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Proposition de directive DEBRA : renforcer ses fonds propres plutôt qu’emprunter

Proposition de directive DEBRA : renforcer ses fonds propres plutôt qu’emprunter

La Commission européenne a publié une proposition de directive qui permet sous certaines conditions la déduction d’intérêts notionnels, mais qui apporte une nouvelle restriction à la déduction des charges financières nettes.

La Commission européenne a publié le 11 mai 2022 une proposition de directive visant à lutter contre les incitations fiscales favorisant l’endettement (Directive « DEBRA », pour « Debt-Equity Bias Reduction Allowance » : proposition de Directive du Conseil établissant des règles relatives à un abattement pour la réduction de la distorsion fiscale en faveur de l’endettement et à la limitation de la déductibilité des intérêts aux fins de l’impôt sur les sociétés, 11 mai 2022, COM (2022) 216 final). Cette proposition repose sur l’idée que compte tenu des règles fiscales actuelles accordant un traitement fiscal plus favorable aux dettes qu’aux fonds propres, les entreprises sont fortement incitées à emprunter plutôt qu’à renforcer leurs fonds propres. Actuellement, au sein de l’Union européenne, seuls six Etats membres ont introduit dans leur législation diverses mesures d’encouragement à la recapitalisation destinées à lutter contre l’asymétrie du traitement fiscal de la dette et des capitaux propres (Belgique, Portugal, Pologne, Chypre, Malte, Italie).

La proposition de directive comporte deux volets : d’une part, l’instauration sous certaines conditions d’une déduction des intérêts notionnels, d’autre part, une nouvelle restriction à la déduction des charges financières nettes. On notera que l’idée d’inciter les entreprises à renforcer leurs fonds propres en leur permettant, sous certaines conditions, de déduire leurs augmentations de fonds propres, n’est pas nouvelle : elle figurait déjà à l’article 11 de la proposition de Directive « ACIS » (proposition de Directive du Conseil du 25 octobre 2016 concernant une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés COM(2016) 685 final) et a été réitérée à plusieurs reprises.

La directive DEBRA serait applicable à toutes les entités soumises à l’impôt sur les sociétés dans un ou plusieurs Etats membres, y compris aux établissements stables européens d’entités sises dans des Etats tiers. Certaines entreprises du secteur financier seraient toutefois exclues du champ d’application de la directive, car elles sont déjà soumises à des exigences réglementaires en matière de fonds propres qui empêchent leur sous-capitalisation.

En l’état actuel du texte, la transposition de la directive devrait avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2023, pour une application à compter du 1er janvier 2024. Pour les six Etats membres qui ont déjà adopté un dispositif de déduction des intérêts notionnels, l’application des règles issues de la directive DEBRA pourrait toutefois être reportée.

  1. Déduction des intérêts notionnels

La proposition de directive prévoit la déduction, pendant dix exercices consécutifs, d’intérêts notionnels calculés sur la variation positive des fonds propres « nets » de l’entité, constatée entre la clôture de l’exercice N et la clôture de l’exercice N-1.

Les fonds propres « nets », dont l’augmentation ouvrirait droit à une déduction, seraient déterminés en faisant la somme du capital libéré, des primes d’émission, des réserves de réévaluation, des autres réserves et du report à nouveau, puis en déduisant de cet agrégat la valeur fiscale des participations dans le capital d’entreprises associées ainsi que la valeur fiscale des participations auto-détenues.

Un taux d’intérêt notionnel (« TIN ») serait ensuite appliqué à la variation positive des fonds propres « nets » pour calculer le montant déductible. Le « TIN » serait composé de deux taux : un taux d’intérêt sans risque à 10 ans pour la monnaie concernée et une prime de risque de 1 % (ou 1,5 % pour les PME au sens communautaire). Par exemple, si une société constate une variation positive de ses fonds propres “nets” de 1 M€ entre la clôture de l’exercice N-1 et la clôture de l’exercice N, et si l’on prend pour hypothèse un taux « TIN » égal à 2,5 %, le montant des intérêts notionnels déductible au titre de chacun des dix exercices consécutifs à partir de l’exercice N s’élèverait à 25 000 €.

Le montant déductible ainsi calculé par exercice serait toutefois limité à 30 % de l’EBITDA (« earnings before interest, tax, depreciation and amortisation »), avec possibilité, si le montant déductible des intérêts notionnels était supérieur à cette limite, de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. Autre possibilité de report : si le résultat net imposable d’un des exercices de la période de déduction était insuffisant pour permettre la déduction des intérêts notionnels (en tout ou partie), le montant des intérêts ne pouvant être déduit au titre de l’exercice serait reporté en avant, sans limitation de durée.

