Prévoyance des cadres : La cour d’appel de Douai sanctionne sévèrement un employeur défaillant
18 mars 2024
En application de l’article 1 de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres, les employeurs ont l’obligation de verser, pour tout bénéficiaire dudit accord, une cotisation à leur charge exclusive, égale à 1,50% de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de sécurité sociale, dite «tranche 1».
Cette obligation, qui n’existe pas encore à l’heure actuelle pour les salariés non-cadres, était à l’origine prévue par l’article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, avant d’être reprise par l’ANI de 2017.
Les obligations de l’employeur
Pour respecter ses obligations, l’employeur doit verser sa contribution à un organisme d’assurance et l’affecter en priorité à la couverture d’avantages en cas de décès, de sorte que plus de la moitié de la cotisation, soit au moins 0,76% de la tranche de salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale, doit financer la couverture d’avantages en cas de décès (capital décès/assurance Perte Totale et Irréversible d’Autonome (PTIA), rente de conjoint, rente éducation).
Par dérogation, les branches professionnelles, dans les conditions de l’article L.2252-1 du Code du travail, peuvent cependant prévoir un taux de cotisation inférieur à 1,50% sur la tranche 1. Tel est notamment le cas de la branche de la métallurgie.
La Cour de cassation a également précisé que les «avantages en matière de prévoyance» visés par cette obligation concernaient non seulement les risques lourds (invalidité, incapacité, décès) mais aussi les avantages en matière de frais de santé (Cass., soc., 30 mars 2022, n°20-15.022, V. notre précédent article sur le sujet).
La sanction du non-respect de cette obligation est quant à elle particulièrement sévère : les employeurs qui, lors du décès d’un salarié cadre, ne justifient pas avoir souscrit un contrat comportant le versement de la cotisation «1,50% T1», sont tenus de verser aux ayants droit du salarié décédé une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès.
Si un partage de responsabilité avec l’organisme assureur peut être envisagé en cas de mauvaise exécution de l’obligation, l’obligation de «1,50% T1» pèse essentiellement sur l’employeur. Une jurisprudence récente (CA Douai, 8 févr. 2024, RG n° 22/03391), vient de le rappeler.
Responsabilité de l’employeur
Dans cette affaire, une société avait, en 1996, affilié, auprès d’un organisme assureur, son personnel non cadre à un contrat couvrant le risque «décès».
Ultérieurement, trois salariés de la société deviennent cadres et l’un d’entre eux décède en 2014.
L’employeur et l’assureur se sont opposés sur l’étendue de leurs responsabilités respectives, le premier considérant que la garantie «décès» était due par l’assureur dans la mesure où, nonobstant l’absence de souscription d’un contrat «cadre», le second avait encaissé des primes pour les cadres.
Assignant l’assureur en responsabilité, l’employeur obtient sa condamnation mais la cour d’appel de Douai, par un arrêt du 6 décembre 2018, ne lui octroie à ce titre que la somme de 3047 euros, correspondant au préjudice résultant du paiement indu des primes d’assurance.
Les juges du fond ont en effet considéré que la société était irrecevable à invoquer un préjudice subi par les ayants droit du défunt, et qu’elle ne justifiait d’aucun autre préjudice en l’absence de poursuite des ayants droit à son encontre.
Par la suite, la veuve du salarié a mis en demeure la société de lui régler la somme prévue par l’ANI au titre du non-respect de l’obligation «1,50% Tranche 1», diminuée de la somme déjà versée par l’assureur au titre de la garantie décès «non cadre».
La société assigne alors à nouveau son assureur en garantie devant le tribunal de grande instance de Lille. Le tribunal met cependant hors de cause l’assureur et condamne la société à indemniser la veuve.
La société interjette appel devant la cour d’appel de Douai.
La cour d’appel de Douai retient l’entière responsabilité de l’employeur, caractérisée par une faute de négligence commise par lui en n’affiliant pas le salarié comme cadre à une assurance souscrite à cet effet, alors qu’il bénéficiait de ce statut depuis 2010.
