Prestations de services E-commerce en B2C : une réforme majeure des règles TVA
L’Union européenne modifie en profondeur les règles de TVA applicables aux livraisons de biens et prestations de services réalisées à distance au profit des particuliers par la Directive 2017/2455/CE adoptée le 5 décembre 2017. Point sur les règles relatives aux prestations de services1.
Les règles de TVA applicables aux opérations de ventes à distance de biens au profit de particuliers (B2C) datent de 1992 et ne sont plus adaptées face à l’explosion du E-commerce ces dernières années. Ainsi, ressort-il des études de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance2 que les ventes sur internet en France au seul 1er trimestre 2018 ont représenté plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Outre les pure players et les marketplaces, la plupart des enseignes doublent leur présence physique d’un site internet à partir duquel des consommateurs situés dans toute l’Europe et en dehors peuvent acheter directement. Les règles actuellement en vigueur, de par leur lourdeur administrative, constituent au mieux un obstacle au recouvrement de la taxe par l’Etat membre du consommateur, au pire, un frein au développement des opérateurs par la création d’une distorsion de concurrence au détriment de ceux qui les respectent.
Les règles relatives aux prestations de services sont plus récentes et donc moins anachroniques dans leur mise en œuvre que celles relatives aux ventes de biens. Elles méritaient toutefois également une simplification et certaines clarifications.
La Directive précitée procède donc à une réforme en profondeur des règles applicables. Les nouvelles dispositions devront être transposées, pour les plus importantes, le 1er janvier 2021.
Les nouvelles mesures relatives aux prestations de services se traduisent principalement par l’extension progressive de la possibilité pour le prestataire d’utiliser la procédure du « guichet unique » (Mini One Stop Shop ou « MOSS ») et par l’instauration d’un seuil de chiffre d’affaires en-deçà duquel les petites entreprises établies dans l’UE pourront appliquer la TVA de leur Etat d’établissement sur les prestations de services transfrontalières.
Afin d’en apprécier la portée, il semble utile d’opérer un bref rappel des règles existantes.
1. Une mise en œuvre progressive du régime spécial de guichet unique pour les services fournis par voie électronique, les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision (2003-2019)
C’est en 2003 que le régime spécial de guichet unique (MOSS) a été instauré pour la première fois. Jusqu’en 2015, il concernait uniquement les prestataires de services établis hors de l’UE qui fournissent des services électroniques à des personnes non assujetties établies dans l’UE.
A compter du 1er juillet 20033, ces opérations sont devenues imposables au lieu d’établissement (ou domicile) du preneur non assujetti. Les prestataires établis hors de l’UE ont dès lors dû appliquer la TVA de l’Etat membre du consommateur. Afin de faciliter la déclaration de cette TVA et d’en assurer une perception plus efficace, un régime optionnel de guichet unique (MOSS) a donc été mis en place.
Le MOSS a permis aux opérateurs non UE de déclarer en un seul lieu, et par l’intermédiaire d’un portail électronique, les prestations électroniques réalisées auprès de l’ensemble de leurs clients non assujettis établis dans l’UE et d’acquitter en même temps les taxes dues à ce titre dans tous les Etats membres concernés.
Le prestataire choisit ainsi l’Etat membre auprès duquel il s’identifie, déclare l’ensemble des prestations réalisées et verse la TVA correspondante.
La déclaration de TVA, souscrite par voie électronique et libellée en euros, s’opère par trimestre civil et doit comprendre le numéro d’identification à la TVA attribué au prestataire, et, pour chaque Etat membre de consommation, la valeur totale hors taxe des services électroniques fournis, le taux de TVA applicable et le montant total de TVA correspondante. Les éventuelles modifications des montants déclarés au titre d’une période doivent obligatoirement donner lieu à la souscription d’une déclaration rectificative.
Toutefois, ce régime déclaratif spécial ne permet pas au prestataire de déduire la TVA éventuellement supportée dans les Etats membres de consommation. Pour ce faire, il doit utiliser, dans chaque Etat membre, la procédure spéciale prévue par la treizième Directive TVA4.
En outre, l’opérateur étranger doit tenir, et conserver pendant 10 ans, un registre des opérations relevant de ce régime qui doit, sur demande et par voie électronique, être mis à disposition de l’Etat membre d’identification et des Etats membres de consommation.
