juridique.
L’OCDE a également publié le 11 juillet 2022 plusieurs documents faisant état du chemin parcouru depuis octobre 2021 :
- un « Rapport d’étape sur le Montant A du Pilier Un ». Ce rapport procède à une consolidation partielle des travaux réalisés jusqu’à présent et y apporte certains compléments ;
- une « Fiche d’information Montant A » qui fournit une vue d’ensemble du dispositif sur trois pages ;
- un document sur les « questions fréquemment posées » sur le montant A tenant compte du rapport d’étape précité ;
- une note de couverture du Rapport d’étape sur le montant A du Pilier Un.
Eléments de fond
Sur le fond, de nombreuses précisions ont été apportées par les différentes publications récentes de l’OCDE. Sans entrer dans le détail de celles-ci, on peut toutefois noter l’existence de règles spécifiques consacrées au report des pertes. Leur esprit consiste à tenir compte de pertes antérieures réalisées par le groupe dans son ensemble afin d’éviter qu’un groupe qui n’aurait pas épongé ses déficits se retrouve débiteur d’un impôt dans un Etat de marché alors qu’il n’aurait pas réalisé de bénéfice net dans la durée. Le report en avant des pertes serait toutefois limité à dix années civiles. Des règles spécifiques régissent également l’utilisation des déficits antérieurs à la mise en œuvre du montant A.
Les modalités d’élimination de la double imposition créée par le nouveau dispositif sont également précisées. Elles reposent sur l’idée que le montant imposé dans l’Etat de marché ouvrira droit à un allégement fiscal dans différents pays où le groupe réalise ses bénéfices résiduels. L’idée générale du dispositif consiste à partager entre les Etats l’obligation d’éliminer la double imposition selon une clé tenant compte de la rentabilité des activités qui y sont exercées.
Le rapport d’étape du mois du 11 juillet 2022 précise également les circonstances dans lesquelles il devra être procédé à une sectorisation des activités exercées par un groupe multinational. En résumé, il s’agit de faire en sorte que lorsqu’un groupe, pris dans son ensemble, est en-dehors du champ du Pilier Un (par exemple parce que sa rentabilité globale n’atteint pas le seuil de 10 %), il puisse néanmoins y rentrer à raison d’un secteur d’activité qui, lui, atteint à la fois le seuil de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et de 10 % de rentabilité. Ce type de situation devrait rester exceptionnel.
L’incertitude quant au calendrier
L’OCDE a publié le 26 août 2022 dernier l’ensemble des commentaires reçus sur la consultation publique relative au rapport d’étape sur le montant A. Une réunion organisée par l’OCDE et ouverte au public pour échanger sur le contenu de la consultation a eu lieu le 12 septembre 2022.
Les règles relatives à la mise en œuvre administrative du montant A (en ce compris celles relatives à la sécurité juridique offerte aux entreprises multinationales) devraient théoriquement être publiées avant la prochaine réunion du Cadre inclusif relative au montant A qui aura lieu en octobre 2022.
Les travaux portant sur le montant B (rémunération standard pour les activités de distribution et de marketing de routine) devraient, selon l’OCDE, aboutir d’ici à la fin de l’année.
Enfin, l’OCDE envisage qu’une convention multilatérale mettant en œuvre l’ensemble du Pilier Un soit signée dans le courant du premier semestre 2023. Elle entrerait en vigueur en 2024 après ratification par une « masse critique » de juridictions.
Comme indiqué ci-avant, l’entrée en application du Pilier Un entraînera en principe l’abrogation des taxes existantes sur les services numériques. En vertu d’un accord entre les Etats-Unis et un certain nombre d’Etats (dont la France), le montant A dû au titre de la première année d’application du Pilier Un (2024 par hypothèse) servira de base pour évaluer rétrospectivement si la taxe sur les services numériques acquittée en 2022 et 2023 était excessive. L’excédent de la taxe sur les services numériques sur le montant acquitté en vertu du Pilier Un ouvrira alors droit à crédit d’impôt.
Le dynamisme de l’OCDE contraste néanmoins pour l’instant avec les incertitudes quant à la volonté politique réelle d’un certain nombre d’Etats, au premier rang desquels les Etats-Unis, d’adopter le Pilier Un. Il est donc vraisemblable que des taxes sur les services numériques continueront d’être adoptées par certains Etats, autant d’initiatives unilatérales qui constituent précisément ce que l’OCDE souhaite éviter.
De son côté, la commission des affaires économiques et budgétaires du Parlement européen a adressé à la commission des budgets le 26 août 2022 un projet d’avis sur la proposition de décision du Conseil modifiant la décision relative au système des ressources propres de l’Union européenne, projet d’avis qui énonce que « la bonne mise en œuvre de l’accord du Cadre inclusif OCDE/G20 concernant le Pilier Un au niveau international connaît des retards et n’est pas garantie. Il est nécessaire que la Commission et les États membres réévaluent régulièrement la situation et, le cas échéant, présentent une proposition législative visant à introduire une redevance numérique en l’absence de progrès dans la mise en œuvre de l’accord du Cadre inclusif OCDE/G20 concernant le Pilier Un. En tout état de cause, une telle proposition législative devrait être présentée en l’absence de ratification d’une convention multilatérale mettant en œuvre le Pilier Un par une masse critique de pays d’ici au 31 décembre 2025. Cette redevance numérique devrait alors être considérée comme une ressource propre de l’Union ».
Autant dire que de nombreuses incertitudes affectent encore la mise en œuvre effective du Pilier Un.
Article paru dans Option Finance le 19/09/2022