Préjudice d’anxiété : la Cour de cassation précise le régime de l’action en réparation
30 juillet 2020
Au début des années 2010, la Chambre sociale a reconnu un droit à réparation de leur préjudice spécifique d’anxiété au profit des salariés éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) – c’est-à -dire aux salariés ayant travaillé dans un établissement inscrit sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y était fabriqué ou traité de l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante – dans la mesure où ces salariés se trouvaient « dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241).
La Cour a institué au profit de ces salariés une triple présomption concernant l’exposition au risque, la faute de l’employeur et l’existence du préjudice.
Longtemps cantonnée aux bénéficiaires de l’ACAATA, l’action en réparation du préjudice d’anxiété a, récemment, été ouverte aux salariés exposés à l’amiante « quand bien même il[s] n’aurai[ent] pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée » à charge pour ces derniers de rapporter la preuve de leur exposition à l’amiante, du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ainsi que de la réalité et de l’étendue de leur préjudice  (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442 ; Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-26.879).
Cette jurisprudence a ainsi élargi le périmètre d’indemnisation du préjudice d’anxiété en prévoyant deux régimes distincts selon que le salarié est ou non éligible à l’ACAATA.
Elle a en revanche laissé en suspens la question du délai de prescription applicable à l’action en réparation et celle de son point de départ, lequel est fixé – pour les salariés ayant travaillé dans un établissement classé – à la date de publication de l’arrêté ministériel inscrivant l’établissement sur la liste (Cass. Soc., 19 novembre 2014, n°13-19263).
Par plusieurs arrêts rendus le 8 juillet 2020, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme sa récente jurisprudence sur la réparation du préjudice d’anxiété lié à l’amiante et se prononce sur la prescription de cette action lorsqu’elle est invoquée par un salarié qui n’a pas travaillé dans un établissement classé (Cass. Soc., 8 juillet 2020, n°18-26.585).
En l’espèce, 72 agents de la SNCF ont saisi la juridiction prud’homale, le 28 mai 2015 afin d’obtenir la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d’anxiété et pour violation de l’obligation de sécurité en raison de leur exposition à l’amiante durant plusieurs années.
Déboutés par la cour d’appel de Reims qui a déclaré leur action prescrite au motif qu’ils avaient eu conscience du risque d’exposition à l’amiante présente sur le site dès 2001, au regard des échanges entre l’employeur et les représentants du personnel, et au plus tard en 2004, avec l’installation d’une cabine de désamiantage, les salariés se sont pourvus en cassation.
Sur le délai de prescription applicable à l’action en réparation du préjudice d’anxiété
La première question que tranchent les Hauts magistrats est celle de la durée du délai de prescription, ces derniers n’ayant pas, encore, eu l’occasion de se prononcer sur le point de savoir s’il convenait d’appliquer le délai de prescription quinquennal de droit commun prévu par l’article 2224 du Code civil ou le délai de prescription biennal prévu par le Code du travail pour les actions portant sur l’exécution du contrat de travail (C. trav., art. L. 1471-1).
La Chambre sociale, au visa de l’article L. 1471-1 du Code du travail, tranche la question et rappelle que « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son droit ».
En toute logique, le délai de prescription de deux ans devrait s’appliquer dans tous les cas, peu important que les salariés bénéficient ou non du dispositif ACAATA. On ne voit pas en effet ce qui pourrait justifier l’application d’un délai de prescription différent selon les circonstances dans lesquelles les salariés ont été exposés à l’amiante.
A cet égard, il convient de noter que si la Cour de cassation a fait application du délai de prescription quinquennal dans plusieurs affaires concernant des salariés exposés dans des établissements classés, la question de la durée du délai de prescription applicable ne lui avait pas été posée, les litiges portant sur la détermination du point de départ de la prescription (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-50.030 ; Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388).
Sur le point de départ du délai de prescription
Les articles 2224 du Code civil et L. 1471-1 du Code du travail relatifs à la prescription posent le principe commun selon lequel le point de départ du délai de prescription est fixé « au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».
Pour les salariés susceptibles de bénéficier du dispositif de préretraite lié à l’amiante (ACAATA), la jurisprudence fixe ce jour à la date de la publication du premier arrêté ministériel inscrivant l’établissement sur la liste permettant la mise en Å“uvre du régime légal de préretraite (Cass. soc., 19 novembre 2014, n°13-19.263 ; Cass. soc., 29 janvier 2020, n°18-15.388 et 18-15.396).
S’agissant du point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété pour les salariés travaillant dans un établissement non classé, l’arrêt du 8 juillet 2020 se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur la date à retenir.
Par cette décision, la Chambre sociale juge, en effet, que le point de départ du délai de prescription est « la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition ».
Elle précise à cet égard que ce point de départ « ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin ». Elle censure donc la décision des juges du fond qui, pour déclarer prescrite l’action des salariés, ont retenu qu’au plus tard en 2004 les salariés auraient dû avoir conscience d’un risque d’exposition à l’amiante alors que les juges auraient dû rechercher à quelle date les salariés avaient cessé d’être exposés à un risque élevé de développer une pathologie grave résultant de cette exposition.
Le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété se situe donc pour les salariés non éligibles au dispositif ACAATA, à la date à laquelle ces derniers ont eu conscience du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de leur exposition à l’amiante, sans que cette date puisse être antérieure à la date à laquelle cette exposition a cessé.
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