Plus-values des sociétés non-résidentes : l’article 244 bis B incompatible avec le droit de l’Union européenne
L’article 244 bis B du CGI, qui instaure un prélèvement sur les plus-values réalisées par les personnes physiques ou morales non résidentes à raison de la cession de titres relevant d’une participation d’au moins 25 % dans une société française soumise à l’impôt sur les sociétés (« IS »), vient de faire l’objet de deux décisions par le Conseil d’Etat et la Cour d’appel de Versailles, qui concluent respectivement à la non-conformité de ce dispositif pour les sociétés ayant leur siège dans l’UE ou dans un Etat tiers.
1.Conseil d’Etat, 10e et 9e ch, 14 octobre 2020, n° 421524, AVM International
Dans sa décision n° 421524 du 28 septembre 2020, AVM International, le Conseil d’Etat juge que le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI, qui est contraire au droit européen en ce qu’il soumet les sociétés établies dans l’UE à une imposition plus élevée que celle qui aurait résulté de l’application du régime des plus-values à long terme (« PVLT »), n’est pas applicable lorsque les titres cédés ont été détenus deux ans par une société européenne, bien que la doctrine administrative prévoie la restitution du différentiel entre le prélèvement et l’impôt sur les sociétés (« IS ») qu’aurait supporté une société française.
Une société de droit italien a cédé le 16 décembre 2011 une participation représentant environ 33 % du capital d’une société française qu’elle détenait depuis plus de 2 ans. Dès lors que la société italienne détenait plus de 25 % des droits financiers dans la société française et que la convention fiscale franco-italienne ne faisait pas obstacle à l’application de ce prélèvement, elle s’est acquittée spontanément du prélèvement de 19 % prévu par les articles 244 bis B et 200 A du code général des impôts (« CGI »). Reste qu’en appliquant un taux spécifique de 19 %, l’article 244 bis B instituait une discrimination contraire au droit de l’UE puisqu’une société française placée dans la même situation aurait été soumise à un taux effectif d’imposition de 3,33 % en application du régime des plus-values à long terme sur titres de participation (exonération à l’exception d’une quote-part de frais et charges qui était alors de 10 %). La société italienne a dès lors demandé la restitution de l’intégralité du prélèvement acquitté. L’administration fiscale a fait partiellement droit à cette réclamation en limitant le dégrèvement au montant prévu par la doctrine administrative , à savoir le différentiel entre le taux de 19 % applicable aux sociétés non-résidentes et le taux de 3,33 % applicable aux sociétés françaises. La société a alors contesté l’absence de dégrèvement intégral, considérant que la non-conformité de l’article 244 bis B du CGI au droit européen devait nécessairement conduire à la restitution de la totalité du prélèvement.
La cour administrative d’appel de Versailles avait annulé le jugement de première instance accordant la restitution, en considérant que si l’article 244 bis B « méconnaît les principes de la liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux reconnus par les articles 49 et 65 du Traité », l’administration fiscale avait fait néanmoins une application de ce dispositif conforme au droit de l’UE. L’arrêt d’appel était manifestement motivé par la volonté de rétablir une égalité entre sociétés européennes et sociétés françaises et d’éviter une discrimination à rebours.
Le Conseil d’Etat annule l’arrêt d’appel et conclut que « s’il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d’exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en donnant à celle-ci, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d’application d’une règle du droit de l’Union européenne, une interprétation qui, dans la mesure où son texte le permet, soit conforme au droit de l’Union, et s’il appartient, le cas échéant, aux ministres, dans l’hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles du droit de l’Union, de donner instruction à leurs services de n’en point faire application, les ministres ne peuvent en revanche trouver dans une telle incompatibilité un fondement juridique les habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient à ces dispositions législatives ».
La décision est intéressante parce qu’elle arrête clairement le principe selon lequel l’administration fiscale ne peut pas, par voie d’instruction, se substituer au législateur afin de corriger la non-conformité d’un texte de loi. L’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 réserve en effet au législateur le soin de fixer les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Si l’administration peut, sous le contrôle du juge, interpréter une loi afin de donner à celle-ci une interprétation conforme avec le droit de l’UE, cette approche pragmatique n’est possible que pour autant que la lettre de la loi permette une telle interprétation reconstructive . En l’occurrence, les termes précis de l’article 244 bis B ne s’y prêtaient pas, car comme le relève le rapporteur public Monsieur Laurent Domingo dans ses conclusions, il n’est pas possible de lire dans un article prévoyant l’application d’une imposition d’une plus-value au taux de 19 % que cette règle peut s’interpréter comme l’application d’un taux d’imposition de 33,33 % sur 10 % de la plus-value en question.
