Quand trop de prévenance emporte de lourdes conséquences ou quand l’annonce par téléphone du licenciement le prive de cause réelle et sérieuse
12 juin 2024
La règle est bien connue et la solution constante : le licenciement doit être notifié par écrit et un licenciement verbal est sans cause réelle et sérieuse. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 avril 2024 en fournit une nouvelle illustration (Cass. soc., 3 avril 2024, n°23-10.931).
Le licenciement ne peut en aucun cas être notifié verbalement
Constitue un licenciement verbal, dépourvu de cause réelle et sérieuse, la décision de licenciement prise de manière irrévocable avant même l’entretien préalable, qu’elle soit annoncée publiquement par l’employeur en réunion des représentants du personnel (Cass. soc., 23 octobre 2019, n°17-28.800) ou annoncée au salarié «en préambule» dudit entretien préalable (Cass. soc., 12 décembre 2018, n°16-27.537).
Au-delà du caractère vexatoire du licenciement annoncé publiquement, l’on comprend en effet que, si la décision de l’employeur est irrévocablement prise avant l’entretien préalable, alors ce dernier est privé d’objet.
Manque, dans ce cas, à la procédure de licenciement son caractère contradictoire, étant rappelé que l’entretien préalable a pour objet d’exposer au salarié «les motifs de la décision envisagée et [de] recueill[ir] [ses] explications» (C. trav., art. L.1232-2).
Même si la solution a du sens, l’on pourrait juger qu’elle en a moins, voire qu’elle n’en a pas, lorsque le licenciement ne fait aucun doute, par exemple, en cas de procédure de licenciement pour inaptitude médicalement constatée.
Dans le cas particulier où le médecin du travail a expressément dispensé l’employeur de recherche de reclassement, en précisant dans son avis que «tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi», l’employeur n’a, en effet, strictement aucune marge de manÅ“uvre et l’entretien préalable risque fort de devenir un exercice purement artificiel.
Constitue également un licenciement verbal, dépourvu de cause réelle et sérieuse, le licenciement annoncé au collaborateur postérieurement à l’entretien préalable, comme dans l’arrêt du 3 avril 2024.
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Une appréciation rigoureuse de la chronologie
Dans cette affaire, la Directrice des Ressources Humaines de l’entreprise avait téléphoné au salarié afin de le prévenir de son licenciement, le jour même de l’envoi de la lettre de notification.
Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes, soutenant avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Si le salarié avait été débouté en première instance, la cour d’appel avait fait droit à sa demande en jugeant qu’ «une telle attitude de la part de l’employeur équivaut à licencier un salarié sans énoncer de motifs, que ne saurait suppléer la lettre de licenciement adressée ultérieurement, même si elle est adressée le même jour, sous la signature de l’auteur de l’appel téléphonique» (CA Reims, 23 novembre 2022, n°21/01788).
La Société s’est pourvue en cassation en soutenant notamment que la cour d’appel ne pouvait décider que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse «sans distinguer entre l’expédition et la réception de la lettre de licenciement, ni a fortiori caractériser qu’au cours de la journée du 7 février l’appel téléphonique de l’employeur avait précédé l’expédition de la lettre de licenciement, le salarié n’apportant aucun élément de preuve quant à l’heure de l’un ou de l’autre».
La Cour de cassation approuve le raisonnement en deux temps de la cour d’appel, en constatant que celle-ci avait «d’abord relevé que le salarié rapportait la preuve qu’il avait été informé verbalement de son licenciement (…) » et « ensuite constaté que cet appel téléphonique ne pouvait suppléer la lettre de licenciement adressée ultérieurement, même si elle avait été adressée le même jour».
La Cour rejette donc le pourvoi, en jugeant que, «en l’état de ces constatations, la cour d’appel qui a motivé sa décision au vu des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, en a exactement déduit que ce licenciement verbal était dépourvu de cause réelle et sérieuse».
Le principe n’est pas étonnant : la Cour de cassation a déjà jugé que constituait un licenciement verbal, dépourvu de cause réelle et sérieuse, un licenciement intervenu par téléphone antérieurement à la notification du licenciement.
