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Précisions sur le délai de contestation de l’avis d’inaptitude du médecin du travail

Précisions sur le délai de contestation de l’avis d’inaptitude du médecin du travail

Aux visas des articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du Code du travail, la Cour de cassation précise que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l’encontre d’un avis d’aptitude ou d’inaptitude rendu par le médecin du travail, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.

 

Le cadre juridique

Le médecin du travail est souvent amené à rendre des avis, des propositions, des conclusions écrites ou indications (ci-après résumés sous le mot avis) reposant sur des éléments de nature médicale.

Ils sont parfois accompagnés de propositions de mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou de mesures d’aménagement du temps de travail (1)(2). Les avis d’inaptitude font l’objet d’un contentieux abondant.

 

En pratique, la mise en œuvre de ces avis pose des difficultés pouvant notamment résulter du coût élevé qu’engendrent les aménagements pour l’employeur, d’obstacles matériels à leur mise en œuvre ou encore de l’impact que pourraient avoir ces aménagements sur l’activité des autres salariés.

De son côté, un salarié peut contester les avis du médecin du travail notamment lorsque ce dernier le déclare inapte alors que selon le salarié des aménagements de son poste pourraient lui permettre de reprendre son travail et de conserver leur emploi.

 

D’après Emmanuelle Wurtz, avocate générale à la Cour de cassation, le contentieux relatif aux contestations des avis du médecin du travail met en évidence leurs enjeux sur la vie du contrat, les difficultés pratiques et les coûts générés par certains d’entre eux (3).

Le régime juridique des contestations des avis du médecin du travail a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives et réglementaires qu’il semble utile de rappeler.

 

Avant la loi du 8 août 2016

Aux termes des dispositions des anciens articles L. 4624-1 et R. 4624-34 à R. 4624-36 du Code du travail, la contestation des avis du médecin du travail relevait de la compétence de l’inspecteur du travail et les recours devaient être effectués dans un délai de deux mois suivant l’avis du médecin du travail.

 

Cette procédure était jugée peu adéquate, pour plusieurs raisons :

 

    • d’une part, tant l’absence de compétences médicales de l’inspecteur du travail que la durée du délai de recours – considéré trop long – rendaient la procédure de contestation des avis du médecin du travail inadéquate ;
    • d’autre part, l’éclatement du contentieux entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire résultant de ce régime complexifiait et rallongeait la procédure de contestation.

 

Après la loi du 8 août 2016

Dans un objectif de simplification, la procédure de recours contre les avis émis par le médecin du travail a été modifiée par la loi du 8 août 2016 (4), le décret du 27 décembre 2016, relatif à la modernisation de la médecine du travail, puis par les ordonnances dites « Macron » du 20 décembre 2017.

La procédure de contestation des avis du médecin du travail s’en est trouvée bouleversée sur de nombreux points. L’objet principal de la loi du 8 août 2016 a été de transférer le contentieux des avis d’inaptitude au conseil de prud’hommes statuant en la forme des référés dans un premier temps, puis selon la procédure accélérée au fond aujourd’hui.

 

Désormais, les contestations introduites depuis le 1er janvier 2017 relèvent de la seule compétence du conseil de prud’hommes. En outre, depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail et le décret du 10 mai 2017, portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail (5), les décisions du conseil de prud’hommes se substituent aux avis contestés.

 

Ce changement d’acteurs et la portée de la décision des conseillers prud’homaux n’ont pas manqué de susciter de vives contestations.

En effet, il a été souligné que le juge prud’homal ne disposait pas de plus amples connaissances médicales que l’inspecteur du travail. Toutefois, et afin de pallier cette carence, le texte offre la possibilité de désigner un médecin-inspecteur du travail afin de solliciter son avis (6).

Bien qu’utile, cette mesure qui reste facultative, conduit cependant à un rallongement inévitable de la procédure de contestation et se heurte, par ailleurs, à une pénurie de médecins-inspecteurs du travail.

S’agissant du champ de la contestation, les articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du Code du travail prévoient que l’employeur et le salarié peuvent contester « les avis, les propositions, les conclusions écrites ou les indications émises par le médecin du travail ».

 

Le ministère du travail, dans son « Questions-Réponses du 26 octobre 2020 » cantonne cependant ces contestations aux écrits du médecin du travail « reposant sur des éléments de nature médicale » (7).

Sont ainsi exclus de l’horizon de la contestation selon le ministère, les éléments relatifs à l’origine professionnelle de l’inaptitude, les contestations sans lien avec l’état de santé du salarié ou encore celles tenant au déroulement de la procédure d’inaptitude.

 

Adoptant une autre position, la Cour de cassation, dans un avis du 17 mars 2021, a indiqué que le conseil de prud’hommes pouvait, lors d’un litige relatif à une contestation d’un avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail, examiner les éléments de toute nature sur lesquels ce dernier s’est fondé pour rendre l’avis (8).

 

Ainsi, les conseils de prud’hommes, saisis d’un tel recours, pourront examiner l’ensemble des éléments de nature médicale, factuels, matériels, juridiques ou encore économiques.

 

Enfin, le recours contre les avis du médecin du travail s’effectue désormais dans un délai de quinze jours à compter de leur notification, devant le conseil de prud’hommes et selon la procédure accélérée au fond.

