Préavis de rupture versus rupture immédiate en application de la clause résolutoire
Dans un arrêt rendu le 8 novembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère « qu’il résulte des dispositions [in fine] de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce que la gravité du comportement d’une partie à une relation commerciale autorise l’autre partie à y mettre fin sans préavis […] peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle […] » (Cass. Com., 8 novembre 2017, n°16-15.296).
Rappelons en effet que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce pose un principe et une exception. D’une part, la rupture d’une relation commerciale établie doit être précédée d’un préavis adapté, principalement à la durée de la relation. D’autre part, c’est seulement en cas d’inexécution d’une obligation prévue ou non par la clause résolutoire, mais dont la gravité est rapportée, qu’il peut être dérogé à ce principe par une résiliation immédiate et de plein droit.
En l’espèce, un fournisseur (de steaks hachés surgelés) avait conclu un contrat d’approvisionnement avec une société, centrale de référencement des sociétés d’un groupe de la grande distribution alimentaire. Après avoir procédé à un retrait préventif des produits du fournisseur et avoir fait analyser des échantillons de ces produits, la centrale avait résilié le contrat sans signifier de préavis. Elle avait invoqué à cet effet des réclamations de consommateurs, des défauts graves et des non-conformités aux spécifications contractuelles et réglementaires. Or, de tels manquements ne faisaient pas partie des hypothèses de résiliation immédiate limitativement prévues par la clause résolutoire dudit contrat.
S’estimant victime d’une rupture brutale de leur relation commerciale, le fournisseur avait assigné la centrale de référencement en paiement de dommages-intérêts, notamment sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce. Selon lui, la résiliation immédiate ne pouvait être prononcée que pour des manquements contractuellement définis, à savoir « en cas de manquements graves pouvant générer un risque pour la santé et/ou la sécurité des consommateurs ». Hormis les cas précis de risques pour la santé et la sécurité des consommateurs, tous autres manquements graves n’auraient pas pu constituer une cause de résiliation immédiate. L’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce in fine ne pouvait donc être invoqué par l’auteur de la rupture pour sa défense.
La Cour de cassation a rejeté ce raisonnement car l’article L.442-6, I, 5° in fine du Code de commerce énonce uniquement que « les dispositions qui précédent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
En constatant qu’un aménagement contractuel qui viendrait limiter la faculté de résilier un contrat en cas de manquement d’une gravité certaine est sans effet, l’arrêt rendu par la Cour de cassation vient s’inscrire dans la droite ligne d’une jurisprudence déjà bien établie. En effet, dans un précédent arrêt datant du 25 septembre 2007 (Cass. com., 25 septembre 2007, n° 06-15.517), la chambre commerciale avait posé le principe qu’il ne peut pas être fait obstacle aux dispositions d’ordre public de l’article L.442-6, I, 5° par des clauses permettant une rupture sans préavis dès lors que l’inexécution du contrat n’a pas un degré de gravité suffisant.
Par conséquent, la Cour vient rappeler que la rupture sans préavis d’une relation commerciale établie n’engage pas la responsabilité de son auteur dans le cas d’une inexécution, de la part de l’autre partie, présentant un degré de gravité suffisant. Toutefois, il convient de relever que cet arrêt portait sur un contrat gouverné par les dispositions antérieures à la réforme du droit des contrats. Il conviendra d’être attentif à l’avenir de cette jurisprudence quant à son articulation avec les nouveaux articles 1224 et suivants du Code civil qui disposent notamment que la clause résolutoire doit préciser les « engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat » et ont légalisé la résolution unilatérale pour juste motif.
Auteurs
Francine Van Doorne, avocat Counsel, droit commercial et droit de la distribution
Benjamin Benezeth, juriste, droit des contrats et protection des données personnelles