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Quand l’auteur de clichés argentiques ne peut utiliser ses photographies numérisées par un tiers

Quand l’auteur de clichés argentiques ne peut utiliser ses photographies numérisées par un tiers

Dans un jugement rendu le 13 mars 2015, le tribunal de grande instance de Paris distingue pour la première fois, à notre connaissance, les droits incorporels détenus par l’auteur sur une œuvre photographique et la propriété corporelle du fichier numérisé sur lequel l’œuvre est incorporée.

Sur cette base, il condamne une photographe qui avait publié des fichiers numérisés reproduisant ses photographies mais dont son ancienne agence de presse était propriétaire (TGI Paris, 3ème chambre, 3ème section, jugement du 13 mars 2015, n°12/14715).

En l’espèce, la photographe avait collaboré entre 1971 et 2009 avec l’agence Gamma, chargée de la gestion et de l’exploitation de ses clichés. Dans ce cadre, l’agence avait procédé, au fil du temps et à ses frais, à la numérisation des clichés argentiques afin d’exploiter au mieux les photographies.

En 2009, la photographe avait résilié le contrat la liant à l’agence. A la suite du redressement judiciaire de l’agence survenu la même année, au cours duquel les actifs de cette dernière avaient été repris par Gamma-Rapho, la photographe avait sollicité du mandataire judiciaire et obtenu la restitution de la grande majorité de ses photographies, celles non restituées, car perdues, ayant fait l’objet d’une indemnisation pour perte de chance d’exploiter les clichés.

En 2012, après avoir fait constater par huissier que la photographe avait publié sur sa page Facebook et sur son site Internet des photographies numérisées en haute définition, et portant les références de l’agence Gamma, l’agence Gamma-Rapho l’avait assignée en responsabilité, pour usage fautif des fichiers numérisés, dont elle n’était pas propriétaire.

Pour trancher le litige, le tribunal de grande instance de Paris juge qu’ « il convient de distinguer conformément aux dispositions de l’article L.111-3 du Code de la propriété intellectuelle, d’une part, les Å“uvres photographiques sur lesquelles la photographe détient des droits incorporels et d’autre part, le fichier numérisé comportant l’image, qui est le support de l’œuvre et qui constitue un éléments corporel« . Par conséquent, l’agence Gamma-Rapho, qui avait procédé à ses frais à la numérisation des clichés argentiques dans le but de les promouvoir, est bien propriétaire de ces fichiers. Le tribunal prononce toutefois une indemnisation symbolique de l’agence (1 000 euros) dans la mesure où les fichiers numérisés utilisés frauduleusement n’avaient pour elle aucune valeur marchande, en l’absence d’autorisation d’exploitation de l’auteur.

L’originalité de la décision réside dans l’utilisation inversée qui est faite de l’article L.111-3 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, régulièrement invoqué par les auteurs d’œuvres de l’esprit, l’article L.111-3 est en l’espèce utilisé au soutien de l’action du détenteur des fichiers numérisés revendiquant son droit de propriété sur lesdits fichiers. Sur ce fondement, le tribunal met à égalité le droit de la propriété corporelle sur le support et l’exercice des droits d’auteur sur l’œuvre incorporelle. Ainsi, de même que le détenteur de l’objet matériel n’a pas le droit d’exploiter le support sans l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre, ce dernier n’est pas davantage en droit d’utiliser le support comme bon lui semble.

Toutefois, il en ira autrement si l’auteur est à même de rapporter la preuve d’une manœuvre abusive du propriétaire de l’objet matériel, destinée à l’empêcher d’exercer son droit de divulgation.

 

Auteur

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.