Prix de cession de titres de sociétés immobilières : évolutions et incertitudes fiscales
La fixation du prix des titres d’une société immobilière recèle des enjeux fiscaux qui ne doivent pas être négligés. A cet égard, la définition d’un juste prix reste un exercice délicat qu’il est essentiel de documenter pour faire face à un éventuel contrôle et qui doit tenir compte d’un contexte jurisprudentiel très évolutif.
La détermination du prix d’acquisition des titres d’une société immobilière est la clé d’enjeux fiscaux multiples : calcul de la plus-value du vendeur, assiette des droits de mutation, fixation du prix de revient pour la dotation de provisions ou le calcul de futures plus-values pour l’acquéreur et, le cas échéant, assiette taxable à l’ISF.
Le juge fiscal considère de longue date que le prix d’une transaction doit correspondre à la «valeur vénale» du bien, notion non définie par les textes, mais qui s’entend, selon le juge, du chiffre auquel aurait abouti le jeu normal de l’offre et de la demande à la date concernée.
L’observation du marché n’est cependant pas toujours évidente et ne donne pas de critère absolu sur la méthode de détermination du prix. Dès lors, les sources de désaccord avec l’administration fiscale sont potentiellement nombreuses. Dans ce contexte, il convient de saluer deux arrêts du Conseil d’Etat du 26 février 2016 (n° 376192, Sté Unibail-Rodamco SE ; n°382350, SA KLE1) qui confortent certaines pratiques de place.
Selon le Conseil d’Etat, la détermination de la valeur vénale de titres de sociétés immobilières peut intégrer des décotes dès lors que celles-ci reposent sur des pratiques de marché.
Les méthodes de détermination de la valeur vénale restent encore largement débattues avec l’administration fiscale devant les juridictions.
La première décote (Unibail) était liée aux droits de mutation : il est classique, dans une transaction immobilière, que l’acquéreur propose un montant global comprenant les droits qu’il devra acquitter, ce qui conduit à déterminer comme prix de la transaction une valeur «hors droits».
L’administration fiscale contestait la décote au motif que l’actif sous-jacent détenu par la société avait lui-même été valorisé «hors droits», évoquant l’idée erronée d’une «double décote».
Le second type de décote (KLE1) consistait à tenir compte du passif fiscal latent des sociétés immobilières, évalué à la date de la transaction.
En effet, il est de pratique tout aussi avérée que les acquéreurs exigent une décote tenant compte de la fiscalité latente recelée par les actifs immobiliers détenus par ces sociétés et dont ces dernières seront redevables lors de la cession ultérieure desdits actifs. Etant précisé qu’elles ne pourront pas, entre-temps, amortir ces actifs sur la base de la valeur retenue pour la transaction («déficit de base amortissable») et que les acquéreurs ne disposeront pas davantage de la faculté d’amortir le prix d’acquisition des droits représentatifs des biens immobiliers acquis, puisqu’il s’agit de titres.
Cependant, l’Administration refuse qu’il soit tenu compte d’une telle décote au motif que l’objet d’une société foncière n’est pas de céder ses actifs.
Sur le fond, le Conseil d’Etat admet que les décotes susvisées puissent être retenues. Dans l’arrêt Unibail, il confirme néanmoins l’arrêt d’appel défavorable, au motif que la société n’établissait pas suffisamment la pratique de marché invoquée.
Dans l’arrêt KLE1, il déjuge la Cour pour avoir refusé par principe l’application d’une décote. L’arrêt de renvoi sera scruté avec attention car, dans l’affaire Unibail, la Cour a refusé d’admettre qu’une pratique de marché soit établie par la combinaison d’attestations d’experts, d’une note d’un organisme professionnel et d’une transaction réelle, ce qui paraît très sévère.
Auteurs
Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité
Anne-Sophie Rostaing, avocat associé en fiscalité