Malgré plusieurs décrets d’application, de nombreuses zones d’ombre persistent quant à la procédure de contestation des avis du médecin du travail. L’apport de la jurisprudence, au fil des contentieux, offre des éclaircissements indispensables à sa compréhension.

 

C’est notamment concernant le délai de recours de quinze jours, que de nombreuses interrogations ont émergé.

 

Passant de deux mois à quinze jours, la réduction, depuis le 1er janvier 2017, du délai de contestation des avis du médecin du travail a soulevé la question fondamentale de son point de départ. Une attention certaine doit être portée au point de départ de ce délai de recours en raison du risque accru de forclusion de l’action des parties, consécutif à la réduction de la fenêtre temporelle de contestation.

À cet égard, la Haute Cour a apporté une précision importante dans un arrêt du 16 juin 2021. Elle a indiqué que devait être entendue comme la « notification de l’avis du médecin du travail faisant courir le délai de recours de quinze jours », la date de réception de l’avis par les parties lorsque celui-ci a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception (9).

 

Par un nouvel acte de jurisprudence, la Cour de cassation a apporté, le 2 mars 2022 (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-21.715), des précisions sur la question du point de départ du délai de contestation des avis du médecin du travail.

 

L’affaire

Dans cette affaire, un salarié a été déclaré inapte à son poste d’aide-soignant dans le cadre d’une unique visite de reprise du 13 novembre 2018. L’avis d’inaptitude précisait que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, dispensant ainsi l’employeur de son obligation de reclassement.

Le 29 novembre 2018, soit 16 jours plus tard, le salarié saisissait le conseil de prud’hommes d’Arles, en la forme des référés, aux fins de contester l’avis d’inaptitude établi par le médecin du travail et de demander l’organisation d’une mesure d’instruction.

N’obtenant pas gain de cause, l’affaire est présentée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Confirmant l’ordonnance rendue par le conseil de prud’hommes, celle-ci a déclaré irrecevable le recours du salarié.

 

En l’espèce, selon les juges du fond, cette prise de connaissance s’était manifestée à l’égard du salarié par la remise de l’avis d’inaptitude qui lui avait été faite le 13 novembre 2018, soit à l’issue de la visite par le médecin du travail. Dès lors, et toujours selon les juges du fond, la demande du salarié, enregistrée le 29 novembre 2018, était forclose en raison de l’inobservation du délai de quinze jours dont il disposait.

Contestant cette décision, le salarié s’est pourvu en cassation en soutenant avoir été simplement informé du sens de la décision du médecin du travail mais sans en avoir reçu notification au titre de l’article R. 4624-45 du Code du travail.

La décision de la cour d’appel est censurée par la Cour de cassation aux visas des articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du Code du travail dans leur rédaction applicable au litige.

 

Selon la Haute Cour, il résulte de ces textes que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l’encontre de l’avis d’inaptitude, la remise en main propre de l’avis devait être faite contre émargement ou récépissé.

 

Quel impact dans la pratique ?

Cet arrêt n’instaure pas une obligation de remise en main propre de l’avis d’inaptitude au salarié ou à l’employeur.

En effet, aucun texte n’impose au médecin du travail un mode de délivrance particulier pour faire courir le délai de recours. L’article R. 4624-55 du Code du travail précise à cet égard que la remise de l’avis au salarié et à l’employeur se fait « par tout moyen leur conférant une date certaine ». La remise en main propre de l’avis d’inaptitude est donc un moyen parmi d’autres.

 

La précision apportée ici concerne le point de départ du délai de 15 jours dans l’hypothèse où la remise a été faite en main propre par le médecin du travail. En pareille hypothèse, il est nécessaire d’identifier avec précision le point de départ du délai de 15 jours, raison pour laquelle l’émargement ou le récépissé demeure nécessaire.

 

En effet, le médecin du travail, à l’issue d’une visite de reprise, n’émet pas seulement un avis sur l’aptitude du salarié à son poste, mais délivre l’acte ouvrant le délai de recours.

 

Le non-respect de ce formalisme par le médecin du travail aura pour conséquence de ne pas faire courir le délai de quinze jours en raison de l’impossibilité de déterminer avec certitude son point de départ, ce qui créé une situation d’insécurité juridique aussi bien pour l’employeur que pour le salarié.

Il est donc important de faire émarger le salarié et l’employeur lorsque la remise s’effectue en main propre et de conserver l’accusé de réception lorsque l’envoi de l’avis se fait par courrier recommandé.

C’est au prix du respect de ce formalisme qu’employeur et salarié pourront envisager plus sereinement cette question et savoir si la situation du salarié, telle qu’envisagée par le médecin du travail, est figée ou si elle peut encore faire l’objet d’une contestation.

 

Article publié dans la revue LEXBASE Hebdo Edition Sociale n° 901 du 7 avril 2022

 

(1) C. trav., art. L. 4624-3
(2) C. trav., art. L. 4624-4
(3) Contentieux du travail – Le contentieux des avis du médecin du travail : regards croisés, Entretien avec Emmanuelle Wurtz et Sophie Fantoni-Quinton et Laurence Cohen et Georges Meyer, JCP S, 2022, n° 5, étude n° 1032
(4) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
(5) Décret n° 2017–1008 du 10 mai 2017, portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail
(6) C. trav., art. L. 4624-7
(7) Questions-Réponses du ministère du Travail du 26 octobre 2020
(8) Cass. soc., avis n° 15002, 17 mars 2021, n° 21-70.002
(9) Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-14.552, F-D