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Prime sur objectifs individuels : peut-on subordonner son paiement à une condition de présence postérieure à la période d’acquisition ?

Prime sur objectifs individuels : peut-on subordonner son paiement à une condition de présence postérieure à la période d’acquisition ?

Dans un arrêt rendu le 29 septembre 2021 (n°13-25.549), la Cour de cassation a rappelé, conformément à une jurisprudence désormais constante, qu’il faut distinguer l’acquisition du droit et le paiement du bonus.

Ainsi, « Il en résulte que si l’ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement ».

L’occasion de refaire le point sur cette question.

 

Destinés essentiellement, à l’origine, aux salariés ayant des fonctions commerciales, les systèmes de rémunération variable se sont développés et sont devenus un outil global de motivation des salariés exerçant des fonctions diverses et variées (commerciales, financières, d’encadrement etc.).

La rémunération variable correspond ainsi, par opposition à la rémunération dite « fixe » dont le montant est prédéterminé dans le contrat de travail, à un élément de rémunération dont le montant ne peut être déterminé à l’avance et qui est donc, par essence, frappé d’un aléa.

 

Rappel des principes applicables à la rémunération variable

Les éléments de rémunération variable peuvent être prévus par convention ou accord collectif (de branche, de groupe ou d’entreprise), par le contrat de travail ou encore par usage ou engagement unilatéral de l’employeur.

 

Il convient de préciser que, quelle que soit la source de la rémunération variable, celle-ci doit, en tout état de cause, respecter certains principes fondamentaux parmi lesquels :

 

    • les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, puisqu’en vertu du principe « à travail égal, salaire égal », la Cour de cassation considère que l’employeur doit offrir les mêmes conditions de rémunération (notamment variable) aux salariés placés dans une situation identique ;
    • ou encore la liberté, pour le salarié, de démissionner.

 

Parmi les éléments de rémunération variable, il est possible de prévoir que le salarié bénéficiera d’une prime ou d’un bonus en fonction de l’atteinte d’objectifs fixés au salarié sur une période donnée. Ces objectifs peuvent être fixés de manière quantitative, qualitative ou encore mixte.

 

La jurisprudence admet ainsi la validité de telles clauses sous les réserves suivantes :

 

    • Les objectifs fixés doivent être raisonnables et compatibles avec le marché (Cass. soc. 30 mars 1999, n° 97-41.028) puisqu’à défaut, il ne saurait être reproché au salarié de ne pas les avoir atteints (Cass. soc. 13 janvier 2009, nº 06-46.208).
    • Ils peuvent être définis par accord des parties ou unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (Cass. soc. 22 mai 2001, n° 99-41.838), étant précisé que lorsque le contrat prévoit la fixation des objectifs d’un commun accord, l’employeur est tenu d’engager des négociations selon la périodicité fixée par le contrat de travail et ne peut les fixer unilatéralement.

 

A l’inverse, si le contrat prévoit que les objectifs sont fixés unilatéralement par l’employeur, ceux-ci s’imposent au salarié dès lors qu’ils sont réalisables et ont été portés à sa connaissance en début d’exercice (Cass. soc. 2 mars 2011, nº08-44.977), à moins que l’employeur n’ait été dans l’impossibilité de fixer, en début d’exercice, des objectifs réalisables et pertinents (Cass. soc. 21 septembre 2017, nº16-20.426).

 

Pour être valables, ces clauses d’objectifs doivent également :

 

    • ne pas avoir pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux (SMIC) et conventionnels ;
    • ne pas conduire à faire peser le risque de l’entreprise sur le salarié. A titre d’exemple, il n’est pas possible de prévoir contractuellement que le montant de la prime d’objectifs sera amputé des déficits d’exploitation ou de certains coûts incombant normalement à l’employeur ;
    • être fondées sur des éléments objectifs et indépendants de la volonté de l’employeur ;
    • les documents fixant les objectifs doivent être rédigés en français, étant précisé qu’à défaut, ceux-ci seront inopposables au salarié (Article L.1321-6 du Code du travail ; Cass. soc. 29 juin 2011, nº09-67.492) ;
    • le salarié doit être informé des modalités de calcul de la prime afin d’être en mesure de vérifier l’exactitude de la somme perçue au regard de l’atteinte des objectifs.

 

Sous réserve du respect de ces conditions, il est possible de prévoir, dans le contrat de travail, que le versement de la prime sur objectifs est soumis à une condition de présence du salarié dans l’entreprise.

 

La possibilité de subordonner le paiement du bonus à une condition de présence postérieure à la période d’acquisition

A cet égard, la Cour de cassation semble considérer que l’ouverture du droit à un élément de la rémunération variable afférente à une période travaillée (telle qu’une prime d’objectifs) peut être soumise à une condition de présence du salarié à la date de son échéance, c’est-à-dire à la date à laquelle les conditions de son exigibilité sont appréciées (Cass. soc. 8 juillet 2020, n°18-21945).

 

Toutefois, et c’est ce que rappelle la Cour de cassation dans sa décision rendue le 29 septembre dernier, il n’est, en revanche, pas possible de conditionner l’ouverture de ce droit à une condition de présence du salarié à une date postérieure à son échéance.

 

En l’espèce, dans le cadre d’un contentieux en contestation de son licenciement, la salariée reprochait à son employeur de ne pas lui avoir versé diverses sommes au titre de sa rémunération variable alors qu’elle avait atteint les objectifs fixés.

La Cour d’appel avait rejeté cette demande, à tort selon la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt rendu au visa de l’article 1134 du Code civil (devenu l’article 1103).

Elle rappelle que « Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. […] Il en résulte que si l’ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement. »

 

Cette décision s’inscrit ainsi dans le prolongement d’une jurisprudence constante selon laquelle le droit à une rémunération variable est acquis lorsque la période sur laquelle porte cette rémunération a été intégralement travaillée et ce peu important que le salarié ait, postérieurement à cette période mais avant tout paiement de la prime, quitté l’entreprise (Cass. soc. 28 mars 2018, nº16-12.530, Cass. soc. 8 juillet 2020 n°18-21.945).

 

En conséquence, si cette jurisprudence n’interdit pas de prévoir une date de versement d’un élément de rémunération variable postérieure à celle de son acquisition, elle empêche toutefois l’employeur de s’en prévaloir pour refuser le paiement de cet élément à un salarié qui aurait, entre temps, quitté l’entreprise. Toute clause contraire pourrait ainsi être perçue comme une atteinte à la liberté de démissionner.