Présomption de justification des avantages conventionnels : un nouveau cas d’application, l’accord de substitution !

18 mars 2025
2015 – 2025 : la présomption de justification des inégalités de traitement issues d’accords collectifs, dégagée par la Cour de cassation en 2015, à propos de la validité d’avantages catégoriels, n’a cessé de s’étendre à diverses situations de différences de traitement entre les salariés. Elle fête ses dix ans cette année avec une nouvelle conquête !
Dans un arrêt récent du 5 février (n°22-24.000), la Cour de cassation confirme une solution (1) qu’elle avait admise, avant 2015, sur la légitimité du maintien d’un avantage par accord de substitution au regard du principe « à travail égal salaire égal » et applique dorénavant cette présomption pour justifier les différences résultant d’un tel accord.
Pour mémoire, la négociation d’un accord de substitution est prévue à l’article L. 2261-14 du Code du travail. Dans le cadre de la mise en cause du statut conventionnel dans l’entreprise du fait d’évènements extérieurs modifiant sa situation juridique, l’accord dans l’entreprise absorbée survit pendant un an à compter de l’expiration du délai de préavis d’une durée de trois mois, sauf dispositions conventionnelles contraires.
Pendant cette période, doit s’engager la négociation d’un accord dit « de substitution » et, à défaut de la conclusion d’un tel accord, les salariés transférés bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée, en application de la convention ou de l’accord mis en cause, lors des douze derniers mois.
Retour sur l’historique de la jurisprudence relative à la présomption de justification des différences de traitement conventionnelles, la solution rendue et sa portée.
Rappel des règles applicables
Jusqu’en 2015, la Cour de cassation considérait qu’en cas d’inégalité de traitement soulevée par le salarié au moyen d’éléments de fait, il incombait à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence de traitement, souverainement appréciés par les juges du fond. S’appliquait ainsi, en matière de différences de traitement, le régime de la preuve partagée.
Cependant, les arrêts du 27 janvier 2015 (n°13-22.179 ; 13-25.437 et 13-14.773) ont opéré un revirement de jurisprudence en la matière en raison de la légitimité particulière résultant de la conclusion des conventions et accords collectifs.
La Cour a ainsi instauré une présomption de justification des différences de traitement entre catégories professionnelles distinctes, opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, sauf pour le salarié à démontrer que l’inégalité de traitement alléguée est étrangère à toute considération de nature professionnelle.
Ce faisant, la Cour de cassation décidait d’écarter le régime de la preuve partagée dans l’hypothèse d’une différence de traitement instituée par accord collectif. C’est désormais au salarié qui l’invoque de rapporter la preuve que celle-ci est « étrangère à toute considération de nature professionnelle » afin de faire échec à la présomption de justification de cette différence.
Par la suite, le champ d’application de cette présomption de justification des différences de traitement n’a cessé de s’étendre à diverses autres situations. Ainsi, la Cour a appliqué cette présomption aux différences de traitement :
-
- résultant de fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle, opérées par voie de conventions ou d’accord collectif (Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324) ;
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- entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement (Cass. soc., 3 nov. 2016, n° 15-18.444) ;
-
- entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’entreprise (Cass. soc., 4 oct. 2017, n° 16-17.517) ;
-
- entre des salariés appartenant à la même entreprise mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’un protocole de fin de conflit ayant valeur d’accord collectif (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12.782) ;
Précisions, néanmoins, que la Cour a refusé de conférer une portée générale à cette présomption en ce qu’elle permettrait de justifier toutes les différences de traitement opérées par accord collectif.
La Cour a, notamment, considéré que cette présomption devrait être écartée dans les domaines régis par le droit de l’Union européenne ou mettant en cause le principe de non-discrimination (Cass. soc. 3 avril 2019, n° 17-11.970 ; Cass. soc. 9 oct. 2019, n° 17-16.642).
C’est dans ce contexte marqué, dans un premier temps, par une extension de l’application de cette présomption, puis, par le coup d’arrêt apporté par la Cour de cassation en 2019, que s’insère le présent arrêt qui consacre un nouveau cas d’application dans l’hypothèse de la conclusion d’un accord de substitution.
