Précisions rédactionnelles concernant la clause d’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération du salarié
15 mai 2024
Les règles françaises en matière de droit aux congés payés ont récemment occupé le devant de l’actualité, à la suite de la révolution engendrée par les arrêts du mois de septembre 2023 (1) et de la toute récente réponse législative (2).
Alors que de nombreuses entreprises sont forcées de réévaluer la gestion des congés de leurs salariés suite à ces évolutions, un arrêt rendu le 29 novembre dernier (Cass. soc., 29 novembre 2023, n°22-10.494) est l’occasion d’un rappel sur la rédaction des clauses portant inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération versée au salarié.
Dans l’affaire en question, une salariée, a été embauchée initialement sans contrat de travail écrit par un ophtalmologue, puis par un contrat à durée déterminée cette fois-ci écrit qui a, par la suite, été renouvelé.
Dans le cadre de ses différents contrats écrits, une clause précisait que la rémunération de la salariée correspondait à «18 euros bruts de l’heure congés payés inclus sur une base de 30 heures par semaine, 40 semaines par an, soit 1200 heures par an, et 100 heures par mois». En outre, il était contractuellement prévu des congés d’une durée totale de 12 semaines.
Suite à son licenciement en 2017, la salariée avait saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour solliciter, outre la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, des rappels de salaire au titre de l’indemnité de congés payés.
Les juges de la cour d’appel de Versailles ont fait droit à sa demande et jugé que la clause contractuelle précitée, mentionnant l’inclusion des congés payés dans la rémunération horaire de la salariée, lui était inopposable dès lors qu’elle ne répondait pas aux exigences requises à défaut de déterminer le taux horaire hors congés payés.
L’employeur, condamné à verser un rappel de salaire au titre de l’indemnité de congés payés, s’est pourvu en cassation, en considérant que la clause était, au contraire, transparente, compréhensible et donc parfaitement opposable à la salariée.
Insensible à ces arguments, la Cour de cassation a confirmé son exigence d’une rédaction «transparente et compréhensible» de la clause, en précisant que cela «suppose que soit clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés, et que soit précisée l’imputation de ces sommes sur un congé déterminé, devant être effectivement pris».
Cet arrêt est ainsi l’occasion de revenir sur les exigences jurisprudentielles qui doivent guider les employeurs souhaitant inclure l’indemnité de congés dans la rémunération mensuelle de leurs salariés.
L’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération est possible sous conditions
L’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération du salarié n’est admise qu’à certaines conditions et, en premier lieu, sous réserve que des « conditions particulières » justifient une telle pratique.
Les modalités d’exercice spécifiques à certaines professions ont parfois conduit les partenaires sociaux à prévoir cette inclusion (ex. les travailleurs à domicile ou les VRP).
Plus généralement, la Cour de cassation a jugé que le caractère intermittent ou irrégulier du travail pouvait caractériser de telles conditions particulières d’emploi (Cass. soc., 13 janv. 1988, n°87-40.619).
De même, la fermeture de l’entreprise au-delà de la durée légale des congés annuels a été admise comme une hypothèse pouvant autoriser les parties à convenir d’une telle inclusion (Cass. soc., 4 juin 1998, n°96-41.441).
Outre l’existence de conditions particulières justificatives, l’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire doit également :
-
- faire l’objet d’un accord écrit entre les parties ;
-
- et ne doit pas pénaliser le salarié, en conduisant à un résultat moins favorable que la stricte application des dispositions légales (Cass. soc., 2 juill. 2014, n°12-25.752).
Une quatrième condition a, par la suite, progressivement fait son apparition, sous l’influence de la jurisprudence européenne.
En effet, selon l’interprétation de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), au regard de la nature du droit aux congés payés, l’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire du salarié suppose que le salarié bénéficie d’une information complète et claire à ce sujet.
Interprétant la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et plus particulièrement son article 7 relatif au congé annuel, la CJUE a, ainsi, jugé dans un arrêt du 16 mars 2006 (C-131/04 et C-257/04) :
-
- qu’il est possible de prévoir que des sommes complémentaires au salaire et payées à titre d’indemnisation du congé, soient imputées sur le paiement d’un congé déterminé et effectivement pris ;
-
- sous réserve d’être prévues de manière transparente et compréhensible.
Sous ces réserves, la CJUE a jugé que ces sommes peuvent être réglées sous la forme de versements partiels étalés sur la période annuelle et payés avec la rémunération du travail effectué.
