Pratiques anticoncurrentielles de dimension locale : une nouvelle décision de l’ADLC
La récente décision du 24 septembre 2018 de l’Autorité de la concurrence (ADLC) est l’occasion de revenir sur l’application assez fréquente des dispositions du droit de la concurrence permettant de sanctionner les ententes de dimension locale (article L 464-9 du Code de commerce).
Une revue du site Internet de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) conduit à constater que, depuis 2010, 71 affaires ayant donné lieu à des transactions avec cette administration ont été publiées, ce qui témoigne d’une importante activité en la matière. Par ailleurs, ce serait a priori la cinquième fois que l’ADLC est saisie par le ministre de l’Economie, à la suite d’une non acceptation par l’entreprise concernée de la transaction proposée par la DGCCRF.
Rappelons que pour les pratiques non conformes aux règles encadrant les ententes, les abus de position dominante, les exclusivités d’importation dans les DROM, certaines pratiques dans le transport public de personnes ou les pratiques de prix abusivement bas, qui n’affectent qu’un marché de dimension locale et ne concernent pas des faits relevant du droit européen de la concurrence, le ministre de l’Economie est aussi compétent si ces pratiques sont le fait d’entreprises dont le CA français individuel de chacune est inférieur à 50 millions d’euros et le chiffre d’affaires cumulé de toutes inférieur à 200 millions d’euros. Il peut alors notamment enjoindre aux entreprises de cesser de telles pratiques et/ou leur proposer de transiger, sans que le montant maximal de la transaction ne puisse excéder 150 000 euros ou 5% de leur chiffre d’affaires si ce dernier est plus faible. Le ministre n’est toutefois compétent que pour autant que l’ADLC n’est pas elle-même déjà saisie de l’affaire.
En l’espèce, l’ADLC avait été saisie par la DGCCRF après le souhait d’une entreprise de ne pas transiger avec la DGCCRF pour des faits d’ententes liées à la passation de marchés d’éclairage public dans le département de l’Ardèche. Les trois autres entreprises impliquées avaient pour leur part donné une suite favorable à la proposition de transaction fin 2016.
Les faits reprochés consistaient notamment en la mise en place avec un concurrent d’un groupement fictif car non justifié par des considérations techniques ou économiques, en des échanges d’informations avec ce même concurrent en vue de l’établissement d’offres de couverture et en la demande et l’utilisation de devis de complaisance.
Alors que trois griefs avaient été notifiés à l’entreprise concernée, l’ADLC a rappelé qu’elle peut prononcer autant de sanctions que de griefs ou n’infliger qu’une sanction unique pour plusieurs infractions, ce qu’elle a fait en l’espèce. De manière classique, l’ADLC est revenue sur la gravité des pratiques visant à fausser les procédures d’appels d’offres publics en raison notamment de leur caractère secret et de leur but de contournement du processus même de mise en concurrence. Par ailleurs, en ce qu’elles affectent les collectivités publiques dans le cadre de leur mission de service public, l’ADLC a estimé que ces pratiques emportent un caractère de gravité supplémentaire.
Toutefois, au titre du « dommage à l’économie », constituant un des trois piliers de la sanction au sens de l‘actuel article L464-2 du Code de commerce, l’ADLC a justement pris en considération certains éléments atténuants, comme le faible montant du marché ou la conscience par la commune concernée que les devis étaient de couverture.
Si conformément à sa pratique décisionnelle, l’ADLC n’a pas précisément à chiffrer le dommage à l’économie, on notera les considérations factuelles qui l’ont conduite à le qualifier de limité. Certes, elle rappelle que le dommage à l’économie ne se confond pas avec le préjudice des victimes, mais son analyse semble l’avoir amenée, en l’espèce, à tenir compte des effets des pratiques à l’égard des collectivités, pouvant donner à penser que la frontière entre l’examen du dommage à l’économie et celui du préjudice des victimes peut être délicate à cerner.
A ce propos, dans le cadre du projet de loi Pacte, a été adopté le 15 septembre 2018, un amendement n°2029 qui autorise le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la future directive (dite ECN+) visant à doter les autorités de concurrence des Etats membres de nouveaux moyens d’appliquer de façon encore plus efficace le droit de la concurrence, et à prévoir diverses nouvelles mesures dans le droit français de la concurrence. Parmi celles-ci, est envisagée la disparition de la notion de dommage à l’économie comme un des trois paramètres de détermination de la sanction, en raison notamment de son risque de confusion avec le préjudice des victimes.
Enfin, au titre de l’individualisation de la sanction, l’ADLC a dans cette affaire pris en compte les difficultés financières de l’entreprise pour réduire le montant de la sanction. Eu égard aux infractions constatées, elle a aussi prononcé une mesure de publication de la décision dans la presse locale.
Auteur
Denis Redon, avocat associé, droit douanier et droit de la concurrence