Produits et charges relevant de taux d’IS différents : la fongibilité reconnue
Dans une affaire suivie par nos soins concernant une société soumise au régime des SIIC (sociétés d’investissements immobiliers cotées), le Conseil d’Etat a confirmé que les déficits relevant du taux normal de l’IS et les plus-values relevant du taux réduit se compensent.
Plus largement, cette décision confirme le caractère fongible des produits et des charges qui constituent l’assiette de l’impôt sur les sociétés, quel que soit le taux dont ils relèvent, sauf disposition légale contraire (CE, 11 avril 2018, n°414489 et n°414493, Société Foncière des Régions). La solution retenue par le Conseil d’Etat présente ainsi un intérêt qui va au-delà du régime particulier des SIIC puisqu’elle a vocation à s’appliquer dans toutes les hypothèses où un contribuable dispose d’un secteur taxable au taux normal de l’impôt sur les sociétés et d’un secteur soumis à un taux réduit.
En l’espèce, la décision est favorable au contribuable. La société requérante avait opté pour le régime d’exonération d’impôt sur les sociétés des SIIC régi par les articles 208 C et suivants du Code général des impôts (CGI). A la suite de l’absorption de filiales, en application de l’article 208 C ter du CGI elle a réintégré dans son secteur d’activité imposable le quart des plus-values latentes constatées sur les actifs des sociétés absorbées devenus éligibles au régime SIIC. Elle a alors imputé ces plus-values latentes sur le déficit constaté dans son secteur imposable.
L’administration a remis en cause cette imputation, considérant que les plus-values latentes devaient être imposées séparément au taux prévu par le IV de l’article 219 du CGI (taux s’élevant à 16,5% à la date des faits, puis 19%).
La société faisait valoir de son côté que cette solution n’était pas applicable dès lors que, contrairement aux plus-values et moins-values à long terme, les plus-values visées à l’article 208 C ter ne font pas l’objet d’une imposition séparée mais doivent, en application du texte même de cet article, être réintégrée au résultat fiscal de la société soumis à l’impôt sur les sociétés. Elle se prévalait notamment d’une décision n° 82520 du 13 décembre 1972 par laquelle le Conseil d’Etat avait jugé qu’une société exerçant son activité en métropole, où elle était soumise au taux normal, et à la Réunion, où elle était soumise au taux réduit, était tenue d’imputer les bénéfices réalisés à la Réunion sur ses déficits constatés en métropole.
Le Conseil d’Etat avait en effet rappelé à cette occasion qu’il résulte des dispositions de l’article 218 du CGI que « sous réserve des dispositions des a à f du I de l’article 219 », qui prévoient en particulier l’imposition séparée des plus-values à long terme, « l’impôt sur les sociétés est établi sous une cote unique au nom de la personne morale ou association pour l’ensemble de ses activités imposables en France », si bien que l’assiette de l’impôt sur les sociétés doit être déterminée « en tenant compte des résultats d’ensemble » de l’exploitation d’une entreprise (art. 38 du CGI), quels que soient les taux auxquels ces résultats sont soumis.
Le Conseil d’Etat fait intégralement droit à l’argumentation du contribuable. Il a ainsi notamment souligné que « les dispositions du IV de l’article 219 du CGI qui concernent le taux de l’impôt sur les sociétés applicable notamment, à ces plus-values latentes, n’ont ni pour objet, ni pour effet de déroger aux règles, rappelées ci-dessus, qui déterminent l’assiette de l’impôt sur les sociétés ». Il en conclut que la Cour administrative d’appel a valablement admis qu’« aucun principe de non-fongibilité des charges et produits soumis à des taux d’impôt sur les sociétés différents ne faisait obstacle à ce que ces plus-values soient compensées par des déficits du secteur imposable ».
En pratique, la portée de cette décision ne devrait pas se limiter aux seules plus-values latentes constatées par des sociétés SIIC, mais également aux plus-values relevant du taux réduit constatées en cas de transformation d’une société soumise à l’IS en SPPICAV. Plus généralement, cette solution serait transposable chaque fois qu’une société réalise des bénéfices et des pertes relevant de taux d’imposition différents, sauf disposition légale prévoyant explicitement leur imposition séparée. La compensation se fait alors « à l’euro l’euro » (voir en ce sens CE 13 décembre 1972 précité).
Auteurs
Stéphane Austry, avocat associé au sein du département doctrine fiscale, professeur associé, Ecole de Droit de la Sorbonne, Université Paris I
Sarah Dardour-Attali, avocat, droit fiscal