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Procédure disciplinaire : quelques pièges à éviter

Les décisions rendues par la Cour de cassation en 2013 encadrent plus encore l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire. Une grande rigueur s’impose donc désormais.

Le délicat maniement de la mise à pied conservatoire

Lorsque le salarié commet une faute, il peut être indispensable pour l’entreprise de suspendre immédiatement l’activité de ce dernier en attendant le prononcé de la sanction. L’employeur peut dans cette hypothèse avoir recours à une mise à pied conservatoire. Le contrat de travail est alors suspendu et la rémunération n’est pas versée.

Cette mesure a fait l’objet d’une construction largement jurisprudentielle. C’est en effet la Cour de cassation qui a précisé que la notification de la mise à pied conservatoire interrompt le délai de prescription ou encore que le prononcé d’une mise à pied à titre conservatoire n’implique pas nécessairement que le licenciement prononcé ultérieurement présente un caractère disciplinaire.

En 2013, la Cour de cassation s’est intéressée à la nécessité d’engager les poursuites dans une période contemporaine de la mise à pied conservatoire et a jugé, dans un arrêt du 30 octobre, qu’un délai de 6 jours, mais seulement 3 jours ouvrés, entre une mise à pied qualifiée de conservatoire et le début de la procédure disciplinaire est trop long si aucun motif ne justifie ce délai. La mise à pied n’est alors pas conservatoire mais disciplinaire et ne permet plus à l’employeur de prononcer un licenciement pour les mêmes faits. (n°12-22962)

Cette obligation d’engager les poursuites concomitamment à la mise à pied conservatoire connaît une seule dérogation rappelée dans cet arrêt. Elle concerne le cas où l’employeur a un motif légitime pour différer l’engagement des poursuites. En pratique, ce motif tient principalement à la nécessité de mener des investigations. Ainsi, dans un arrêt du 13 septembre 2012, la Cour de cassation a toléré, pour cette raison, un délai de 13 jours entre les deux mesures. (n°11-16.434)

Autre précision apportée en 2013 par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 décembre : la mise à pied conservatoire devient disciplinaire si l’employeur, qui a renoncé à licencier pour faute lourde ou grave, omet de la rémunérer. Seul le licenciement fondé sur une faute grave ou lourde dispense l’employeur de son obligation de paiement du salaire afférent à la période de mise à pied. Si la mise à pied n’est pas suivie d’un licenciement pour faute grave ou lourde, l’employeur doit verser le salaire correspondant. Ne pas le faire confère le caractère d’une sanction disciplinaire à la mise à pied ce qui prive de cause réelle et sérieuse le licenciement, le salarié ne pouvant être sanctionné deux fois pour les mêmes faits. (n°12-18548)

Le report de l’entretien préalable : trop de bienveillance peut nuire

L’employeur qui envisage de licencier un salarié a pour seule obligation de le convoquer régulièrement à un entretien préalable. Il n’est en principe pas tenu de reporter cet entretien lorsque l’intéressé est dans l’impossibilité de répondre favorablement à la convocation, notamment en cas d’arrêt de maladie. L’absence du salarié à l’entretien n’interdit pas à l’employeur de poursuivre la procédure et de prononcer le licenciement. Mais l’employeur peut aussi décider de reporter la date de l’entretien. Se pose alors la question du point de départ du délai maximal fixé par la loi pour notifier le licenciement envisagé lorsque celui-ci est d’ordre disciplinaire. En effet, selon l’article L1332-2 du code du travail, la sanction disciplinaire ne peut intervenir plus d’un mois après le jour de l’entretien préalable. Faut-il, en cas de report, s’en tenir à la date initiale de l’entretien ou à la nouvelle date fixée par l’employeur pour apprécier ce délai ?

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il convient de se placer à cette nouvelle date de l’entretien si le report est légitime. Il en est ainsi lorsque l’employeur a accepté la demande du salarié d’organiser un nouvel entretien ou est informé que le salarié était dans l’impossibilité de se présenter à l’entretien préalable et a reporté le rendez-vous.

Dans l’arrêt du 23 janvier 2013, la Cour de cassation décide en revanche que lorsque le salarié ne se présente pas à l’entretien et que l’employeur est seul à l’initiative du report, le délai court à compter du premier entretien. La bienveillance de l’employeur s’est, en l’espèce, retournée contre lui : le licenciement ayant été notifié trop tard, il est jugé sans cause réelle et sérieuse.

Ce faisant, la Cour de cassation dissuade fortement les employeurs de prendre l’initiative du report de l’entretien et ce d’autant plus qu’en vertu de l’article L 1232-2 du code du travail, l’entretien préalable au licenciement ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. En cas de report de l’entretien préalable au licenciement à la demande du salarié, la Cour de cassation a jugé que, le délai de cinq jours ouvrables prévu par l’article L 1232-2 du code du travail court à compter de la présentation de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de la lettre initiale de convocation. Mais compte tenu de la référence expresse à la demande du salarié quant à l’origine du report, on doit considérer que la même règle ne s’appliquerait pas en cas de report à l’initiative de l’employeur. Comme il est bien souvent impossible de notifier dans le délai d’un mois suivant le premier entretien et respecter un nouveau délai de 5 jours ouvrables pour convoquer une deuxième fois le salarié, il apparaît plus prudent pour l’employeur de renoncer à prendre l’initiative du report de l’entretien.