Par ailleurs, les opérateurs identifiés à la TVA dans l’UE pour les besoins d’autres opérations mais non établis, étaient jusqu’en 2015 privés de l’utilisation de ce régime déclaratif et devaient s’identifier à la TVA dans tous les Etats membres où leurs clients étaient établis.
Le 1er janvier 2015, le MOSS s’est ouvert aux prestataires établis hors de l’UE qui fournissent à des non assujettis des services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision, ainsi qu’aux prestataires établis dans l’UE qui rendent ces mêmes services et des services électroniques à des clients non assujettis dans un autre Etat membre.
En effet, les règles de territorialité applicables aux services électroniques et aux services de télécommunication et assimilés, rendus à des personnes non assujetties établis dans l’UE, ont été unifiées et ces opérations sont toutes devenues imposables dans l’Etat membre du consommateur.
Deux régimes de guichets uniques, UE et non UE, coexistent donc depuis 2015. Les règles déclaratives sont identiques, étant précisé que les prestataires établis dans l’UE doivent s’identifier auprès du portail électronique de leur Etat d’établissement. Par ailleurs, le fait que ces prestataires UE soient identifiés à la TVA dans un autre Etat membre ne les empêche pas de recourir au guichet unique.
Notons également que lorsque les services électroniques sont fournis via un réseau de télécommunications, une interface ou un portail (plateforme de téléchargement), une présomption d’intermédiation opaque est instaurée pour les opérateurs qui s’entremettent dans la fourniture de ces services.
2. Les modifications à venir (2019 et 2021)
Quelques aménagements entreront en vigueur le 1er janvier 2019.
Un régime « start-up » (ou petites entreprises) est instauré : le lieu d’imposition des services électroniques et des prestations de télécommunications et assimilées rendus à des personnes non assujetties établies dans un autre Etat membre est, par dérogation, fixé au lieu d’établissement du prestataire établi dans un seul Etat membre de l’UE lorsque le chiffre d’affaires hors taxe correspondant ne dépasse pas, au cours d’une année civile, et l’année civile précédente, le seuil de 10.000 €. Les prestataires concernés pourront toutefois opter pour taxer les services dans l’Etat membre de consommation. A défaut d’option, les services sont taxables dans l’Etat de consommation dès le franchissement du seuil de 10.000 €.
Il est également prévu de permettre aux prestataires établis hors de l’UE d’utiliser le guichet unique même s’ils sont déjà identifiés à la TVA dans un Etat membre. Cette mesure devrait faciliter la déclaration de la TVA pour ces prestataires.
Enfin, et par dérogation, lorsqu’un prestataire aura recours au guichet unique, les règles de facturation de l’Etat membre d’identification seront applicables.
Le 1er janvier 2021, le champ du MOSS (devenant OSS) sera étendu à l’ensemble des prestations de services rendues à des particuliers, taxables dans l’Etat membre de ce dernier lorsque le prestataire n’y est pas établi ou identifié pour les besoins de la TVA. Ainsi, par exemple, pourra être déclarée et payée via l’OSS par le prestataire étranger, la TVA française grevant des locations de véhicules de longue durée à un particulier domicilié en France.
Pour la même date, la Directive modifie, dans un objectif de simplification, les règles de déclaration des opérations dans l’OSS. Ainsi, le délai de déclaration des opérations passera de 20 jours à compter de l’expiration de la période imposable (le trimestre civil), à un mois pour l’ensemble des opérateurs. Le délai de paiement de la TVA étant aligné sur celui de la déclaration, il s’en trouvera automatiquement également allongé. Enfin, il sera possible de corriger une déclaration souscrite dans une déclaration ultérieure déposée dans un délai de 3 ans.
Notes
1 Nous aborderons dans un prochain numéro les règles applicables aux ventes de biens
2 https://www.fevad.com/la-croissance-se-maintient-au-1er-trimestre-13
3 Directive 2002/38/CE du 7 mai 2002.
4 Directive n° 86/560/CEE du 17 novembre 1986
Auteurs
Marie-Odile Duparc, avocat counsel, droit fiscal
Amélie Retureau, avocat counsel. droit fiscal