Présomption de professionnalité des SMS émis ou reçus d’un téléphone professionnel
A moins que leur caractère privé soit expressément indiqué, les SMS échangés par un salarié au moyen d’un téléphone mis à disposition par son employeur sont présumés professionnels.
Ainsi en a décidé la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 février 2015 dans une affaire opposant deux sociétés spécialistes en courtage financier, l’une reprochant à l’autre d’avoir débauché un grand nombre de ses salariés.
Parmi les preuves communiquées figuraient des SMS établissant le départ concerté des salariés, obtenus par constat d’huissier ordonné sur requête. Faisant suite au rejet de la demande de rétractation de l’ordonnance par le juge des référés et à la confirmation partielle par la Cour d’appel, le pourvoi en cassation était fondé sur deux moyens :
- la production des SMS litigieux, lesquels ne faisaient pas partie des échanges dont la surveillance était portée à la connaissance des employés par le règlement intérieur ou la charte d’utilisation des moyens de communication électronique, était un procédé déloyal au sens de l’article 9 du Code civil et l’article 6.1 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- l’enregistrement des SMS portait atteinte au secret bancaire et à la confidentialité de l’activité règlementée de courtage financier.
La Cour de cassation estime, d’une part, qu’il existe en effet un empêchement légitime résultant du secret bancaire, lequel ne cesse pas du seul fait que l’établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n’est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n’a pas lui-même renoncé.
D’autre part, la Cour reprend le raisonnement adopté en matière d’e-mails (arrêts des 15 décembre 2010 et 19 juin 2013) en indiquant que les SMS «envoyés ou reçus par le salarié au moyen d’un téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour le besoin de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf si ils sont identifiés comme étant personnels».
Ainsi, cet arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence, qui depuis 2001 et la consécration par la Haute Juridiction du principe de respect de la vie personnelle du salarié sur le lieu de travail, dessine progressivement le périmètre de protection de ses moyens de communication.
Il laisse cependant subsister quelques questions de nature technique spécialement évoquées dans le pourvoi.
Tout d’abord, l’identification des SMS comme personnels apparaît problématique. Au-delà de la question générale des synonymes du mot « personnel » (dont la casuistique a déjà été tranchée en matière d’e-mails), se pose celle plus précise de l’inscription de la mention « personnel » sur un portable qui ne comporte pas de champ spécial « objet« . On suppose que, dans ce cas, le salarié devrait inscrire la mention au début de son message, mais cela signifie que l’employeur devra ouvrir le SMS et en en prendre connaissance avant de découvrir sa nature personnelle.
Ensuite, l’arrêt ne répond pas à l’argument selon lequel il n’avait pas été interdit expressément aux salariés d’utiliser leurs téléphones mobiles en dehors des heures de travail et à des fins personnelles. Ainsi, des précisions paraissent nécessaires pour compléter la notion de « besoins de son travail« , s’agissant en particulier des horaires et lieux de l’utilisation professionnelle, et surtout de la connaissance de ces conditions par les salariés au moyen des règlements intérieurs et des chartes d’entreprise.
Pour résumer, les SMS professionnels sont librement consultables par l’employeur ; les SMS identifiés comme étant personnels ne peuvent être consultés par l’employeur que si le salarié est présent ou si il en a été préalablement informé.
La surveillance des salariés prend de nouvelles dimensions dans un contexte de plein essor des nouvelles technologies. La réflexion générale autour de la « cybersurveillance » au travail oscille entre son approche comme moyen de subordination des salariés, dont les moyens de défense en matière de vie privée se restreignent en cas de contentieux à des éléments de faits, tels que l’utilisation de l’outil par un tiers, et son aspect de garantie de protection de l’entreprise, qui dans un environnement numérique doit assurer la confidentialité de ses informations contre des atteintes potentielles de l’extérieur comme de l’intérieur.
En attendant de nouveaux apports jurisprudentiels, les SMS émis ou reçus d’un téléphone portable mis à la disposition du salarié par son employeur sont réputés professionnels.
Auteur
Anne-Laure Villedieu,, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
*Présomption de professionnalité des SMS émis ou reçus d’un téléphone professionnel * -Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 9 mars 2015