Faits et procédure
En l’espèce, une opération de fusion-absorption avait entrainé la mise en cause de l’application des conventions et accords collectifs dans une entreprise absorbée, dont celle d’un accord d’entreprise relatif à l’indemnisation de frais de transport qui prévoyait notamment le versement d’indemnités kilométriques domicile-lieu de travail à certaines conditions.
Un accord de substitution applicable à l’ensemble des salariés de l’entreprise absorbée et de l’entreprise absorbante avait été conclu. Cependant, cet accord prévoyait le maintien de l’indemnisation des frais de transport applicable dans la société absorbée au seul profit des salariés de cette entité qui en bénéficiaient ou en avaient bénéficié à la date d’entrée en vigueur de l’accord de substitution.
En d’autres termes, ces dispositions excluaient du bénéfice de l’indemnisation les salariés de l’entreprise absorbante ainsi que ceux embauchés postérieurement à la fusion en opérant ainsi une différence de traitement entre les salariés de l’entreprise.
Or, un salarié de l’entreprise absorbante, muté sur un site anciennement exploité par la société absorbée, qui s’estimait victime d’une inégalité de traitement en ce qu’il ne bénéficiait pas de cette indemnisation à la différence des anciens salariés de la société absorbée, avait saisi le conseil de prud’hommes.
Il réclamait le remboursement d’indemnités kilométriques au titre de l’indemnisation de ses frais de transports ainsi que (subsidiairement) des dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance de bénéficier d’une telle indemnisation.
Débouté en premier instance, le salarié avait cependant obtenu, en appel, la condamnation de l’employeur au paiement au salarié d’une somme au titre du remboursement de ses frais de transports en application de l’accord de substitution.
La société ayant formé un pourvoi, il revenait à la Cour de déterminer si l’accord collectif de substitution, conclu après une fusion, peut prévoir le maintien d’un avantage au seul profit des salariés de l’entreprise absorbée qui en bénéficiaient ou si une telle stipulation est contraire au principe d’égalité de traitement.
Solution
La Cour de cassation répond par la négative et casse l’arrêt de la cour d’appel. Pour justifier sa solution, la Cour raisonne en deux temps.
Dans un premier temps, la Cour, au regard, notamment, du principe d’égalité de traitement, choisit d’étendre à l’accord de substitution la présomption de justification des différences conventionnelles en considérant que :
« Les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise opérées par un accord de substitution négocié et signé, en application de l’article L. 2261-14 du code du travail, par les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’ensemble de cette entreprise et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».
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Il ressort ainsi de cette solution de principe que les différences de traitement prévues par l’accord de substitution sont présumées justifiées, à charge pour le salarié qui les conteste de démontrer que l’avantage en cause est étranger à toute considération de nature professionnelle.
Dans un deuxième temps, la Cour, statuant au fond dans cette affaire, refuse de considérer que l’avantage en cause est étranger à toute considération de nature professionnelle, contrairement à la cour d’appel.
Selon les juges du fond en effet, si la différence de traitement instituée par l’accord de substitution était justifiée en ce qu’elle concernait des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements ou sites distincts, cette différence devait être considérée comme étrangère à toute considération de nature professionnelle.
La cour d’appel relevait en ce sens que les déplacements domicile-travail sont exclus du champ du temps de travail effectif et que leur coût varie selon des caractéristiques personnelles relevant de la vie privée de chaque salarié.
La Cour de cassation ne retient pas ce raisonnement et considère que l’indemnisation des frais de transport domicile-travail constitue une considération de nature professionnelle qui ne peut pas renverser la présomption de justification de cette différence.
Ainsi, selon la Cour : « (…) la différence de traitement résultant du maintien, par l’accord de substitution du 20 novembre 2013, au profit des seuls anciens salariés du site de la société absorbée qui bénéficiaient de cet avantage à la date d’effet de cet accord ou qui en avaient bénéficié antérieurement, de l’indemnisation de leurs frais de transport entre leur domicile et leur lieu de travail, n’était pas étrangère à toute considération de nature professionnelle (…) ».
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En d’autres termes, la Cour admet que le maintien d’un tel avantage conventionnel ayant bénéficié aux salariés de la société absorbée antérieurement à la conclusion de l’accord de substitution est de nature professionnelle.
