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Protection du concept : l’action en parasitisme inefficace

Protection du concept : l’action en parasitisme inefficace

Les idées s’envolent, les concepts restent… Le droit d’auteur ne protège que l’expression matérielle de l’idée. Cette dernière en effet doit rester de libre reprise sous peine d’entraver la créativité artistique.

En revanche, l’idée telle qu’elle est matérialisée, et en quelque sorte réalisée sur un support tangible, doit être protégée de toute reprise indue. Si la théorie paraît relativement simple, une telle règle pose bien des difficultés en pratique, notamment lorsqu’il s’agit pour une entreprise de protéger un concept clé. A l’heure où l’originalité d’une offre commerciale constitue souvent la valeur économique centrale d’une entreprise, la protection du concept est un enjeu majeur au regard de ces règles du droit d’auteur.

C’est l’objet de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 juin 2017 (Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n°14-20.310). En l’espèce, un artiste avait réalisé une série de dessins identifiant des mets par référence à des vins auxquels ils sont associés. Il était ainsi titulaire de plusieurs marques semi-figuratives françaises constituées de l’appellation de mets dans trois déclinaisons, comme « spaghetti pasta tortellini », « agneau lamb agnello », ou encore « canard duck pato ».

Ayant obtenu une licence d’exploitation exclusive sur ces marques et dessins, la Société Vinival les apposait sur des bouteilles de sa gamme « boire et manger ». L’auteur avait par la suite transféré le bénéfice de cette licence à sa société Planète terroirs.

Or, à la suite de la cessation définitive d’activité de Planète terroirs, Vinival avait cessé de régler les redevances. Constatant que la société Lacheteau, venant aux droits de Vinival, continuait de commercialiser des bouteilles de vins avec ses dessins, l’auteur l’avait assignée en contrefaçon de droits d’auteur et de marques et en parasitisme.

Si l’auteur a eu – sans surprise – gain de cause sur la question de la contrefaçon, la décision est plus particulièrement intéressante sur le terrain du parasitisme.

La Cour d’appel avait en effet souligné que la société Lacheteau avait poursuivi le concept créé par le demandeur en déclinant certains des marques et dessins par l’adjonction du terme « Big » et en déposant une marque semi-figurative « dinde turkey pavo » dans un style similaire. Elle s’était ainsi, selon les juges du fond, « approprié une façon innovante de représenter sur une bouteille de vin un dessin décoratif suggérant de façon ludique l’association du breuvage à un plat ». Elle avait donc cherché à profiter, sans bourse délier, de ce concept et de son succès économique et en cela, avait commis des actes de parasitisme engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 (anciennement 1382) du Code civil.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, énonçant de manière laconique que « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme ».

Cette solution n’est pas nouvelle, et la Cour s’inscrit en cela dans une jurisprudence relativement constante, dont il est cependant délicat de tirer des enseignements solides.

L’acte de parasitisme est classiquement défini par les tribunaux comme le fait, pour un agent économique, de « s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de la notoriété acquise ou des investissements consentis » (en ce sens, v. not. CA Paris, 7 octobre 2015, n°10/11257). Il s’agit là d’une notion juridique utile car extrêmement souple et donc susceptible d’applications variées.

Il n’est alors pas surprenant que cette notion ait trouvé application pour protéger un concept. Pourtant, la jurisprudence en la matière semble variable.

Le tribunal de commerce de Paris a pu ainsi préciser que le concept protégeable est celui qui « constitue une valeur économique, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements » (T. Com. Paris, 28 septembre 2015, n°2014-027464, Sound Strategy c. Concepson ; analyse confirmée en appel : CA Paris, 7 mars 2017, n°15/22802). En s’inspirant indûment du site Internet et des conditions générales d’un concurrent, la société en cause avait alors commis des actes de parasitisme.

De même, la Cour de cassation a pu juger, dans un arrêt très remarqué, que la reprise d’un concept original développé par un étudiant constituait un acte de parasitisme, ce concept constituant une réelle valeur économique (Cass. com., 31 mars 2015, n°14-12.391).

En revanche, la première chambre civile a rappelé que la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés, pour rejeter une action fondée sur le parasitisme (Civ. 1re, 17 juin 2003, n°01-17.650). Dans cette affaire, elle avait donné raison aux juges du fond, estimant que le concept en cause n’avait pas fait l’objet d’une manifestation matérielle suffisamment définissable pour représenter une valeur monétaire.

Cette jurisprudence peut alors sembler incohérente.

On remarquera cependant que les juges cherchent avant tout à caractériser le concept en cause. Ainsi, un concept précisément délimité, matériellement réalisé et représentant une valeur économique réelle pourra faire l’objet d’une protection au titre du parasitisme. Il faudra alors, pour obtenir gain de cause sur ce fondement, justifier très précisément des investissements réalisés pour développer et mettre en œuvre le concept et sa valeur d’actif clé pour l’entreprise.

La décision de la Cour de cassation peut donc sembler sévère, mais doit être approuvée en ce qu’elle s’inscrit dans cette logique économique propre à la notion de parasitisme. Ouvrir trop largement la sanction au titre du parasitisme reviendrait à affaiblir la portée de la protection au titre du droit d’auteur. A l’inverse, refuser toute protection dissuaderait l’entreprenariat et nierait la valeur économique et concurrentielle réelle que peut avoir le concept.

Si donc l’idée doit rester de libre parcours en droit d’auteur, le concept doit être protégé au titre du parasitisme en ce qu’il constitue un actif économique clé de l’entreprise.

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Clotilde Patte, juriste, droit de la propriété intellectuelle