Reste que ce raisonnement aboutit mécaniquement à une situation de « discrimination à rebours » à l’encontre, cette fois, des sociétés françaises. Cette situation avait déjà été observée dans la décision Denkavit International DV du 6 avril 2007 rendue par le Conseil d’Etat . Dans cette affaire, le rapporteur public Madame Claire Landais observait déjà que la solution proposée avait « pour effet paradoxal de créer une petite discrimination à rebours, au détriment cette fois des sociétés mères françaises » puisque la société requérante était totalement déchargée de retenue à la source. Elle relevait toutefois qu’il « n’est évidemment pas question pour vous de limiter en conséquence la restitution à la société Denkavit de la retenue à la source supportée par elle en tentant de la placer théoriquement dans la même situation qu’une société mère résidente ». En effet, le droit de l’UE ne condamne pas une telle discrimination et la Cour de justice de l’UE considère que de telles problématiques doivent être réglées par les juridictions nationales . C’est donc bien au législateur qu’il appartient d’édicter des règles conformes au droit de l’UE ou, à tout le moins, de tirer les conséquences de leur incompatibilité.
2. CAA Versailles, 7e ch, 20 octobre 2020 n° 18VE03012, Runa Capital Fund I LP
Cette décision pourrait par ailleurs être étendue aux sociétés résidentes d’Etats tiers sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux protégée par l’article 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE. La cour administrative d’appel de Versailles a en effet très récemment annulé le jugement n° 17000014 du tribunal administratif de Montreuil du 26 juin 2018 qui avait conclu à l’application du prélèvement de 45 % sur la plus-value réalisée par une société située aux îles Caïmans sur le fondement de la clause de gel prévue par l’article 64 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE. La cour administrative d’appel de Versailles juge que la clause de gel ne trouve pas à s’appliquer dès lors que le dispositif en cause a été introduit par la loi de finances rectificative n° 93-1353 du 30 décembre 1993 entrée en vigueur le 2 janvier 1994. Par suite, la restriction à la liberté de circulation des capitaux ne pouvait pas être réputée exister de manière ininterrompue depuis le 31 décembre 1993 .
3. Conséquences pratiques de ces deux décisions : des réclamations sont envisageables
Les sociétés ayant leur siège dans l’UE pourront désormais se dispenser d’acquitter le prélèvement de l’article 244 bis B. Celles ayant acquitté le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI à compter du 1er janvier 2018 et ayant obtenu le remboursement du différentiel entre le taux de 19 % et le taux effectif d’imposition pourront réclamer la restitution du solde. Au sein de l’UE, les pays concernés sont les pays pour lesquels la convention fiscale autorise l’application du prélèvement, i.e. les pays avec lesquels la France a conclu une convention fiscale contenant une clause dite « de participation substantielle ». En pratique, il s’agit de l’Espagne, de l’Italie, de l’Autriche, de la Suède, de l’Islande, de Malte, de la Bulgarie, de la Hongrie, et de Chypre . Les sociétés établies dans des Etats tiers pourront quant à elles opportunément solliciter la restitution de la totalité du prélèvement acquitté sur la même période.
Il est précisé que pour les prélèvements acquittés au cours de l’année 2018, la réclamation contentieuse devra être envoyée avant le 31 décembre 2020 pour être recevable.
Article paru dans Option Finance le 02/11/2020
[1] BOI-INT-DG-10-30-20120912 n° 110.
[2] En ce sens CE, 30 juillet 2003, n° 245076, Association « Avenir de la langue française ».
[3] CE, 6 avril 2007, n° 235069, Société Denkavit International DV.
[4] En ce sens, CJCE 16 juin 1994, Steen II aff. C-132/93.
[5] CAA Versailles, 20 octobre 2020, n° 18VE03012.
[6] Les pays avec lesquels la France a conclu une convention fiscale contenant une clause de participation substantielle uniquement applicable aux personnes physiques (ex. Pays-Bas) ne sont pas concernés dans la mesure où la situation de discrimination n’existe qu’à l’égard des personnes morales.
Auteurs
Pierre Dedieu, avocat associé en droit fiscal
Remy Lefebvre, avocat en droit fiscal
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