Quel régime de sécurité sociale pour les dirigeants de sociétés européennes ?
6 mars 2014
Le code de la sécurité sociale organise l’affiliation au régime général de la sécurité sociale de certains mandataires sociaux. Les textes restent cependant muets s’agissant des dirigeants de sociétés européennes, ce qui invite à s’interroger sur leur statut.
La société européenne (SE), issue d’un règlement européen du 8 octobre 2001, constitue une forme particulière de société commerciale commune aux différents Etats membres de l’Union. Régie en droit français par les articles L.229-1 et suivants du code de commerce, elle permet de refléter la nature européenne des activités d’une entreprise.
Alors que l’on assiste en France à un accroissement du nombre de SE, quelques aspects du régime juridique qui leur est applicable mériteraient d’être éclaircis. Parmi ceux-là, on peut regretter que les textes ne règlent pas la question du régime de sécurité sociale applicable aux dirigeants de ces sociétés.
A cet égard, il convient de rappeler que, par principe, les dirigeants mandataires sociaux relèvent de régimes de sécurité sociale de travailleurs non-salariés. C’est le cas par exemple des gérants majoritaires de SARL.
Par exception, l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale prévoit l’affiliation au régime général des salariés de certains dirigeants quand bien même ils ne sont pas titulaires d’un contrat de travail : gérants minoritaires de SARL, présidents ou directeurs généraux de société anonyme (SA) ou encore dirigeants de société par actions simplifiée (SAS)…
Si les dirigeants d’entreprise sont par principe affiliés à des régimes de sécurité sociale de travailleurs non-salariés …
Bien que les dirigeants de SE ne soient pas explicitement visés par ledit article L.311-3, plusieurs arguments militent en faveur de leur rattachement au régime général de la sécurité sociale.
D’abord, l’article L.229-7 du code de commerce prévoit que sont applicables aux organes de direction et d’administration des SE les dispositions régissant les SA, ce dont il résulte que les mandats sociaux des dirigeants de ces deux formes de sociétés sont identiques.
Plus généralement, il apparait que, mises à part la possibilité offerte à une SE d’établir son siège en tout lieu de l’Union européenne ou certaines règles relatives aux rapports entre actionnaires, la SE est une forme de société extrêmement proche de la SA.
Par suite, la situation du directeur général ou du président du conseil d’administration d’une SE apparait parfaitement assimilable à celle du dirigeant d’une SA. Dès lors, on s’expliquerait mal que les dirigeants d’une SE ne relèvent pas du même régime de sécurité sociale.
On se l’expliquerait d’autant plus difficilement qu’une SE peut être constituée par voie de transformation d’une SA. Rien ne justifierait, dans l’hypothèse d’une telle transformation, que le dirigeant d’une SA transformée en SE change de régime de sécurité sociale, alors même qu’il continuerait à exercer son mandat social dans des conditions rigoureusement identiques.
Ensuite, l’analyse montre que la liste dressée par l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale des personnes relevant du régime général sans être titulaires d’un contrat de travail n’est pas limitative.
En effet, tant la jurisprudence que l’Administration ont admis, dans un certain nombre de cas, que devaient être affiliés au régime général des personnes non visées par ledit article.
… par analogie avec certains mandataires sociaux de sociétés anonymes, les dirigeants de SE semblent relever du régime général de la sécurité sociale
Ainsi, par un arrêt rendu le 17 novembre 1994, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé que devaient être affiliés au régime général de la sécurité sociale les dirigeants d’une « société par actions franco-allemande ». Il s’agissait en l’occurrence d’une forme particulière de société régie par l’article 84 du traité franco-allemand du 27 octobre 1956 et non visée par l’article L.311-3 précité. La Cour a toutefois relevé à la lecture du traité et des statuts de la société que cette forme de société était assimilable à une SA comportant un conseil d’administration, un président du conseil, un vice-président et deux directeurs. Elle en a déduit que les dispositions de l’article L.311-3 étaient applicables aux dirigeants de la société par actions franco-allemande et que ces derniers relevaient ainsi du régime général.
De même, il a été admis par l’Administration que les membres du directoire d’une SA, bien que non désignés par l’article L.311-3, doivent être affiliés à la sécurité sociale (Rép. Min. Plantier : AN 27 juin 1974, p. 3141 n° 10960). Cette solution a été en substance confirmée par la cour d’appel de Paris qui décidait, dans un arrêt du 26 janvier 1990, que « par analogie avec le président-directeur général unique d’une société anonyme, le directeur général unique d’une société anonyme nommé aux lieu et place du directoire par le conseil de surveillance doit être assujetti au régime de sécurité sociale des salariés » (CA Paris, 26 janvier 1990, 18e chambre B, Sinditex c/ Urssaf de Paris).
Enfin, le principe de l’assimilation a également été retenu à l’occasion de la création par la loi du 3 janvier 1994 de la SAS.Alors que l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale, dans un premier temps, ne visait pas expressément les présidents des SAS (une modification de ce texte n’interviendra à des fins de clarification qu’avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002), le ministère de l’emploi s’était prononcé à deux reprises pour l’affiliation des dirigeants de la SAS au régime général (lettre ministérielle du 17 mars 1995 ; lettre du Directeur de la Sécurité Sociale du 28 septembre 2001).
Il semble ainsi établi que la liste fixée par l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale des non-salariés relevant néanmoins du régime général ne présente pas de caractère exhaustif.
Dès lors, eu égard à la grande similarité de leur statut avec celui des dirigeants de sociétés anonymes, visés pour leur part par ce texte, l’affiliation des dirigeants de SE au régime général de la sécurité sociale parait devoir s’imposer.
Reste la dimension internationale de la question, lorsque la SE s’établit dans un autre Etat de l’Union européenne qui devient nécessairement le « lieu d’emploi » de ses dirigeants. C’est alors sans doute au regard de la législation de cet Etat que la question se repose, voire au regard de la réglementation européenne en présence d’une situation de pluriactivité.
A propos de l’auteur
Damien Decolasse, avocat. Il conseille et défend des entreprises en matière de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale. Il est spécialisé en droit social et traite plus particulièrement des questions relatives : à l’aménagement du temps de travail, à la politique salariale et l’épargne salariale, à la négociation collective et à la représentation du personnel, aux plans de sauvegarde de l’emploi, à l’harmonisation européenne des politiques de ressources humaines, aux plans de retraite et de prévoyance, à la gestion de la mobilité internationale et aux restructurations nationales et internationales, à la mise en place de plans d’actionnariat salarié, aux restructurations, aux fusion-acquisition et transfert partiel d’actif, à la négociation collective et à la représentation du personnel, à la procédure de détachement et d’expatriation, à l’épargne salariale, au contrôle URSAFF, aux audits, à l’embauche et la rupture individuelle des contrats de travail.
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