Plus-values de cession de droits sociaux : de riches actualités qui précèdent un changement important
Le régime des plus-values de cession de droits sociaux a fait l’objet de précisions jurisprudentielles et administratives au cours des derniers mois sur divers points repris ci-dessous de manière synthétique. Le sujet n’est pas prêt de se tarir en raison du projet de retour à une imposition proportionnelle telle qu’annoncée par le gouvernement, qui invitera les futurs cédants à bien analyser l’impact de cette modification comparativement aux modalités de taxation dont ils font aujourd’hui l’objet.
1. Démembrement de propriété des titres et remploi du prix
La vente de droits sociaux dont la propriété est démembrée avec remploi du prix dans l’acquisition d’un bien dont la propriété est démembrée conduit à taxer l’intégralité de la plus-value chez le nu-propriétaire. Un arrêt rendu le 11 mai dernier par le Conseil d’Etat1 a apporté d’importantes précisions concernant la détermination du prix de revient à retenir. Dans cette affaire, des enfants avaient acquis par voie de donation de leur père la nue-propriété de titres lorsque leur mère recevait l’usufruit également par voie de donation. Lors de la détermination de la plus-value, les nus propriétaires avaient retenu un prix de revient intégrant les droits de donation qu’ils avaient supportés mais aussi ceux acquittés par leur mère.
La Conseil d’Etat valide ce traitement en considérant que, dans l’hypothèse d’un remploi du prix de cession, le prix d’acquisition doit tenir compte de l’ensemble des frais et taxes ayant grevé l’acquisition. On peut légitimement penser que dans la situation où la vente se dénoue par la perception du prix par l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit (ce qui conduit à l’imposition de la plus-value sur la tête de l’usufruitier), la plus-value devrait de la même manière être déterminée à partir d’un prix de revient tenant compte des frais acquittés tant par l’usufruitier que par le nu-propriétaire.
2. Imputation des moins-values
On sait depuis l’arrêt du Conseil d’État du 12 novembre 2015 (affaire n°390265) que les moins-values s’imputent sur les plus-values avant abattement pour durée de détention et que cet abattement s’applique au solde ainsi obtenu en retenant la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values. On sait également qu’un contribuable disposant de moins-values reportables, qui réalise au titre d’une année des plus-values relevant d’abattements différents, est en droit de choisir sur quelles plus-values il pourra imputer prioritairement les moins-values (de sorte qu’il aura tout intérêt à imputer prioritairement les moins-values sur les plus-values ne faisant pas l’objet d’un abattement ou se voyant appliquer l’abattement le plus faible).
La question restait toutefois posée de savoir si la liberté laissée au contribuable pouvait aller jusqu’à lui permettre de réserver son stock de moins-values au titre d’une année considérée afin de pouvoir l’utiliser au titre des années suivantes. L’administration a récemment fait connaître sa position sur le sujet en indiquant dans une réponse ministérielle2 que selon elle, il n’est pas possible pour le contribuable de différer ainsi l’imputation des moins-values dont il dispose : en cas de réalisation de plus-values au titre d’une année, le contribuable ne peut pas choisir de ne pas imputer son stock de moins-values.
3. Abattement renforcé des jeunes PME
La cession des droits sociaux de jeunes PME bénéficie d’un abattement renforcé3 sous réserve notamment que, conformément à l’article 150-0 D du CGI, ladite PME soit « créée depuis moins de dix ans » et ne soit « pas issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes », cette condition s’appréciant à la date de souscription ou d’acquisition des droits cédés. La question s’est posée de savoir si le fait pour une PME d’acquérir, dans le cadre d’une opération de croissance externe, un fonds de commerce plusieurs années après sa constitution était susceptible de caractériser une « extension ou reprise d’activité » écartant l’application de l’abattement renforcé. A l’occasion d’une récente réponse ministérielle4, l’administration a délivré une réponse rassurante : la condition d’absence de restructuration ou de reprise d’activité s’apprécie à la date de la constitution de la société concernée de sorte que l’acquisition d’un fonds de commerce après sa création ne conduit pas à écarter l’abattement renforcé (sous réserve du respect de l’ensemble des autres conditions du dispositif).
