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Protection des lanceurs d’alerte : les apports de la Loi Sapin II

Protection des lanceurs d’alerte : les apports de la Loi Sapin II

Jusqu’à la loi Sapin II, la protection des lanceurs d’alerte ne résultait pas d’un texte général outre son évocation dans certaines dispositions du Code du travail dans des domaines spécifiques, sans nécessairement de logique d’ensemble. La jurisprudence, encore tout récemment, s’était par ailleurs intéressée à la question dans le cadre de contentieux relatifs au licenciement pour motif personnel.

La loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique codifie la définition et la protection du lanceur. Ses dispositions, pour la plupart, trouvent à s’appliquer dès le 11 décembre 2016, certaines restent soumises à la parution d’un décret.

Une définition des lanceurs d’alerte protégés par loi

Tout en s’écartant sensiblement de la rédaction d’abord envisagée par le projet de loi¹, la Loi Sapin II dispose que bénéficie de la protection la personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral ou d’une organisation internationale sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

On constate immédiatement que le texte exclut les personnes morales du champ de la protection pour la réserver aux personnes physiques.

Par ailleurs, si le champ de l’alerte s’avère large puisqu’il vise l’ensemble des crimes et délits, les signalements ne relevant pas de ces derniers sont appréciés beaucoup plus restrictivement puisque la protection ne pourra jouer qu’en cas de violation grave et manifeste ou en cas de menace ou de préjudice graves pour l’intérêt général.

Pour autant, la loi s’avère muette sur ce qu’il convient d’entendre, notamment, par la notion d’intérêt général. Dès lors, elle laisse le juge interpréter cette notion dans chaque cas d’espèce ouvrant la porte à un contentieux tant abondant qu’incertain.

Le lanceur d’alerte doit agir de bonne foi ; laquelle peut être définie par opposition à la mauvaise foi qui suppose la connaissance par le salarié de la fausseté des faits allégués.

L’action désintéressée du lanceur d’alerte, condition de sa protection, s’accompagne également de l’absence de recherche de la satisfaction d’un intérêt personnel qu’il soit matériel ou financier, postulant une forme de désintéressement moral renvoyant à un souci de l’intérêt général.

Une fois encore, la notion de « désintéressement » largement entendue laisse une place à l’interprétation sachant que le lanceur d’alerte, tel qu’appréhendé en matière de fraude fiscale internationale, peut différer de la définition retenue par la loi.

Enfin, la connaissance des faits objet de l’alerte doit être personnelle ce qui suppose qu’est exclue l’alerte fruit d’une simple déduction à partir d’autres faits ou encore le relai d’informations ou de faits déjà divulgués.

Une procédure de signalement encadrée par la loi

La protection du lanceur d’alerte suppose le respect d’une procédure en trois temps :

  • le salarié doit en premier lieu porter le signalement à la connaissance de son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par ce dernier ;
  • si le premier destinataire n’a pas vérifié la recevabilité du signalement dans un délai raisonnable, le salarié peut adresser celui-ci à l’autorité judiciaire, administrative ou un ordre professionnel ;
  • en dernier ressort et à défaut de traitement de l’alerte par lesdites autorités, dans les trois mois de leur saisine, le salarié peut la rendre publique.

Par exception à ce triptyque, l’alerte peut être portée directement à la connaissance des autorités précitées et être rendue publique en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles.

On relèvera que les représentants du personnel sont absents de la procédure, sachant qu’ils bénéficient par ailleurs d’un droit d’alerte spécifique².

Si la définition même de la protection du lanceur est porteuse de risque de contentieux parce que sujette à interprétation, la même critique peut être formulée à l’égard de la procédure de signalement.

En effet, qu’entend-on par « délai raisonnable » dont le terme déclenche la mise en œuvre de la seconde étape ? Comment pourra s’apprécier l’imminence ou le risque de « dommages irréversibles » permettant de passer outre l’ensemble des trois étapes de la procédure ?

Enfin, on ne manquera pas de noter la possible délicate articulation entre l’application des délais de sanction disciplinaire en droit du travail et le probable long délai d’examen de la pertinence du signalement dans le cadre de la procédure qui lui est propre s’il s’avère, in fine, que la nature de ce dernier n’ouvre droit à aucune protection.

Autant de questions qui trouveront, peut-être, leur réponse devant les tribunaux, ce qui reste source d’une grande insécurité juridique.

Quelle protection effective pour le lanceur d’alerte ?

La loi s’inspire ici des dispositions du Code du travail et insère un nouvel alinéa 2 à l’article L. 1132-3-3 aux termes duquel :

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

Et l’article L. 1132-4 du même Code de préciser que toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.

La violation de la protection est lourde de conséquence pour l’employeur mais la démarche de signalement doit être bien pesée par le lanceur.

Une protection sous condition

La protection n’aura vocation à s’appliquer que si le lanceur d’alerte remplit les conditions légales le définissant et si la procédure ad hoc a été observée, même si l’on a vu que la définition de l’un comme de l’autre laisse le champ libre à une importante incertitude source de contentieux peut-être favorable au lanceur.

Enfin, la dénonciation de faits de mauvaise foi ou encore en dehors des règles ouvrant droit à la protection, ouvre la possibilité de sanctionner le salarié ; sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute lourde non exclusive de poursuite pour dénonciation calomnieuse, sans préjudice de l’éventuel engagement de la responsabilité civile du lanceur.

Ainsi, si la protection du lanceur d’alerte et l’existence d’une procédure encadrée peuvent être saluées en référence à une certaine « vigilance citoyenne », il n’est reste pas moins que la loi est source d’incertitude et génératrice de contentieux outre le fait qu’elle risque de mal s’accommoder des règles de prescription disciplinaire en matière sociale.

Notes

¹ Voir article du 13 juillet 2016 « Protection des lanceurs d’alerte : juges et législateur au diapason » par Vincent Delage.
² Article L. 2313-2 du Code du travail pour les délégués du personnel et article L. 4131-2 du même Code pour le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail.

Auteur

Vincent Delage, avocat associé en droit social

 

Protection des lanceurs d’alerte : les apports de la Loi Sapin II – Article paru dans Les Echos Business le 8 mars 2017

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