La Cour de cassation s’est, par la suite, appuyée sur cette décision pour renforcer les conditions d’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire.
A l’occasion d’un arrêt de principe en 2013, elle a repris à son compte l’exigence de transparence et de caractère compréhensible des clauses du contrat de travail procédant à l’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération (Cass. soc., 14 nov. 2013, n°12-14.070).
Depuis cet arrêt, la Cour de cassation a eu, à plusieurs reprises, l’occasion de se prononcer sur la validité de telles clauses au regard de l’exigence de clarté précitée. A titre d’exemple ont été jugées inopposables :
⇒ la clause stipulant que «la rémunération dans toutes ses composantes a un caractère global et couvre tous les aspects de son activité, quel que soit le temps qui lui est consacré ; elle inclut également la rémunération de la totalité des congés payés afférents à la période de référence légale» (Cass. soc., 14 nov. 2013, n°12-14.070) ;
⇒ la clause stipulant «cette rémunération variable s’entend congés payés inclus» (Cass. soc., 13 oct. 2021, n°19-19.407) ;
⇒ les avenants annuels de fixation du taux des commissions : «les taux des primes ont été établis compte tenu des vacances légales et comprennent l’indemnité de congés payés éventuellement applicable» (Cass. soc., 4 déc. 2019, n°17-31.252).
La solution de l’arrêt de novembre 2023 ne fait ainsi que confirmer l’exigence de ce double critère de transparence et de compréhensibilité pour que la clause prévoyant l’inclusion des congés payés dans la rémunération puisse recevoir application.
En l’espèce, la clause litigieuse «se bornait à mentionner que la rémunération horaire incluait les congés payés, sans que soit distinguée la part de la rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés ». «N’éta[n]t ni transparente ni compréhensible [elle] ne pouvait être opposée à la salariée».
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Des exigences rédactionnelles justifiées par la nature du droit aux congés payés
Un tel niveau d’exigence dans l’information du salarié répond à la conception européenne du droit aux congés.
Droit fondamental permettant de garantir la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, la CJUE juge régulièrement que son effectivité doit être garantie par les Etats membres ( CJCE, 26 juin 2001, C-173/99).
En droit interne également, le droit aux congés est associé à l’objectif de protection de la santé et de la sécurité des salariés : la prise d’un congé annuel minimum rémunéré est en principe obligatoire, sans pouvoir être remplacée par le versement d’une indemnité (Cass. soc., 13 juin 2012 n°11-10.929).
Les pratiques qui risquent de décourager les salariés de prendre leurs congés sont dès lors examinées avec attention par les juges européens et nationaux.
C’est notamment à l’aune de ce principe d’effectivité du droit aux congés payés que la Cour de cassation a justifié la solution rendue dans l’arrêt de 2013 : «le paiement d’une somme en même temps que le salaire sans autre précision risque de conduire à des situations décourageant la prise effective de ce congé» (Rapport annuel de la Cour de cassation de 2013).
Dans son avis accompagnant la publication de l’arrêt du 29 novembre 2023, l’avocat général référendaire avait également invoqué le risque que le salarié soit dissuadé de prendre ses congés en cas d’inclusion de l’indemnité versée au titre de ces congés dans sa rémunération mensuelle.
Après avoir souligné que l’indemnisation du congé ne peut suppléer le repos effectif du salarié, il justifiait l’inopposabilité de la clause d’inclusion insuffisamment claire par le risque pour le salarié de «conduire sinon à une spirale de travail ininterrompu, à tout le moins à une désincitation à la prise des repos nécessaires à la santé du salarié et à la bonne marche de l’entreprise dans le long terme», en particulier dans une situation d’évolution des prix plus rapide que celle des salaires (Avis de M. Halem, Avocat général référendaire, p. 8).
C’est à la lumière de cet enjeu que les clauses concernées doivent inclure un certain niveau de précision, pour permettre au salarié de comprendre sans équivoque possible qu’ayant déjà perçu l’indemnité de congés payés il ne la percevra pas lors de la prise effective du congé.
Le caractère plus favorable du droit aux congés ne dispense pas du devoir de transparence et de clarté
La question de l’application de ces principes dans l’hypothèse où le salarié bénéficie d’un droit aux congés plus favorable que le régime légal pouvait se poser.
