Quand le mandat d’élu local confère des droits dans l’entreprise
20 mai 2015
Les salariés titulaires d’un mandat d’élu local disposent de droits leur permettant notamment de s’absenter de l’entreprise, voire de suspendre leur activité pour se consacrer à leur mandat. Ces droits ont été renforcés par une loi du 31 mars 2015 codifiée dans le Code général des collectivités territoriales ; une réforme passée relativement inaperçue mais qui n’est pas anecdotique au regard du nombre de collectivités locales en France.
La loi du 31 mars 2015 étend les droits préexistants des élus locaux…
Les élus locaux disposent de plusieurs «droits d’absence» de l’entreprise. Les membres des conseils municipaux, départementaux et régionaux peuvent ainsi s’absenter pour participer aux séances de ces conseils et des commissions dont ils sont membres.
Les élus bénéficient en plus d’un crédit d’heures dédié à leur mandat. Alors qu’il était réservé à certains élus des communes de plus de 3.500 habitants, la loi du 31 mars 2015 a étendu le bénéfice de ce crédit à tous les membres des conseils municipaux, même s’il reste modulé en fonction du mandat et du nombre d’habitants.
Les conseillers des communes de moins de 3.500 habitants bénéficient désormais d’un crédit de sept heures par trimestre, crédit qui peut atteindre 140 heures pour les maires et adjoints des communes les plus importantes. Les élus des conseils départementaux et régionaux bénéficient également d’un crédit d’heures trimestriel, de 105 à 140 heures selon les fonctions occupées.
Enfin, les salariés élus maires, les adjoints au maire des communes de 10.000 habitants et plus – contre 20.000 auparavant -, les présidents et vice-présidents disposant d’un pouvoir exécutif des conseils départementaux et régionaux, bénéficient sur leur demande, s’ils ont au moins un an d’ancienneté, d’une suspension de leur contrat de travail jusqu’à la fin de leur mandat, et à terme d’un droit à réintégration dans leur précédent emploi ou un emploi analogue.
Ce droit s’applique désormais jusqu’à l’expiration de deux mandats consécutifs, contre un mandat auparavant.
…sans prévoir de contrôle de ces droits
Si les absences des salariés pour exercer leur mandat ne donnent pas lieu à un maintien de rémunération, elles ne sont pas sans incidence pour l’employeur qui doit les inclure dans le décompte de l’ancienneté et le calcul des droits à congés payés et qui est informé avec peu d’avance du départ du salarié (15 jours avant la suspension du contrat de travail, trois jours avant l’utilisation du crédit d’heures).
L’employeur ne peut ni s’opposer ni contrôler l’usage des absences ; il peut uniquement vérifier que le temps passé en séance et le crédit d’heures – l’un ne s’imputant pas sur l’autre – n’excèdent pas le seuil très théorique de la moitié de la durée annuelle légale de travail.
De fait, si la loi du 31 mars 2015 a augmenté le nombre de bénéficiaires des «droits d’absence», elle n’a pas prévu de mesures permettant aux entreprises de mieux y faire face.
La loi innove en octroyant à certains élus locaux un statut de salarié protégé…
Si les salariés élus locaux bénéficiaient déjà d’un principe général de non-discrimination, interdisant à l’employeur de les sanctionner du fait de leurs absences liées à leurs fonctions électives, la loi du 31 mars 2015 est allée au-delà.
Elle prévoit que certains élus «sont considérés comme des salariés protégés au sens du livre IV de la deuxième partie du Code du travail», et bénéficient donc pour la durée de leur mandat d’une protection similaire à celle des représentants du personnel.
Ainsi, l’autorisation de l’inspection du travail est aujourd’hui nécessaire pour licencier ces élus, rompre un CDD ou un contrat de travail temporaire par anticipation ou encore ne pas renouveler un tel contrat s’il contient une clause de renouvellement. Egalement, l’accord du salarié devrait être requis pour modifier ses conditions de travail.
… mais reste ambigüe sur le périmètre et la mise en œuvre de cette protection
Sont visés par cette protection, «lorsqu’ils n’ont pas cessé d’exercer leur activité professionnelle», les maires, les adjoints des communes de 10.000 habitants et plus, les présidents et les vice-présidents ayant délégation de l’exécutif des conseils départementaux et régionaux.
Par l’effet de renvois de textes probablement non anticipés, pourraient être protégés également tous les membres des conseils d’arrondissement des villes de Paris, Lyon et Marseille, des conseils de communautés de communes et de communautés urbaines.
La mention d’une protection des élus «lorsqu’ils n’ont pas cessé d’exercer leur activité» laisse à penser qu’un conseiller dont le contrat de travail est suspendu ne serait pas protégé.
Le bénéfice de la protection en cas de rupture conventionnelle est discutable : ce mode de rupture ne figure pas dans les dispositions du Code du travail auxquelles la loi nouvelle renvoie.
Pourtant, dans la mesure où l’Administration considère qu’est soumise à l’autorisation de l’inspection du travail la rupture conventionnelle de tout salarié bénéficiant d’une protection contre le licenciement (circulaire DGT du 30 juillet 2012), cette autorisation devrait être requise pour les élus locaux.
L’obligation ou non de consulter le comité d’entreprise sur le projet de rupture avant la saisine de l’Administration reste indéterminée. Le fait qu’aucun des mandats extérieurs à l’entreprise n’implique cette consultation milite en faveur d’une réponse négative.
Enfin, un salarié ne peut se prévaloir de la protection qui résulte d’un mandat extérieur à l’entreprise que s’il en a informé l’employeur au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement ou, pour une rupture ne nécessitant pas un entretien, avant la notification de l’acte de rupture. Cette règle devrait prévaloir dans l’hypothèse d’un mandat d’élu local.
Sur tous ces points, des précisions administratives seraient les bienvenues.
Il reste que l’on peut s’interroger sur la pertinence d’une protection en faveur d’élus locaux, dont le mandat ne présente qu’un lien très lointain avec une activité salariée.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé en droit social.
Xavier Cambier, avocat en droit social
*Quand le mandat d’élu local confère des droits dans l’entreprise* – Article paru dans Les Echos Business le 18 mai 2015
A lire également
La fin du dispositif de prime de partage des profits : une première étape vers... 12 février 2015 | CMS FL
Nouvelle convention collective de la métallurgie : quelles conséquences sur le... 19 avril 2022 | Pascaline Neymond
Qui peut convoquer une réunion extraordinaire du CSE dans les entreprises de pl... 5 mars 2019 | CMS FL
Des effets d’une transaction rédigée en termes généraux... 15 mars 2017 | CMS FL
Licenciement pour motif économique : ce que change la loi Travail... 20 septembre 2016 | CMS FL
Le nouveau régime du travail dominical et en soirée issu de la loi Macron... 7 octobre 2015 | CMS FL
Disparition du tribunal des affaires de sécurité sociale : ce qui a changé au... 15 janvier 2019 | CMS FL
Harcèlement moral ou sexuel : quelques bonnes raisons de recourir à un avocat ... 17 novembre 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Présomption de démission : attention à la rédaction du courrier de mise en demeure !
- Obligation de loyauté de la négociation collective : bonnes pratiques et points de vigilance
- Hamon : stop ou encore ?
- Apprentissage : le Gouvernement va reconduire l’aide pour les employeurs embauchant des apprentis
- La clause dite de conscience : outil de sécurisation des dirigeants d’entreprises familiales
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?