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Portée de la solution
Comme évoqué, cette solution s’inscrit dans le droit fil du déploiement de la présomption de justification des différences de traitement conventionnelles, dont la cour fait ici application à l’accord de substitution.
Cette solution confirme une solution déjà retenue en 2007 (2) par laquelle la Cour avait admis qu’en cas de mise en cause d’un accord collectif, le maintien d’un avantage au seul profit des salariés qui en bénéficiaient antérieurement, ne méconnaît pas le principe « à travail égal, salaire égal », que ce maintien résulte d’une absence d’accord de substitution ou d’un tel accord.
Le présent arrêt aboutit à une solution identique en se fondant, cette fois, sur la présomption de justification des différences conventionnelles prévues dans l’accord de substitution.
Ce nouveau cas d’application suscite, néanmoins, certains questionnements quant à ses modalités de mise en œuvre.
Une première interrogation est liée aux conditions de conclusion de l’accord de substitution.
En effet, dans cet arrêt, la Cour se fonde, notamment, sur l’alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et précise que la différence de traitement résulte donc d’un accord négocié et signé par les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’ensemble de cette entreprise et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote.
Elle reprend ainsi sa justification, posée depuis 2015, en lien avec la légitimité des accords négociés et signés par des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.
Mais dès lors qu’un accord de substitution, tel que visé par l’article L. 2261-14 du Code du travail, peut être signé avec d’autres interlocuteurs (CSE, salariés mandatés, etc.) conformément aux règles du Code du travail, la solution serait-elle identique dans ces hypothèses ?
En ce sens, même lorsque les textes applicables visent expressément les organisations syndicales représentatives, certains auteurs réfutent toute exclusivité syndicale et considèrent que l’accord de substitution pourrait être conclu selon des modes de négociation dérogatoires.
Tel est le cas des accords anticipés, dits de transition ou d’adaptation (C. trav., art L. 2261-14-2 et L. 2261-14-3), qui peuvent être conclus avant le transfert pour anticiper la mise en cause automatique des accords collectifs dans l’entreprise transférée.
Dès lors que le Code du travail impose expressément que ceux-ci soient conclus selon les conditions de droit commun (art. L. 2261-14-4). Or, si la voie de la négociation dérogatoire devait être empruntée pour conclure un accord de substitution, ou un accord de transition ou d’adaptation, il n’est pas certain que des différences conventionnelles prévues pourraient être présumées justifiées dans la mesure où la Cour de cassation semble fonder la présomption de justification des différences de traitement instaurées par accord collectif sur la légitimité des OSR qui en sont signataires.
Une seconde interrogation porte davantage sur la notion de différence de traitement étrangère à toute considération de nature professionnelle, seule susceptible de faire échec à l’application de la présomption.
Dans la présente affaire, la Cour considère que l’indemnisation de frais de transport domicile-travail ne peut être considérée comme étrangère à toute considération de nature professionnelle, sans toutefois définir cette notion dont les contours demeurent incertains.
Certes, la Cour souligne l’importance du bénéfice effectif de cet avantage pour les salariés transférés à la date de la conclusion de l’accord de substitution pour retenir que cet avantage a une nature professionnelle. Cette acceptation large de la notion est cohérente avec contexte particulier de l’accord de substitution dont la finalité est d’harmoniser le statut conventionnel et offre ainsi aux négociateurs une flexibilité importante pour satisfaire l’ensemble des intérêts en cause.
Néanmoins, est-ce à dire que tous les avantages conventionnels bénéficiant aux salariés transférés doivent être considérés comme de nature professionnelle et, ainsi, justifiés, au regard du principe de l’égalité de traitement ?
Rien n’est moins sûr, certains auteurs ayant soulevé l’exemple d’autres avantages tels que la prime de mariage ou encore des jours d’absence autorisée pour la garde d’un enfant malade dont la nature strictement professionnelle est discutable.
Gageons que d’autres décisions permettront d’apporter des précisions sur tous ces points afin de clarifier les modalités d’application à l’accord de substitution de la présomption de justification des différences conventionnelles issues de cet accord.
(1) et (2) Cass. soc., 4 déc. 2007, n°06-44.041.
AUTEURS
Astrid Duboys-Fresney, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
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