Mais attention au retour de balancier : dans le cas où une société, après avoir bénéficié d’une déduction des intérêts notionnels, voit ses fonds propres “nets” diminuer, un pourcentage de cette variation négative serait taxable pendant dix exercices consécutifs. La variation négative servant de base au calcul du montant à réintégrer serait retenue dans la limite de l’augmentation totale des fonds propres “nets” qui a donné lieu à déduction. Le contribuable pourrait toutefois échapper à cette imposition en démontrant que la baisse des fonds propres “nets” est due à des pertes comptables ou à une obligation légale de réduction du capital.

La proposition de directive prévoit plusieurs mesures anti-abus. En premier lieu, ne doit pas être prise en compte l’augmentation des fonds propres “nets” qui résulte des prêts accordés par une entreprise liée, du transfert entre entreprises associées de titres de participation ou d’une activité économique en continuité d’exploitation, ou de l’apport en numéraire provenant d’une personne résidant fiscalement dans une juridiction qui n’échange pas d’information avec l’Etat membre dans lequel le contribuable souhaite bénéficier du dispositif de déduction des intérêts notionnels.

Ces sommes n’ont cependant pas à être exclues de l’assiette de calcul des intérêts notionnels déductibles si le contribuable établit que ces opérations ont été réalisées pour des raisons commerciales valables et n’entrainent pas une double déduction des intérêts notionnels.

Par ailleurs, la proposition de directive prévoit qu’en cas d’augmentation des fonds propres résultant d’un apport en nature ou d’un investissement dans un actif, les Etats membres doivent prendre les mesures appropriées pour s’assurer que la valeur de l’actif n’est retenue dans l’assiette de calcul des intérêts notionnels que si l’actif est nécessaire à l’activité génératrice de revenus. Si les actifs sont des actions, ils sont pris en compte pour leur valeur comptable. Les actifs autres que des actions sont quant à eux pris en compte pour leur valeur de marché, sauf si une valeur différente est attribuée par un auditeur externe certifié.

Enfin, en cas d’augmentation des fonds propres résultant de la réorganisation du groupe, cette augmentation ne peut être prise en compte dans l’assiette de calcul des intérêts notionnels que dans la mesure où elle n’entraine pas la conversion en fonds propres nouveaux de fonds propres qui existaient déjà dans le groupe avant la réorganisation.

  1. Limitation de la déduction des charges financières nettes

La proposition de directive contient également une règle de limitation de la déduction des intérêts. Cette nouvelle mesure s’appliquerait avant les règles de limitation déjà applicables, issues de la directive 2016/1164 du 12 juillet 2016 dite « ATAD 1 » (on rappelle que cette directive a été transposée en droit interne français aux articles 212 bis et 223 B bis du CGI).

Les charges financières nettes – qui s’entendent de la différence entre les produits financiers et les charges financières, telle que définie par la directive « ATAD 1 » – seraient ainsi déductibles à hauteur seulement de 85 % de leur montant. Si par exemple les charges financières nettes de l’exercice N s’élèvent à 4 M€, l’application du « rabot » prévu par la proposition de directive DEBRA aurait pour effet de limiter à 3,4 M€ le montant des charges financières nettes potentiellement déductibles. Mais 15 % de ces charges, soit 600 000 €, seraient définitivement exclues de la déduction.

Le plafond de 85 % des charges financières nettes serait ensuite comparé au montant des charges financières nettes tel que déterminé en application de la directive « ATAD 1 ». Le plus petit de ces deux montants constituerait la limite de déduction au titre de l’exercice.

Si le plafond issu de la directive DEBRA était supérieur à la limite résultant de l’application de la directive « ATAD 1 », la différence entre ces deux montants pourrait être reportée en avant (ou en arrière). Dans notre exemple, si la limite de déduction résultant de l’application de la directive « ATAD 1 » était par hypothèse égale à 3,3 M€, le montant déductible des charges financières nettes de l’exercice N serait plafonné à ce montant. L’excédent entre le plafond « DEBRA » et la limite « ATAD 1 » (soit 100 000 €) serait reportable indéfiniment.

A l’inverse, si le plafond « DEBRA » était inférieur à la limite « ATAD 1 », c’est le plafond « DEBRA » (donc le montant des charges financières nettes « raboté » à 85 %) qui constituerait la limite de déduction pour l’exercice N, et aucun report ne serait ensuite permis pour la fraction des charges financières nettes comprises entre ce plafond et la limite « ATAD 1 ».

Cette nouvelle règle de limitation de la déduction des charges financières nettes serait applicable aux charges financières nettes encourues à compter de l’entrée en vigueur de la directive DEBRA, et serait donc susceptible d’être mise en œuvre à raison d’emprunts contractés antérieurement.

Article paru dans Option Finance le 27/06/2022

Auteurs

Amélie Nithart, fiscaliste