4. Abattement renforcé / dirigeant partant à la retraite
Cet abattement renforcé est subordonné à l’exercice par la société dont les titres sont cédés d’une activité « commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion de son patrimoine mobilier ou immobilier »5. Dans une affaire récente6 concernant le régime applicable avant 2014 (mais qui garde sa pertinence pour le régime actuel, la condition d’activité étant demeurée inchangée), le Conseil d’État a précisé la portée de l’exclusion des sociétés gérant leur propre patrimoine. Cette affaire concernait la situation de contribuables ayant revendiqué le régime de faveur à l’occasion de la cession des titres d’une société qui avait procédé à la mise en location gérance de son fonds de commerce et qui percevait de manière minoritaire (comparativement aux redevances de location-gérance) des produits de valeurs mobilières. L’administration, suivie par les juridictions de première d’instance et d’appel, avait remis en cause l’application du régime de faveur en considérant que la société exerçait une activité de gestion de son propre patrimoine conduisant à l’exclure du régime de faveur. De manière très intéressante, la Haute Juridiction censure l’arrêt d’appel en énonçant :
- d’une part, que la société propriétaire d’un fonds de commerce qui, après l’avoir exploité, le donne en location-gérance, doit être regardée comme poursuivant selon des modalités différentes son activité antérieure. Il en résulte que, dans cette affaire, la mise en location-gérance demeurait neutre vis-à -vis du respect de la condition d’activité ;
- d’autre part, à la lumière des travaux parlementaires, les termes « à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier » doivent être interprétés comme n’excluant du régime de faveur que les sociétés qui exercent une activité financière et dont l’activité principale consiste à gérer leur patrimoine. En d’autres termes, l’exclusion du régime de faveur est réservée aux sociétés exerçant une activité financière qui, en outre, ont pour activité principale la gestion de leur patrimoine, ce qui n’était pas le cas en l’espèce en raison de l’importance que présentaient les redevances de location-gérance par rapport aux produits de valeurs mobilières.
5. Et demain, une imposition proportionnelle
Comme annoncé par le gouvernement, le prochain collectif budgétaire intégrera le retour à une imposition proportionnelle des plus-values, d’un montant de 30% (prélèvements sociaux compris, ce qui, après une hausse de ces derniers à 17,2% comme envisagé, devrait aboutir à un taux d’imposition à l’impôt sur le revenu de 12,8%). Une brève comparaison avec le régime actuel permet de faire ressortir, si l’on retient un taux marginal d’IR de 45%, que l’imposition proportionnelle sera très souvent plus avantageuse. En effet, dans le régime actuel de droit commun, la détention maximale des titres (au-delà de 8 ans) permet au mieux de revendiquer un abattement de 65% en matière d’IR conduisant à un taux marginal de taxation (après prise en compte des prélèvements sociaux actuels à 15,5%) de 31,25%. Le constat est identique concernant les régimes actuels d’abattement renforcé lorsque la durée de détention des titres n’excède pas 8 ans. En revanche, ces régimes en cas de détention des titres depuis plus de 8 ans demeurent actuellement plus avantageux dans la mesure où l’abattement de 85% applicable en matière d’IR conduit à une taxation globale (prélèvements sociaux de 15,5% compris) de 22,25%7. On suivra donc avec attention le processus d’adoption du projet de loi de finances pour 2018, qui pourrait avoir un impact sur le calendrier de réal.
Notes
1 CE, 11 mai 2017, n°402479.
2 Rep. Min. Garriaud-Maylam du 11 mai 2017, JO Sénat, n°22465, p. 1796.
3 50% au-delà d’un an de détention des titres, 65% à partir de 4 ans et 85% au-delà de 8 ans.
4 Rep. Min. Deromedi du 7 septembre 2017, JO Sénat, n°39, p.2806.
5 La société peut aussi avoir pour objet exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités éligibles.
6 CE, 10 mai 2017, n°395897.
7 Etant en outre ajouté que dans le cadre du régime concernant les cédants-dirigeants partant à la retraite, un abattement supplémentaire de 500.000 € est actuellement prévu.
Auteur
Matias Labé, avocat en droit fiscal