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Pratiques anticoncurrentielles : conditions d’imputation de la récidive à la société mère

Pratiques anticoncurrentielles : conditions d’imputation de la récidive à la société mère

Une société mère peut se voir imputer le comportement infractionnel de sa filiale lorsque toutes deux font partie d’une même « unité économique » et forment ainsi une seule et même « entreprise » au sens du droit de la concurrence. A cet égard, il existe une présomption selon laquelle la société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale lorsqu’elle détient celle-ci à 100%.

Dans un arrêt du 5 mars 2015 (aff. jointes C-93/13 P et C-123/13 P), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de reconnaître la possibilité pour la Commission de retenir la circonstance aggravante de récidive à l’encontre d’une société mère lorsqu’une première atteinte au droit de la concurrence a été uniquement sanctionnée dans le chef d’une filiale sans lui avoir été imputée en tant que mère.

En 2007, la Commission avait condamné solidairement une société mère et sa filiale à 100% pour leur participation à une entente sur le marché du caoutchouc chloroprène. Le montant de base de l’amende infligée à la mère avait été sensiblement augmenté au titre de la récidive retenue en raison d’une condamnation antérieure de la filiale pour des pratiques d’ententes.

Le Tribunal de l’Union européenne avait réduit le montant de cette amende, estimant que la société mère ne pouvait pas se voir opposer la récidive : en effet, la mère ne pouvait pas, sans qu’il soit porté atteinte aux droits de la défense, être tenue pour responsable de l’infraction antérieure, pour laquelle elle n’avait pas été sanctionnée par une décision de la Commission et dans le cadre de laquelle elle n’avait pas été destinataire d’une communication des griefs, de sorte qu’elle n’avait pas été mise en mesure de contester l’existence d’une éventuelle unité économique avec sa filiale au moment la commission de cette infraction.

La CJUE censure ce raisonnement en considérant que pour établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la société mère il n’est pas exigé que cette dernière ait fait l’objet de poursuites antérieures, ayant donné lieu à une communication des griefs et à une décision. Ce qui importe est la constatation antérieure d’une première infraction résultant du comportement d’une filiale avec laquelle cette société mère impliquée dans la seconde infraction formait, déjà au moment de la première infraction, une seule entreprise.

Déplaçant le curseur du respect des droits de la défense, la CJUE estime que ce respect n’exige pas que la société mère ait été en mesure, dans le cadre des poursuites diligentées lors de la première infraction, de contester qu’elle formait avec d’autres entités poursuivies une même unité économique. Il suffit que la société mère puisse se défendre au moment où la récidive lui est reprochée.

La CJUE rappelle que c’est la communication des griefs qui constitue la garantie procédurale essentielle à cet égard. La communication des griefs doit donc contenir les éléments justifiant que les conditions de la récidive sont remplies et notamment, que la société mère formait, au moment de la première infraction, une seule entreprise avec sa filiale impliquée dans la première infraction, c’est-à-dire qu’elle exerçait déjà, à cette date, une influence déterminante sur cette filiale.

S’il est déjà extrêmement difficile, pour ne pas dire quasi-impossible, pour les sociétés mères de combattre la présomption d’influence déterminante exercée sur leurs filiales à 100% lorsque l’infraction reprochée est contemporaine, on voit mal comment elles pourront a fortiori le faire lorsque la première infraction invoquée au titre de la récidive remonte à une ou deux décennies. Reste à espérer que, dans ce cas, la Commission prendra en compte, le temps écoulé entre les deux infractions pour apprécier la propension de l’entreprise à s’affranchir des règles de concurrence et moduler à ce titre le montant de la sanction infligée, comme l’y invite à le faire la CJUE.

 

Auteur

Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique.

 

*Pratiques anticoncurrentielles : conditions d’imputation de la récidive à la société mère* – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 13 mars 2015