PSE : le Conseil d’Etat permet au CHSCT de demander une injonction à la DIRECCTE
22 août 2016
Dans le cadre d’une procédure de licenciement économique donnant lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi («PSE»), la loi prévoit une procédure d’injonction à l’initiative du Comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, ou encore en cas de négociation d’un accord majoritaire, à l’initiative des organisations syndicales représentatives.
Alors que les dispositions du Code du travail ne le prévoient pas, le Conseil d’Etat a étendu au CHSCT le droit de formuler une telle demande d’injonction dans un arrêt du 29 juin 2016.
La procédure d’injonction dans le cadre d’un PSE
La procédure d’injonction, qui a été instituée par la loi de sécurisation de l’emploi, permet au Comité d’entreprise ou, le cas échéant, aux organisations syndicales, de saisir l’Administration afin qu’elle enjoigne à la direction de l’entreprise, soit de se conformer aux règles de procédure qui ne seraient, par hypothèse, pas respectées, soit de communiquer aux représentants du personnel, ou éventuellement à leurs experts, des éléments d’information nécessaires au processus d’information/consultation ou de négociation d’un accord majoritaire.
Lorsqu’elle est saisie, après avoir le cas échéant entendu chacune des parties en présence, la DIRECCTE peut décider d’adresser une lettre d’injonction à l’employeur.
La procédure d’injonction constitue une prérogative essentielle pour les représentants du personnel dans la mesure où les suites qui sont données par l’employeur à une injonction de la DIRECCTE sont prises en compte par l’Administration au moment de l’instruction de la demande de validation ou d’homologation.
La réponse ou l’absence de réponse de l’employeur à la demande d’injonction peut donc conduire à une décision de refus de validation ou d’homologation dont on sait qu’elle ne peut être contestée que devant le Tribunal administratif sans possibilité de recours hiérarchique, ce qui en pratique relativise la réelle portée de ce recours.
La question de savoir si le bénéfice de cette prérogative devait être étendu au CHSCT représentait donc un enjeu de premier plan.
La lecture des dispositions de l’article D. 1233-12 du Code du travail qui prévoient que la demande d’injonction est adressée à la DIRECCTE par «le Comité d’entreprise, ou, à défaut, les délégués du personnel … ou … par les organisations syndicales représentatives de l’entreprise» aurait pu laisser présager une réponse négative du Conseil d’Etat.
Ce n’est pourtant pas la voie choisie par ce dernier qui décide au contraire d’étendre le bénéfice de la demande d’injonction au CHSCT par une analyse qui peut apparaître juridiquement assez fragile.
Sur l’analyse du Conseil d’Etat
Le cheminement intellectuel par lequel le Conseil d’Etat aboutit à la conclusion que la faculté de former une demande d’injonction est également ouverte au CHSCT ne parvient pas à convaincre.
En effet, le Conseil d’Etat rappelle en premier lieu, avec raison, que l’Administration ne peut accorder une validation ou une homologation que si la consultation du CHSCT, lorsqu’elle est requise, est régulière. L’Administration est donc tenue de vérifier la régularité du processus de consultation du CHSCT.
Il rappelle en second lieu qu’aux termes de l’article D. 1233-12 du Code du travail la demande d’injonction est adressée à la DIRECCTE par le Comité d’entreprise, ou, à défaut, les délégués du personnel ou par les organisations syndicales représentatives de l’entreprise dans l’hypothèse de la négociation d’un accord majoritaire, mettant ainsi en lumière le fait que les dispositions du Code du travail excluent le CHSCT du bénéfice de la procédure de demande d’injonction.
Le Conseil d’Etat rappelle ensuite la procédure de règlement des contestations relatives à l’expertise du CHSCT dont peut être saisie l’Administration avant la demande de validation ou homologation (article L.4614-13) pour laquelle l’article R. 4616-10 du Code du travail prévoit expressément que la saisine de la DIRECCTE peut être réalisée par le CHSCT…
Il conclut pourtant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que lorsque sa consultation est requise, le CHSCT peut, au cours de la procédure, saisir l’Administration de toute atteinte à l’exercice de sa mission ou à celle de l’expert qu’il a désigné en formulant, selon le cas, une demande d’injonction ou une contestation relative à l’expertise.
Cette conclusion apparaît pour le moins audacieuse dans la mesure où elle s’appuie précisément sur une analyse des textes qui semblent plutôt militer en faveur de la solution inverse, le Conseil d’Etat ayant relevé que :
- le CHSCT ne figure pas dans la liste limitative des institutions pouvant former une demande d’injonction telle qu’elle résulte de l’article D. 1233-12 précité ;
- la procédure de contestation relative à l’expertise du CHSCT est une procédure distincte de la procédure d’injonction pour laquelle les textes donnent cette fois-ci compétence au CHSCT pour saisir la DIRECCTE.
Une partie de la doctrine1 a salué cette audace du Conseil d’Etat qui vient, selon elle, réparer «un regrettable oubli du législateur» qui avait omis d’ouvrir la procédure d’injonction au CHSCT.
Pour respectable que soit cette position doctrinale, il est toutefois permis de se demander s’il appartient au Conseil d’Etat de «corriger» un éventuel oubli du législateur en ajoutant manifestement à la loi.
Sur le fond, il est par ailleurs loin d’être acquis qu’offrir au CHSCT la faculté de saisir la DIRECCTE d’une demande d’injonction soit réellement opportun.
En effet, ainsi que le rappelle fort justement le Conseil d’Etat, la régularité du processus d’information / consultation du CHSCT est une condition de validité de la décision de validation ou d’homologation rendue par l’Administration. Celle-ci devra donc contrôler le bon déroulement de la procédure de consultation du CHSCT tout autant qu’elle doit contrôler le bon déroulement de la procédure de consultation du Comité d’entreprise.
Ce contrôle permet donc de préserver les intérêts et les prérogatives du CHSCT lorsque l’opération projetée relève de sa compétence en ce qu’elle entraîne une modification importante des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail des salariés.
Par ailleurs, au-delà du contrôle automatique de l’Administration, le CHSCT bénéficie déjà de la capacité de saisir la DIRECCTE en cas de désaccord relatif à l’expertise.
Il apparaît donc que les dispositions du Code du travail issues de la loi de sécurisation permettent déjà d’assurer le respect des prérogatives du CHSCT sans qu’il soit besoin d’ajouter à la loi.
Il convient de relever par ailleurs qu’à la suite de cette décision du Conseil d’Etat, le CHSCT pouvant formuler une demande d’injonction et/ou une contestation relative à l’expertise, dispose en pratique de prérogatives plus importantes que celles dont dispose le Comité d’entreprise qui tire pourtant sa légitimité d’une élection directe par les salariés de l’entreprise.
La loi de sécurisation avait déjà largement entamé les prérogatives du Comité d’entreprise dans l’hypothèse de la négociation d’un accord majoritaire. Il serait regrettable que dans le cadre d’une procédure de licenciement économique donnant lieu à un PSE le processus de consultation du CHSCT devienne central et finisse par prendre le pas sur le processus de consultation du Comité d’entreprise.
Note
1 Notamment le Professeur Gilles AUZERO
Auteur
Thierry Romand, avocat associé en droit social
PSE : le Conseil d’Etat permet au CHSCT de demander une injonction à la DIRECCTE – Article paru dans Les Echos Business le 22 août 2016
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