Projet de loi de finances pour 2021 : un peu d’oxygène fiscal pour les entreprises
Le 28 septembre dernier, le gouvernement a rendu public le projet de loi de finances pour 2021. Ce texte, très attendu au vu de la gravité de la crise économique déclenchée par l’épidémie de Covid-19, intègre un plan de relance de 100 milliards d’euros destiné à favoriser le retour dès 2022 d’un niveau d’activité d’avant crise. Le point sur ces mesures.
Le plan de relance inclut des mesures importantes d’allègement d’impôts telles que la baisse de moitié de la CVAE et des mesures plus ciblées, déjà mises en œuvre par le passé, destinées à renforcer les fonds propres et le niveau de trésorerie des entreprises. Ces mesures ciblées s’articulent autour d’un dispositif de neutralisation fiscale des écarts de réévaluation des actifs des entreprises, d’une part, et d’un dispositif d’étalement de la plus-value réalisée à l’occasion d’opérations de cession-bail d’immeubles, d’autre part.
- Un dispositif de renforcement des fonds propres des entreprises à travers la mise en place d’un régime de sursis d’imposition des gains de réévaluation
Compte tenu de la crise actuelle, nombreuses sont les sociétés qui, au terme de l’exercice 2020, risquent de voir leur niveau de fonds propres se dégrader et, mécaniquement, le coût de leur financement augmenter.
Un outil simple et rapide permet habilement d’améliorer leur situation nette tout en donnant une image plus fidèle de leur patrimoine. Il s’agit de la réévaluation libre des actifs immobilisés corporels et financiers prévue à l’article L 123-18 du Code de commerce. Ce procédé consiste, pour une entreprise, à inscrire l’ensemble des actifs immobilisés corporels et financiers (à l’exclusion donc des actifs incorporels) pour leur valeur réelle et à comptabiliser par une écriture de capitaux propres un écart de réévaluation égale à la différence entre la valeur comptable des actifs réévalués et leur valeur réelle. Ce procédé, cependant, présente un inconvénient majeur : il emporte une variation d’actif net à concurrence de cet écart de réévaluation qui est immédiatement imposable.
Afin de lever cette contrainte, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit la mise en place, au titre des exercices clos entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2022, d’un mécanisme optionnel de sursis d’imposition du gain de réévaluation. Codifié à l’article 238 bis JB du CGI, ce sursis, directement inspiré de celui appliqué dans le cadre du régime des fusions, serait temporaire : l’imposition de l’écart de réévaluation interviendrait ultérieurement selon des modalités qui diffèrent en fonction de la nature (amortissable ou non amortissable) des immobilisations.
S’agissant des immobilisations non amortissables, l’écart de réévaluation bénéficierait d’un sursis d’imposition jusqu’à la vente ultérieure desdits actifs et pour autant que l’entreprise ayant procédé à la réévaluation s’engage à calculer la plus-value ou moins-value réalisée ultérieurement d’après les valeurs non réévaluées des actifs cédés. On peut s’interroger sur la portée de cet engagement notamment lorsque, parmi les actifs réévalués, figurent des titres de participation. L’écart de réévaluation constaté à raison de ces titres sera-t-il taxable à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun lors de la vente ultérieure des titres ou se fondra-t-il dans la « plus-value fiscale » de cession de titres de participation bénéficiant du régime des plus-values à long-terme ? Ce point gagnerait à être précisé. En attendant, la prudence sera de mise puisque la jurisprudence du Conseil d’Etat refuse le régime du long-terme aux écarts de réévaluation, ces derniers n’étant pas assimilables à une cession.
Le projet de loi de finances prévoit, en outre, que les provisions pour dépréciation constituées en vue de faire face à la dépréciation des immobilisations non amortissables réévaluées seraient déterminées par référence à la valeur fiscale des actifs réévalués. Une telle provision ne serait donc admise, sur le plan fiscal, qu’à la condition que la valeur réelle de ces immobilisations, à la clôture de l’exercice, devienne inférieure à la valeur fiscale (c’est-à-dire la valeur avant réévaluation) des actifs.
