Pratique commerciale trompeuse : la déloyauté suppose une altération substantielle du comportement économique du consommateur
Dans un arrêt récent, la Cour de cassation est venue préciser les critères d’appréciation d’une action en concurrence déloyale pour pratique commerciale trompeuse à l’égard du consommateur (Cass. com., 1er mars 2017, n°15-15.448).
Rappelons que le Code de la consommation, qui transpose en droit interne les dispositions de la directive 2005/29 du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, interdit comme telles, les pratiques :
- contraires aux exigences de la diligence professionnelle ;
- et qui altèrent ou sont susceptibles d’altérer le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service (article L.121-1).
Parmi ces pratiques, il identifie en particulier les pratiques trompeuses au nombre desquelles figure la pratique reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, dont l’origine de celui-ci (article L.121-1 2° b devenu article L.121-2 2° b).
Au cas particulier, après avoir cessé la relation commerciale qu’il entretenait avec un fournisseur de savons artisanaux fabriqués à Alep, un fabricant de produits cosmétiques avait commercialisé un autre savon sous la dénomination « savon tradition Alep » fabriqué en Tunisie. Se prétendant victime de concurrence déloyale en raison de cette pratique qu’il estimait trompeuse, le fournisseur évincé avait alors demandé en justice l’interdiction de la commercialisation des savons litigieux et la destruction de leurs emballages sur le fondement de l’article L.121-1 2° b (aujourd’hui L.121-2 2° b) du Code de la consommation.
Le fournisseur avait obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Lyon au motif que l’emballage du savon litigieux, qui présentait de très grandes similitudes avec celui du savon produit à Alep (couleurs, graphisme et éléments descriptifs) et qui comportait le nom Alep en gros caractères alors que la mention « Made in Tunisie » figurait en petits caractères à l’arrière de l’étiquette, était manifestement de nature à induire en erreur les clients sur l’origine du produit. La Cour en avait déduit que la confusion ainsi créée dans l’esprit des consommateurs ou des acheteurs éventuels était constitutive de concurrence déloyale à l’égard du fournisseur de savons d’Alep réellement fabriqués en Syrie.
Ce faisant, la Cour d’appel avait clairement apprécié la pratique commerciale déloyale dénoncée à l’aune des critères jurisprudentiels classiques, dont la création d’un risque de confusion dans l’esprit du consommateur, appliqués en matière de la concurrence déloyale fondée sur l’article 1382, désormais 1240, du Code civil.
La Cour de cassation a censuré cette décision : pour accueillir l’action en concurrence déloyale à raison d’une pratique commerciale trompeuse, la Cour d’appel aurait dû vérifier si les éléments qu’elle avait retenus altéraient ou étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.
En d’autres termes, pour constituer un acte de concurrence déloyale sanctionnable sur le terrain de l’article 1240 du Code civil, il ne suffit pas à une pratique commerciale de figurer sur la liste des pratiques commerciales trompeuses, ni d’être manifestement de nature à induire en erreur le consommateur, encore faut-il que son impact déloyal sur le consentement de ce dernier soit démontré in concreto.
Cette approche est conforme aux termes de l’article 6 de la directive européenne de 2005, insuffisamment transposée en droit interne, selon lesquels pour être trompeuse une pratique commerciale doit :
- être mensongère ou induire en erreur le consommateur moyen ;
- et l’amener ou être susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.
Rappelons à cet égard que l’altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen est entendue par la directive de 2005 comme « l’utilisation d’une pratique commerciale compromettant sensiblement l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l’amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement » (directive 2005/29, article 2, e).
Concrètement, la tromperie sur l’origine du produit ne présentera un caractère déloyal que s’il peut être démontré que cette origine est un critère déterminant et non secondaire du choix du consommateur, ce qui devrait vraisemblablement être le cas s’agissant d’une tromperie sur la provenance du savon d’Alep, dont la réputation paraît tenir tout autant aux qualités intrinsèques du produit qu’au savoir-faire ancestral syrien entourant la fabrication de celui-ci.
Auteur
Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris