Poursuite du contrat de mission après le décès du salarié remplacé : la requalification en CDI n’est pas automatique
24 mars 2022
Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation tranche la question des conséquences du décès du salarié remplacé sur le contrat de mission conclu de date à date avec son remplaçant, pour considérer que celui-ci doit se poursuivre jusqu’à son terme (Cass. soc., 12 janvier 2022, n°20-17.404).
Cette solution, transposable au contrat de travail à durée déterminée (CDD), est l’occasion de revenir sur les conséquences de la cessation définitive de l’activité du salarié remplacé sur le terme du contrat de mission ou du CDD.
On le sait, la rigidité des règles entourant le CDD peut entrainer, en cas de non-respect, de redoutables conséquences financières.
A cet égard, la détermination du terme du CDD revêt une importance capitale puisque :
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- La rupture du CDD avant son terme à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de rupture anticipée légalement admis (1), permet au salarié d’obtenir des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat (2) ;
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- L’exécution du CDD au-delà de son terme entraine la requalification du CDD en CDI et ouvre droit, pour le salarié, au versement d’une indemnité d’un montant minimal d’un mois de salaire (3). Si le contrat a été rompu, le salarié peut également prétendre au versement d’indemnités de rupture du contrat de travail (indemnité de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, etc.).
Pour mémoire, le contrat à durée déterminée doit en principe comporter un terme fixé avec précision dès sa conclusion (4). Néanmoins, la loi autorise à ne pas fixer de terme précis au contrat lorsqu’il est conclu dans certaines situations.
La cessation définitive de l’activité du salarié remplacé a-t-elle pour effet d’avancer le terme du contrat de mission ou du CDD du salarié remplaçant ?
La réponse à cette interrogation diffère selon que le contrat a été conclu sans terme précis ou de date à date.
CDD conclu sans terme précis : la cessation définitive d’activité du salarié remplacé entraine la rupture du contrat du salarié remplaçant
Certains CDD peuvent être conclus sans terme précis. Tel est le cas du CDD conclu pour remplacer un salarié absent. Le contrat est alors conclu pour une durée minimale et a pour terme la fin de l’absence de la personne remplacée (5).
De longue date, la Cour de cassation a considéré qu’une fois la période minimale écoulée, la cessation définitive d’activité du salarié remplacé entraine de plein droit la fin du CDD conclu avec son remplaçant.
S’agissant de la notion de « cessation définitive d’activité », il a notamment été jugé que :
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- L’invalidité du salarié remplacé, qui n’entraine pas la rupture de son contrat de travail tant qu’il n’est pas licencié pour inaptitude, ne peut s’analyser comme une cessation définitive de l’activité du salarié remplacé (6) ;
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- A l’inverse, la liquidation des droits à la retraite du salarié remplacé (7), son licenciement pour motif économique (8) ou encore son décès (9) sont de nature à entrainer la rupture de plein droit du contrat du salarié remplaçant.
Dans ces dernières hypothèses :
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- Le contrat du salarié remplaçant doit normalement prendre fin à la date de rupture du contrat de travail ou à la date du décès du salarié remplacé. Faisant preuve d’un pragmatisme louable, la Cour de cassation a néanmoins pu refuser la requalification du CDD en CDI lorsque, dans certaines circonstances, l’employeur avait notifié la fin du CDD dans un délai raisonnable après le décès du salarié remplacé (10), ou à tout le moins dès qu’il en avait eu connaissance (11). La prudence commande toutefois de notifier la fin du contrat du salarié remplaçant sans délai.
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- Aucun formalisme ne s’impose à l’employeur pour mettre fin au contrat du salarié remplaçant. Il a d’ailleurs été jugé que l’écrit n’était pas nécessaire, de sorte qu’un simple entretien téléphonique informant le salarié remplaçant de la fin de son contrat de travail est suffisant (12). L’on ne peut toutefois que conseiller à l’employeur de se ménager la preuve de la réalisation de cette formalité et surtout de sa date, d’autant que la charge de la preuve de l’évènement constitutif du terme du CDD et de sa date repose sur l’employeur (13).
CDD conclu de date à date : poursuite du CDD jusqu’à son terme, même en cas de cessation définitive d’activité du salarié remplacé
Force est de constater que la jurisprudence rendue en matière de CDD conclu de date à date, c’est-à-dire avec un terme précis, est bien plus rare.
Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation du 12 janvier 2022, un salarié a fait l’objet de plusieurs contrats de mission au sein d’une entreprise utilisatrice afin de remplacer un salarié absent.
Au cours de son dernier contrat de mission, qui comportait un terme précis, le salarié remplacé est décédé. L’exécution du contrat de mission s’est cependant poursuivie jusqu’au terme de la mission initialement fixé.
Considérant que son contrat de mission aurait dû cesser à la date du décès du salarié remplacé et qu’il était en conséquence lié à l’entreprise utilisatrice par un CDI du fait de la poursuite de son contrat jusqu’à son terme, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes.
Adoptant une position distincte de celle dégagée à propos du CDD conclu sans terme précis, la Cour de cassation a jugé, après avoir relevé que le contrat de mission comportait un terme précis, que « malgré le décès du salarié remplacé, le contrat de mission devait être poursuivi jusqu’à son terme ». La demande de requalification du salarié a donc été rejetée.
Il en résulte que la survenance du décès du salarié remplacé n’a pas pour effet d’avancer le terme du contrat de mission ou du CDD conclu avec un terme précis. Cela signifie donc qu’en dehors des cas de rupture anticipée légalement autorisés, le contrat de mission ou le CDD doit se poursuivre jusqu’à son terme. A défaut, l’employeur s’expose à devoir assumer les conséquences d’une rupture anticipée abusive du contrat de mission ou du CDD.
Notons que l’Administration avait déjà adopté cette position, en considérant qu’en cas de départ définitif du salarié remplacé, le contrat doit se poursuivre jusqu’au terme prévu s’il a un terme précis (14). La solution dégagée par la Cour de cassation dans sa décision du 12 janvier 2022 devrait donc être transposable, à notre sens, à toutes les hypothèses de cessation définitive de l’activité du salarié remplacé.
Dès lors, face à la cessation définitive de l’activité du salarié remplacé par un contrat temporaire, la fixation d’un terme précis ou imprécis de ce contrat sera l’élément déterminant de la poursuite ou non de la relation contractuelle avec le salarié remplaçant.
(1) Le CDD peut être rompu de façon anticipée en cas d’accord des parties, de faute grave, de force majeure, d’inaptitude constatée par le médecin du travail ou lorsque le salarié justifie de la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée (art. L. 1243-1 et L. 1243-2 du Code du travail).
(2) Art. L. 1243-4 du Code du travail.
(3) Art. L. 1245-2 du Code du travail.
(4) Art. L. 1242-7 du Code du travail.
(5) Art. L. 1242-7 du Code du travail.
(6) Cass. soc., 17 décembre 1991, n° 88-42.342.
(7) Cass. soc., 17 décembre 1997, n°95-42.913.
(8) Cass. soc., 20 avril 2005, n°03-41.490.
(9) Cass. soc., 4 février 2009, n°07-42.954
(10) Cass. soc., 4 février 2009, précitée. En l’espèce, l’employeur avait notifié la fin du CDD 6 jours après la date du décès du salarié remplacé en raison de l’absence pour maladie du salarié remplaçant.
(11) Cass. soc., 13 novembre 1990, n°88-40.154.
(12) Cass. soc., 18 septembre 2019, n°18-12.446.
(13) Cass. soc., 13 mai 2003, n°01-40.809.
(14) Circulaire DRT n°90/18 du 30 octobre 1990.
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