S’agissant des immobilisations amortissables, l’écart de réévaluation serait imposé de manière étalée pendant une durée variable en fonction de la nature immobilière ou mobilière du bien réévalué. Pour les constructions, agencements et aménagements de terrains, l’imposition interviendrait de manière étalée et par parts égales sur une période de 15 ans. Pour les autres immobilisations, la réintégration s’opérerait sur une durée plus courte de 5 ans. On notera que ces durées, identiques à celles prévues dans le régime de faveur des fusions, ne donnent pas l’assurance d’une complète neutralité fiscale de la réévaluation, le rythme d’amortissement des biens réévalués pouvant être plus long que celui de l’imposition étalée de l’écart d’évaluation. Le texte prévoit également, comme en matière de fusion, que toute cession de l’actif immobilisé avant la fin de la période de réintégration de l’écart de réévaluation rendrait immédiatement imposable le solde de l’écart de réévaluation non encore imposé. En contrepartie de l’imposition étalée de l’écart de réévaluation, la base de calcul des amortissements, provisions et plus-values de cession ultérieurs afférents aux immobilisations amortissables serait calculée d’après les valeurs réévaluées.
Le texte demeure, à ce stade, silencieux sur un point important : le sort des provisions pour amortissements dérogatoires qui, en cas de réévaluation libre, doivent être reprises et imposées. Il serait bienvenu que le dispositif soit complété afin de préciser que l’étalement de l’imposition s’applique également à ces reprises de provisions, il en va de l’attractivité du régime.
Enfin, on notera qu’une obligation déclarative serait mise à la charge des sociétés optant pour le sursis d’imposition. Un état de suivi, à joindre à leur déclaration de résultats, mentionnerait, de la même manière que pour l’état visé à l’article 54 septies I en cas de fusion, tous les renseignements requis pour calculer les amortissements, les provisions et les plus-values ou moins-values relatives aux immobilisations réévaluées.
- Un dispositif de renforcement de la trésorerie des entreprises à travers une imposition étalée des plus-values dégagées en cas de cession-bail d’immeubles
Les opérations de cession-bail d’immeubles constituent pour les entreprises propriétaires de leur immobilier d’exploitation un moyen rapide de dégager des liquidités tout en conservant l’usage des biens cédés en vertu d’un contrat de crédit-bail.
Ces opérations, proposées par les établissements de crédit-bail, présentent aujourd’hui un inconvénient majeur : elles s’accompagnent de l’imposition immédiate des plus-values latentes que recèlent les actifs immobiliers cédés.
Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit de lever temporairement cet obstacle en instituant au II de l’article 39 novodecies du CGI un mécanisme, inspiré de celui déjà appliqué entre 2009 et 2012, d’imposition étalée de la plus-value de cession de l’actif immobilier.
Seraient éligibles au dispositif les immeubles affectés par le crédit-preneur à son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Les immeubles affectés à une activité de gestion de son propre patrimoine en seraient exclus. Une exception serait toutefois prévue en cas de sous-location de l’immeuble par le crédit-preneur à une entreprise qui lui est liée au sens de l’article 39, 12 du CGI et qui utilise l’immeuble pour les besoins de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Cette exception, pragmatique et bienvenue, permettra ainsi aux groupes, au sein desquels l’immobilier d’exploitation est regroupé au sein d’une foncière, de bénéficier de ce régime favorable.
Le dispositif consisterait à étaler la plus-value de cession par parts égales sur la durée d’exécution du contrat sans excéder quinze ans. Cette imposition serait, toutefois, en pratique, contrebalancée par la déduction (totale ou partielle selon les dispositions de l’article 39, 10 du CGI) des loyers du crédit-bail.
Pour les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu, l’administration devrait venir préciser, comme elle l’avait fait en 2009, que le dispositif se cumule avec l’abattement pour durée de détention de 10 % par année de détention échue au-delà de la cinquième, applicable aux plus-values à long-terme de cession d’immeubles.
En cas d’acquisition de l’immeuble par le crédit-preneur avant le terme du crédit-bail ou de résiliation de celui-ci, le solde de la plus-value non encore imposée deviendrait immédiatement taxable.
On précisera, enfin, que ce dispositif serait, comme le précédent, temporaire. Il s’appliquerait aux cessions d’immeubles réalisées à compter du 1er janvier 2021 jusqu’au 30 juin 2023 et précédées d’un accord de financement accepté par le crédit-preneur à compter du 28 septembre 2020 et au plus tard le 31 décembre 2022.
Les entreprises disposeront donc, dans les prochaines semaines, de deux outils de renforcement de leurs fonds propres et de leur trésorerie sans coût fiscal exorbitant. Cet oxygène fiscal en temps de pandémie sera le bienvenu.
Auteurs
Olivier Teixeira, avocat counsel en droit fiscal
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