La découverte de faits nouveaux en cours de procédure : une grande complexité
L’hypothèse est celle où l’employeur a connaissance, après la tenue d’un entretien préalable et avant la notification d’une sanction, de nouveaux agissements fautifs du salarié. Cette situation crée une grande incertitude.

En effet, le salarié doit être entendu sur l’ensemble des faits dont il lui est fait grief. Fréquemment, un licenciement peut en définitive être envisagé alors que dans le cadre de la procédure initialement engagée seule une sanction moindre avait été visée. Pour ces deux raisons, il est nécessaire de convoquer le salarié à un deuxième entretien préalable. Il faut alors que la sanction soit notifiée dans le délai d’un mois qui suit la date du premier entretien. A défaut, l’employeur serait réputé avoir renoncé à sanctionner les faits reprochés au salarié au cours du 1er entretien. La difficulté est que dans cette hypothèse, il est souvent impossible de respecter le délai de 5 jours entre la convocation et la tenue de l’entretien. La solution consiste alors à choisir le moindre mal, c’est-à-dire la sanction pour non-respect de la procédure, plutôt que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Pour l’éviter, la tentation serait de notifier une première sanction pour les faits qui ont justifiés l’engagement de la première procédure, puis entamer une seconde procédure pour les agissements révélés après. Toutefois, dans un arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation a jugé que l’employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n’en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction. Cette solution est donc à proscrire sauf à pouvoir rapporter la preuve que la date à laquelle l’employeur a eu connaissance des faits révélés dans un second temps est postérieure à la notification de la première sanction.

Renoncer à sanctionner n’est pas dénué de conséquence

La procédure disciplinaire a pour objet de garantir au salarié une possibilité de convaincre son employeur de renoncer à la sanction envisagée. Aussi, renoncer à sanctionner devrait être considéré comme une conséquence normale du respect de la procédure disciplinaire, une fin heureuse dont il ne serait pas possible de tenir rigueur à l’employeur.

C’est ce qu’a admis la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre 2013 en y apportant toutefois une réserve. Le seul engagement d’une procédure disciplinaire qui n’a pas été menée à son terme ne saurait caractériser un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles juge-t-elle, dès lors que cette mise en Å“uvre ne procède pas d’une légèreté blâmable ou d’une intention malveillante.

La Cour de cassation applique ici les limites classiques de l’abus de droit. On savait qu’une sanction peut être abusive. Désormais, engager une procédure disciplinaire sans prononcer de sanction, pourra l’être également.

Une sanction verbale épuise le pouvoir disciplinaire

Le 14 novembre 2013, la Cour de cassation a eu à connaître du cas d’espèce suivant : un salarié est convoqué à un entretien préalable auquel il ne se présente pas. A l’issue de cet entretien, son employeur lui notifie verbalement une mise à pied de trois jours qui produit ses effets. Peu de temps après, l’employeur décide d’annuler la procédure disciplinaire ainsi menée et pour ce faire rémunère les jours de mise à pied. Le salarié est alors mis à pied à titre conservatoire et licencié pour faute grave.

La Cour de cassation juge que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire par la notification de la mise à pied, même verbale et ne peut, relativement aux faits sanctionnés, le restaurer en décidant unilatéralement d’annuler la mesure ainsi notifiée. Le licenciement est jugé dénué de cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt confirme l’extrême sévérité de la Cour de cassation à l’endroit des sanctions verbales. Ces dernières sont nécessairement irrégulières, nécessairement injustifiées, mais elles produisent leurs effets. On savait qu’un licenciement verbal rompt le contrat de travail, il est ici rappelé que toute sanction verbale épuise le pouvoir disciplinaire de l’employeur et ce, sans droit à l’erreur dans la mesure où il lui est dénié la possibilité de rétracter unilatéralement une telle sanction. Ce faisant, la Cour de cassation incite à se garder de tout comportement qui pourrait être analysé comme une sanction verbale.

 

A propos de l’auteur

Marie Content, avocat. Elle exerce son activité contentieuse plus particulièrement devant le conseil de prud’hommes (contentieux relatifs à la rupture du contrat de travail, au harcèlement moral, à l’application du principe « à travail égal – salaire égal », à la discrimination, au temps de travail, …) ; le tribunal d’instance (litiges relatifs aux élections et à la désignation des représentants du personnel,… ) ; le tribunal des affaires de sécurité sociale (contentieux urssaf, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable, ….) ; le tribunal de police et le tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délits commis par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail – injures, vols, escroquerie…) ; le tribunal de commerce (concurrence déloyale imputable à d’anciens salariés) et le tribunal administratif et la cour administrative d’appel (contentieux relatifs aux demandes d’autorisation administrative de licenciement des salariés protégés …)

 

Article paru dans Les Echos Business du 3 février 2014