Ainsi, dans l’affaire en question l’employeur arguait du fait que la rédaction de la clause n’avait, en tout état de cause, pas empêché la salariée de bénéficier d’un droit aux congés payés plus favorable que le régime légal.
Il invoquait ainsi le fait :
⇒ que la salariée avait effectivement été en mesure de bénéficier de ses congés payés et que la durée de ces congés était supérieure au minimum légal ;
⇒ que le montant de sa rémunération mensuelle, à hauteur de 1.800 euros bruts, correspondait à un montant de rémunération supérieur aux minima fixés par la loi et par la convention collective du personnel des cabinets médicaux.
La Cour de cassation a toutefois rejeté cet argumentaire en rappelant que la rémunération de la salariée était lissée sur douze mois, y compris pendant les douze semaines de fermetures du cabinet médical.
La situation était donc un peu différente de l’hypothèse traditionnelle d’une clause portant inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération versée au salarié, hypothèse dans laquelle le salarié ne perçoit aucune indemnité ou rémunération pendant ses congés.
Selon la Cour, il n’était néanmoins pas possible de considérer que la rémunération versée pendant les périodes de congés correspondait à l’indemnité de congés payés puisqu’en pratique, elle correspondait au paiement des heures de travail effectif lissée sur douze mois.
Dès lors, peu importait le fait que cette rémunération soit supérieure aux minima légal et conventionnel applicables : la salariée était donc en droit de réclamer un rappel d’indemnité de congés payés.
Le caractère plus favorable du droit aux congés conventionnel et/ou contractuel dont bénéficient les salariés par comparaison avec le régime légal n’est donc pas de nature à dispenser les employeurs de leur obligation d’une information claire sur la distinction entre :
-
- la part versée correspondant à la rémunération du travail ;
-
- et la part versée correspondant à l’indemnisation du congé.
Quelle rédaction retenir ?
Selon la Cour de cassation il est nécessaire que soit «clairement distinguée la part de rémunération qui correspond au travail, de celle qui correspond aux congés» ( Cass. soc., 22 mai 2019, nº17-31.517 ; Cass. soc., 13 oct. 2021, nº19-19.407).
A cet égard, il est utile de préciser que cette distinction est nécessaire, qu’il s’agisse de la rémunération fixe du salarié ou de la rémunération variable.
Ainsi, la clause qui stipule une rémunération variable d’un montant de 50.000 euros bruts et précise que «cette rémunération variable s’entend congés payés inclus» constitue, selon la Cour, une clause qui n’est ni transparente ni compréhensible et qui n’est donc pas opposable au salarié (Cass. soc., 13 oct. 2021, n°19-19.407).
En accord avec la jurisprudence européenne, la Cour de cassation exige également d’inclure des précisions utiles sur le fait que la part qui correspond aux congés est imputée sur un congé déterminé et qui doit effectivement être pris (Cass. soc., 22 mai 2019, n°17-31.517).
A notre sens, il convient donc de bien distinguer dans la rédaction de toute clause de rémunération portant inclusion de l’indemnité de congés payés :
-
- la part relevant de la rémunération proprement dite ;
-
- et la part relevant de l’indemnité de congés payés (notamment en faisant référence à des pourcentages).
Devrait également être précisé, selon nous, le fait que la part correspondant à l’indemnité de congés payés s’impute sur tel congé déterminé (ex. les congés payés acquis au titre de la période de référence en cours), qui devra effectivement être pris par le salarié.
Si la Cour de cassation avait jugé, par le passé, que l’absence de mention de l’indemnité de congés payés sur le bulletin de paye n’avait pas d’incidence en présence d’un accord des parties sur l’inclusion de l’indemnité de congés payés (Cass. soc., 19 octobre 1988, nº86-43.100), il nous semble toutefois nécessaire de faire figurer cette distinction sur le bulletin de paye afin de pouvoir démontrer la réalité de l’indemnisation des congés du salarié.
Le nouveau régime issu de la loi du 22 avril 2024 consacrant, sous certaines limites, l’acquisition de congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie ou accident est une occasion de revoir l’ensemble des pratiques internes en matière de congés payés et donne notamment aux entreprises l’opportunité de revoir la rédaction des clauses contractuelles prévoyant l’’inclusion de l’indemnité de congés payés dans la rémunération.
Auteurs
Raphaël Bordier, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre AvocatsÂ
Marie Leclerc, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340, n°22-17.638 et n°22-10.529
(2) Loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole
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