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Prix de transfert dans les pays émergents et manuel de l’ONU

Prix de transfert dans les pays émergents et manuel de l’ONU

L’ONU a mis à jour son Manuel sur les prix de transfert. Y figure en particulier un chapitre rédigé par l’administration fiscale brésilienne faisant le point sur sa législation si particulière en matière de prix de transfert.

Le Manuel de l’ONU

La version 2021 du guide pratique des Nations Unies sur la détermination des prix de transfert pour les pays en développement a été publiée en avril dernier. Il s’agit de la 3e édition de ce Manuel élaboré par le comité d’experts de l’ONU. Ce Comité comprend 25 experts proposés par les gouvernements et choisis par le Secrétaire Général de l’ONU. Y participent des représentants des Etats et des personnalités qualifiées.

L’objet du Manuel est de donner des orientations pratiques à l’intention des gouvernements, des administrations fiscales et des contribuables qui répondent aux préoccupations des pays en développement. L’objectif affiché de ce manuel est de contribuer à une compréhension commune de la manière dont le principe de pleine concurrence doit être appliqué afin d’éviter la double imposition et prévenir ou résoudre les différends en matière de prix de transfert. Si la cohérence avec les principes OCDE est recherchée, elle reste non systématique car ce manuel vise à traiter les préoccupations et spécificités des pays non-membres de l’OCDE.

Cette nouvelle version très dense (pas moins de 570 pages) comprend plusieurs parties auxquelles s’ajoutent des fiches pays rédigées par les représentants des administration fiscales des pays concernés :

La partie A est un résumé global sur les enjeux des prix de transfert

La partie B traite du principe de pleine concurrence, des analyses de comparables et des méthodes de prix de transfert. Elle contient également des développements sur les services intra groupe qui intègre un chapitre sur les fonctions d’achat centralisées (paragraphes 5.6 et suivants). Elle contient aussi un nouveau développement (chapitre 9) sur les transactions financières intra groupe et l’application du principe de pleine concurrence aux prêts intra groupe.

La partie C traite de l’élaboration de la législation prix de transfert, des obligations documentaires, du contrôle des prix de transfert et des procédures amiables.

Enfin, la partie D contient les fiches pays parmi lesquelles notamment le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, le Mexique et un nouveau pays, le Kenya.

Focus sur le Brésil

Le Brésil est le plus « original » des pays émergents car il a une législation très particulière en matière de prix de transfert qui consiste à appliquer seulement les méthodes classiques de prix de transfert (CUP, Cost Plus et Resale Minus) et pour ces 2 dernières, un taux de marge fixe oscillant entre 15 % et 40 %. La législation brésilienne diverge donc non seulement des principes OCDE mais aussi des principes repris dans le Manuel ONU.

Dans la législation brésilienne actuelle, la notion de prix de marché n’est pas une notion pertinente.

Il n’y a pas non plus de choix de la « meilleure méthode ». Le contribuable peut recourir à l’une de ces trois méthodes, voire en utiliser plusieurs et choisir celle qui n’entraînera aucun ajustement ou le plus faible ajustement possible

Un prix plafond pour les importations

La loi brésilienne établit un prix plafond qui peut être déterminé selon trois méthodes.

  • Méthode du prix comparable sur le marché : il s’agit de la moyenne arithmétique des prix de vente de produits ou services similaires ou comparables avec des tiers indépendants sur le marché brésilien ou sur un marché étranger et ayant les mêmes conditions financières.
  • Méthode du prix de revente : il s’agit de la moyenne arithmétique du prix de revente des biens identiques ou similaires avec des tiers indépendants, réduite des rabais, des taxes exports, des commissions et d’une marge fixe. Il existe 3 niveaux de marges en fonction des secteurs d’activité. Le taux standard est fixé à 20 % et s’appliquera à tous les secteurs non listés pour les 2 autres taux. Un taux de 30 % s’applique pour les produits chimiques, l’industrie papetière, la métallurgie et le verre. Enfin un taux de 40 % s’applique pour les secteurs pharmaceutiques, du tabac, des biens d’équipements, pétrolier et gazier. Seules les ventes effectuées sur le marché intérieur brésilien peuvent être utilisées comme référence. Cependant, l’ajustement se fera sur l’ensemble des biens vendus sur le marché interne et extérieur.
  • Méthode du cost plus : il s’agit de la moyenne du coût de production d’un bien ou service similaire ou identique dans le pays de production augmenté des taxes à l’exportation et d’une marge de 20 %. Le coût de production est défini de manière relativement précise par l’instruction normative.