La cour d’appel note au surplus, en l’espèce, que lorsque la carence d’assurance pour les cadres a été découverte en 2013, la société s’était abstenue de régulariser la situation alors même que l’assureur lui avait envoyé trois offres à cette fin, et qu’elle avait également fait le choix de se rapprocher d’un autre organisme assureur.
La Cour a, par ailleurs, écarté la responsabilité de l’assureur appelé en garantie en considération de l’attitude de l’employeur qu’elle juge doublement fautive :
«S’il est constant que l’assureur a bien encaissé indûment pendant trois années les primes d’assurance de la garantie prévoyance cadre, il reste pour autant que l’employeur a commis successivement deux fautes majeures, en premier lieu, une négligence fautive en 2010 en ne s’assurant pas de l’affiliation effective de son salarié cadre à une garantie prévoyance adéquate, en second lieu, une abstention fautive en 2013 lorsqu’il n’a pas remédié à la difficulté dont il admet avoir eu connaissance, n’a pas répondu aux propositions d’adhésion émises par la société AG2R le 10 juillet 2013, et n’a pas davantage cherché à se rapprocher d’une autre institution de prévoyance.
Il s’en déduit que seule la carence de l’employeur en 2013 est en lien de causalité direct et certain avec le préjudice subi par les ayants droit de [N] [C].»
On aurait pu penser que l’encaissement par l’assureur de cotisations pour les cadres aurait pu constituer un commencement de preuve de nature à établir l’existence d’un contrat d’assurance tacitement conclu.
Toutefois, une telle ligne de défense était difficilement soutenable en l’espèce dans la mesure où l’employeur, une fois informé et conscient de la carence d’affiliation, n’a pas répondu aux propositions d’adhésion émises par l’assureur et que de surcroît trois contrats étaient proposés.
Les juges du fond ont donc en l’espèce écarté toute responsabilité partagée.
Une double indemnisation des ayants droit
La sanction retenue par cet arrêt est particulièrement sévère à l’encontre des employeurs dans la mesure où une double indemnisation a été accordée aux ayants droit par la cour d’appel.
En premier lieu, la Cour condamne l’employeur au paiement de la sanction financière prévue par l’article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, et désormais, du seul fait de ne pas avoir souscrit de contrat couvrant ses salariés cadres avec une cotisation patronale à hauteur de 1,50% de la tranche 1, laquelle s’élève à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès.
Cette somme, à verser aux ayants droit du cadre décédé, s’élevait en l’espèce à 112644 euros.
En second lieu, s’agissant d’une pénalité, selon la Cour, cette somme s’ajoute au capital décès dû aux ayants droit du salarié qui aurait dû bénéficier d’un régime de prévoyance «cadre».
En effet, la Cour retient que l’employeur n’en demeure pas moins tenu, vis-à-vis des ayants droit du salarié décédé, d’indemniser le préjudice financier certain et direct des ayants droit résultant du défaut d’affiliation du salarié au régime «cadre» de prévoyance décès.
En l’espèce, le salarié, bien que devenu cadre, était resté affilié au régime des non cadres, au titre duquel l’assureur avait versé la somme de 65182,25 euros.
En l’absence de souscription d’un contrat d’assurance couvrant les cadres, et dans la mesure où rien ne permettait à la Cour de déterminer laquelle des 3 offres présentées par l’assureur aurait été choisie par l’employeur, celle-ci a considéré qu’il convenait de retenir la moyenne de ces trois offres, soit un préjudice estimé à 199731,55 euros, desquels la Cour a retranché les 65 182,25 euros déjà versés par l’assureur au titre du contrat des non cadres.
Au total, l’employeur a donc été condamné à verser 112644 euros au titre de l’obligation «1,50% T1» et 134549,30 euros au titre du préjudice financier des ayants droit, auxquels se sont ajoutés 5000 euros au titre du préjudice moral ainsi que les indemnités et frais liés à la procédure.
AUTEUR
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