L’information verbale du licenciement ne le prive pas de cause réelle et sérieuse si elle est postérieure à la notification écrite
La Cour a, également, déjà eu l’occasion de préciser que la rupture du contrat se situant à la date à laquelle l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin, c’est à la date d’envoi de la lettre de licenciement et non à celle de sa réception (ou à celle de sa première présentation) qu’il convient de se placer : ainsi, l’annonce verbale d’un licenciement ne prive le licenciement de cause réelle et sérieuse que si elle est antérieure à l’envoi de la lettre de licenciement (Cass. soc., 6 mai 2009, n°08-40.395).
Corollairement, est parfaitement valable l’annonce au salarié de son licenciement par téléphone intervenue après l’envoi de la notification écrite, même si le salarié ne l’a pas encore reçue (Cass. soc., 28 septembre 2022, n°21-15.605).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 avril 2024, la Société soutenait justement, à l’appui de son pourvoi, que l’appel téléphonique, bien que passé le même jour, n’était intervenu qu’après l’envoi de la lettre de licenciement par recommandé. Selon elle, il appartenait au salarié de rapporter la preuve que le licenciement verbal était intervenu avant l’envoi de la lettre par l’employeur et à la Cour d’appel de caractériser cette antériorité pour pouvoir juger le licenciement verbal et dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’arrêt de la Cour de cassation apporte plusieurs enseignements en la matière :
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- le premier est que l’appréciation des faits par les juges du fond est largement souveraine ;
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- le second porte sur la charge de la preuve. Il semble que, si c’est bien au salarié qu’incombe la charge de la preuve du caractère verbal de l’annonce de son licenciement, ce n’est plus ensuite spécialement sur lui que repose celle de démontrer que cette annonce verbale est antérieure à l’envoi de la lettre de licenciement par l’employeur. A tout le moins, dans cette situation particulière où la chronologie est une question non pas de jours, mais d’heures voire de minutes.
Et pour cause, l’on voit mal comment le salarié pourrait prouver l’heure d’envoi du courrier par l’employeur, ce que seul ce dernier pourrait être en mesure de faire.
Quand les meilleures intentions se heurtent à la rigueur formaliste
Dans cette affaire, la Société expliquait encore qu’elle avait agi ainsi par égard pour le salarié, afin «de lui éviter de se présenter à une réunion et de se voir congédier devant ses collègues de travail».
Aussi légitime cet objectif soit-il, la Cour de cassation a considéré qu’il n’était pas de nature à justifier une exception à la règle.
La solution peut paraître excessivement rigoureuse, notamment au cas d’espèce, puisque toute la procédure de licenciement avait été déroulée et la notification écrite réalisée, qui plus est le même jour et qu’il n’était pas établi que l’appel téléphonique avait précédé l’envoi de la lettre de licenciement. Surtout, l’on ne perçoit plus très bien la finalité recherchée, ni la valeur protégée par cette sanction, particulièrement lourde.
La morale de l’histoire est que, en matière de licenciement, trop de prévenance relève de l’imprudence.
Toutefois, n’y avait-il pas d’autres alternatives pour l’employeur souhaitant éviter au salarié licencié de se voir raccompagné devant ses collègues?
L’employeur aurait certes pu tenter de se ménager la preuve de l’antériorité de l’envoi de la lettre… Mais il aurait peut-être également pu procéder différemment.
En effet, si la lettre de licenciement doit être en principe notifiée par recommandé avec avis de réception, cette modalité de notification n’est pas une formalité substantielle et son inobservation ne rend pas le licenciement irrégulier : est ainsi valable un licenciement notifié par lettre remise en main propre contre décharge (Cass. soc., 15 décembre 1999, n°97-44.431 ; Cass. soc., 31 mai 2017, n°16-12.531), par Chronopost (Cass. soc., 8 février 2011, n°09-40.027) ou par huissier (Cass. soc., 6 novembre 1978) (1).
Même si nous n’avons pas connaissance de jurisprudence sur le sujet, il nous semble que l’employeur aurait pu – certains y procèdent d’ailleurs – envoyer au salarié par e-mail une copie de la lettre de licenciement qui lui était adressée le même jour par lettre recommandée.
(1) Rappelons toutefois que la notification du licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception est un préalable indispensable à la conclusion d’une transaction ayant pour objet de clore un litige relatif à la rupture d’un contrat de travail. A défaut, la transaction est nulle (Cass. soc., 1 octobre 2018, n° 17-10.066).
AUTEUR
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