Prévoyance et mandataires sociaux : une jurisprudence à suivre
30 juin 2021
Dans un arrêt du 16 avril 2021 rendu sur renvoi après cassation, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé que le fait qu’un régime de prévoyance ne bénéficie, en pratique, qu’au mandataire social de la société, ne remettait pas en cause le caractère collectif du régime et partant, les exonérations de cotisations de sécurité sociale applicables au financement patronal de celui-ci.
Dans cette affaire, à la suite d’un contrôle, l’Urssaf avait notifié à l’entreprise une lettre d’observations lui indiquant que son régime de prévoyance ne présentait pas de caractère collectif dans la mesure où il ne bénéficiait en pratique qu’au seul gérant minoritaire de la société, lequel était non salarié pendant la période contrôlée. La société a alors contesté ce chef de redressement devant la Commission de recours amiable de l’Urssaf puis devant les juridictions compétentes qui ont toutes rejeté son recours. L’entreprise s’est alors pourvue en cassation.
Dans un 1er arrêt rendu le 23 janvier 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence au visa de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale et renvoyé l’affaire pour être à nouveau jugée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée mais sans toutefois expliquer les motifs pour lesquels elle retenait cette solution.
Dans l’arrêt du 16 avril 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, alors cour d’appel de renvoi, a annulé le chef de redressement litigieux. Cet arrêt est intéressant à double titre dès lors qu’il retient :
-
- d’une part, que les exonérations de cotisations de sécurité sociale applicables au financement patronal du régime de prévoyance ne sauraient être remises en cause au motif que ce régime ne bénéficie, en pratique, qu’au seul mandataire social de l’entreprise ;
-
- d’autre part, que les mandataires sociaux peuvent constituer à eux-seuls une catégorie objective de personnel, ce qui est contraire à la position de l’Administration.
Un mandataire social non titulaire d’un contrat de travail peut constituer une catégorie objective de personnel
La solution adoptée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence diffère sur ce point nettement de celle de l’administration.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence énonce en effet au soutien de sa décision que (…) en sa qualité de mandataire social il constituait une catégorie objective de personnel pouvant bénéficier d’un système de garantie à titre collectif en sorte que c’est à tort que l’URSSAF PACA a procédé à la réintégration des cotisations réglées en exécution de ce contrat (…) ».
Or, au plan des exonérations de cotisations de sécurité sociale, si la direction de la sécurité sociale a admis dans une circulaire du 25 septembre 2013[1] que les contributions patronales versées pour financer la couverture de prévoyance des mandataires sociaux non titulaires d’un contrat de travail pouvaient bénéficier des exonérations applicables aux salariés, sous certaines conditions, elle a retenu que :
« Si le dispositif est réservé à une ou plusieurs catégories de salariés, les mandataires ne peuvent alors être rattachés au dispositif, pour le bénéfice de l’exemption d’assiette, que s’ils remplissent eux-mêmes le ou les critères retenus (par exemple, si la catégorie est établie à raison du critère n°2, en fonction de la rémunération versée au mandataire). S’ils ne remplissent pas les critères, l’exemption d’assiette n’est pas appliquée pour la contribution employeur au titre du mandataire ; l’exemption d’assiette n’est pas en revanche remise en cause pour les autres salariés. Enfin, et en tout état de cause, comme dans le cas précédent, les mandataires sociaux ne peuvent, en tant que tels et à eux seuls, constituer une catégorie objective. »
Le caractère collectif d’un régime de prévoyance n’est pas remis en cause au motif qu’il ne bénéficie qu’à une seule personne
La cour d’appel d’Aix-en-Provence affirme également que :
 » (…) un mandataire social peut être rattaché à une catégorie objective de salariés, alors même qu’il n’est pas lié à l’entreprise par un contrat de travail et le caractère collectif du système de garantie n’est pas remis en cause par la circonstance qu’il ne bénéficie, en pratique, qu’à une seule personne (…). »
Cette question est souvent récurrente dans les petites entreprises où, bien que le régime soit mis en place au profit des cadres, le seul bénéficiaire est en pratique le mandataire social non titulaire d’un contrat de travail mais assimilé salarié au plan des cotisations de sécurité sociale. En effet, pour que le financement patronal du régime bénéficie d’exonérations de cotisations de sécurité sociale, il faut que le régime revête un caractère collectif. Cette condition est-elle remplie quand il n’existe qu’un seul bénéficiaire en pratique ?
Dans un premier temps, la direction de la sécurité sociale a semblé admettre que dès lors que la catégorie était définie selon des critères collectifs et objectifs, cette condition n’était pas remise en cause s’il n’y avait qu’un seul bénéficiaire en pratique. En effet, dans une circulaire du 30 janvier 2009[2], la direction de la sécurité sociale avait indiqué que :
« Le caractère collectif des garanties est remis en cause lorsque les critères retenus pour déterminer les bénéficiaires ont été définis dans l’objectif d’accorder un avantage personnel.
Le régime doit avoir vocation à s’appliquer de manière générale et impersonnelle même si, en pratique, il ne bénéficie qu’à un nombre restreint de personnes.
Exemple : dans l’entreprise X, un système de garanties de prévoyance complémentaire est ouvert à la catégorie des cadres ; or, l’entreprise n’en comprend qu’un seul. Le caractère collectif des garanties ne sera pas remis en cause dans la mesure où tout cadre embauché ultérieurement a vocation à en bénéficier ».
Toutefois, dans une circulaire ultérieure du 25 septembre 2013, qui s’est substituée à celle du 30 janvier 2009 concernant la définition du caractère collectif, cette référence expresse à la possibilité de n’avoir en pratique qu’un seul bénéficiaire a été supprimée. La circulaire indique en revanche que :
« Dans tous les cas, ces dispositions ne font pas obstacle à une requalification des garanties s’il s’avérait que les catégories mises en place ont en fait eu pour objectif d’accorder un avantage personnel ».
L’Administration ouvre donc la porte à un contrôle in concreto du caractère collectif du régime.
La prudence doit rester le maître mot pour les entreprises dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation
Cet arrêt donne ainsi un argument aux entreprises qui entendraient contester des redressements dans l’hypothèse où le seul bénéficiaire du régime était le mandataire social. Il reste néanmoins que cette solution ne changera véritablement la pratique que si elle est confirmée à l’avenir par la Cour de cassation. La prudence doit donc rester de mise dans cette attente, c’est-à -dire que les entreprises doivent continuer d’éviter que le mandataire social ne se retrouve seul bénéficiaire d’un régime collectif de protection sociale complémentaire, que ce régime couvre les frais de santé, les risques lourds (incapacité, invalidité et décès) ou la retraite supplémentaire.
En outre, on peut fortement douter que l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle les mandataires sociaux constituent une catégorie objective de personnel soit confirmée par la Cour de cassation sous l’empire du décret du 9 janvier 2012, lequel a défini limitativement les catégories de personnels susceptibles de bénéficier des exonérations.
En effet, ce texte ne vise pas les mandataires sociaux comme une catégorie objective de personnel en tant que telle. Ils ne peuvent donc qu’être rattachés à une catégorie de personnel salarié et non pas constituer à eux seuls une catégorie à laquelle est réservé le bénéfice d’un régime de prévoyance ou de retraite supplémentaire.
[1] Circulaire N° DSS/SD5B/2013/344 du 25 septembre 2013 relative aux modalités d’assujettissement aux cotisations et contributions de sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire.
[2] Circulaire N° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009 relative aux modalités d’assujettissement aux cotisations et contributions de sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire.
Article publié dans Les Echos le 30/06/2021
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