L’administration fiscale brésilienne donne un avis selon lequel la méthode du prix de revente est plutôt conseillée en cas d’importation, car la méthode du cost plus implique d’avoir accès aux coûts de l’entreprise étrangère, ce qui n’est pas toujours aisé pour elle ni souhaité par la société étrangère. Cela étant, en cas de facturation de services, l’avis de l’administration fiscale brésilienne nous parait difficile à suivre en pratique puisqu’il n’y a pas de revente par la filiale brésilienne.

Un prix plancher pour les exportations

Pour les exportations, le raisonnement est inverse à celui des importations ; l’entreprise brésilienne doit enregistrer une recette minimale imposable quand elle effectue une vente de biens et marchandises ou fournit des services à des sociétés liées domiciliées à l’étranger. Notons que si les prix de vente à l’exportation sont identiques à ceux pratiqués sur le marché libre domestique pour des produits comparables, il n’est pas nécessaire de les justifier par les méthodes ci-dessous.

  • Prix de vente à l’exportation : il s’agit de la moyenne arithmétique des prix export pratiqués par l’entreprise avec des sociétés indépendantes ou des prix pratiqués par d’autres sociétés brésiliennes dans leur vente avec des tiers pour un produit ou service comparable. Il s’agit donc d’une méthode du prix comparable sur le marché.
  • Prix de vente en gros moins : il s’agit de la moyenne arithmétique des prix de gros pratiqués dans le pays vers lequel a lieu l’exportation entre entreprises indépendantes, diminué des impôts de consommation et d’une marge de 15 % de ce prix.
  • Prix de vente au détail moins : il s’agit de la moyenne arithmétique des prix de détail pratiqués dans le pays vers lequel a lieu l’exportation entre entreprises indépendantes, diminué des impôts de consommation et d’une marge de 30 % de ce prix.
  • Cost Plus : il s’agit du prix moyen de production ou d’achat augmenté des taxes applicables et d’une marge de 15 % de ce coût.

Comme pour les importations, l’administration fiscale brésilienne est d’avis que la méthode du cost plus est la plus adaptée aux exportations dans la mesure où toutes les données sont entre les mains de la société brésilienne pour justifier des prix.

Il existe par ailleurs des règles spécifiques pour la fixation des taux d’intérêts et de redevances de marques, brevet : à nouveau ce sont des taux ou des marges fixés par la loi brésilienne qui s’imposent sans possibilité de les moduler.

Enfin, au regard de la documentation des prix de transfert, notons que le Brésil est également atypique car il n’y a pas de dépôt d’une documentation double (fichier central, fichier local). En revanche, le Brésil a adopté le format du rapport pays par pays.

Une législation défendue par l’administration fiscale brésilienne

Dans la fiche pays rédigée par un représentant de l’administration fiscale brésilienne, la volonté de justifier le bien-fondé de l’application de ces marges fixes est manifeste.

Les avantages attendus de l’utilisation de marges fixes sont notamment :

  • la simplicité d’application et le moindre coût : la détermination des prix de transfert peut se faire sans recourir à des connaissances très techniques ;
  • la sécurité juridique : il est aisé d’anticiper quels seront les prix de transfert avec les sociétés du groupe. Par ailleurs, et selon l’administration fiscale brésilienne, il n’y a pas de distorsion de concurrence puisque toutes les entreprises d’un secteur sont soumises à la même charge fiscale dans leurs relations intra groupe.

Néanmoins, le rapport reconnaît certaines faiblesses et non des moindres à nos yeux :

  • le risque d’engendrer une double imposition dans les cas où il n’y a pas de recours possible à la procédure amiable ; or force est de constater que malgré l’adoption d’une ordonnance en 2018, il ne semble pas que dans la pratique la procédure amiable fonctionne avec le Brésil ;
  • une divergence entre la profitabilité réelle et la base d’imposition.

Malgré cela, le représentant de l’administration fiscale brésilienne fait des recommandations aux pays qui envisageraient d’adopter la méthode des marges fixes, en suggérant de retenir des fourchettes de marges qui ressortiraient des statistiques de données sur des entreprises indépendantes.

Le Brésil a fait une demande d’adhésion à l’OCDE, qui impliquerait un changement drastique de sa législation en matière de prix de transfert. Toutefois, le processus est loin d’être terminé, si bien que les entreprises françaises doivent toujours adapter leur politique aux particularités de ce pays.

Article paru dans Option Finance le 25/10/2021

Auteurs

Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée en  droit fiscal