Qui peut licencier dans un Groupe ?
21 septembre 2022
A toutes les étapes de la procédure de licenciement, le Code du travail donne compétence à l’employeur en matière de licenciement.
«L’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque » (C. trav., art. L.1232-2), « Au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée» (C. trav., art. L.1232-3), «Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception» (C. trav., art. L 1232-6).
Ainsi, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse si la lettre de licenciement est signée par un tiers à l’entreprise, tel que le cabinet comptable de l’entreprise (Cass. soc., 7 décembre 2011, n°10-30.222).
Cela étant, la jurisprudence a largement consacré le fait que le licenciement puisse être initié et prononcé par le représentant de l’employeur, détenteur notamment d’une délégation de pouvoirs en matière de gestion du personnel (Cass. soc., 30 juin 2015, n°13-28.146).
La chambre sociale considère également, dans les groupes de sociétés, que le licenciement du salarié d’une filiale peut être prononcé par le directeur général de la société mère qui supervisait ses activités, même en l’absence de délégation de pouvoirs écrite (Cass. soc., 13 juin 2018, n°16-23.701), ou par le DRH Groupe (Cass. soc., 16 mai 2007, n°06-40.307 et cf., à l’inverse, pour un DRH d’une société qui n’a pas de pouvoir en matière de ressources humaines et n’exerce pas un pouvoir de direction (Cass. soc., 20 octobre 2021, n°20-11.485)).
Pour autant, dans un arrêt inédit récent, la Cour de cassation, confirmant un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, juge que le licenciement d’un salarié ne peut être prononcé que par l’employeur, personne morale (Cass. Soc., 15 juin 2022, n°21-11.466).
Dans cette affaire, un salarié, apparemment embauché par la SARL R.T.P., s’est vu mis à pied, puis licencié par le gérant de la SARL R.T.P., mais ayant agi en l’occurrence en qualité de gérant d’une autre société, appartenant au même groupe, l’EURL R.T.P. Sud.
Saisissant le Conseil de prud’hommes de Grasse, le salarié soutenait alors que, n’ayant pas été licencié par son véritable employeur, la procédure n’avait pas été respectée, qu’il subissait un préjudice à ce titre et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le Conseil de prud’hommes n’a pas suivi l’argumentation du salarié et, le déboutant de toute ses demandes, a estimé que le licenciement était fondé.
Devant la Cour d’appel, la société, reprenant les arguments qu’elle avait développé en première instance, estimait qu’il importait peu que le gérant ait licencié le salarié en qualité de représentant de l’EURL R.T.P. Sud dans la mesure où il était, dans tous les cas, également représentant de la SARL R.T.P., employeur du salarié.
Cet argumentaire n’a pas convaincu les juges du fond qui ont retenu que «le licenciement opéré par une personne morale qui n’est pas l’employeur rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse» (CA Aix-en-Provence, 3 décembre 2020, n°18/09560).
La Cour de cassation confirme l’arrêt rendu en retenant qu’il importe peu que le signataire de la lettre de licenciement établie par la société RTP Sud (donc vraisemblablement sur son papier à entête), soit aussi le gérant de la société RTP, dans la mesure où le licenciement a, de fait, été prononcé par une personne morale qui n’était pas l’employeur du salarié.
Cet arrêt illustre l’importance du distinguo entre la personne morale employeur au nom de laquelle le licenciement doit être prononcé et la personne physique qui la représente, laquelle peut, sous certaines conditions, ne pas être salariée de cette même personne morale.
Si la jurisprudence admet de longue date qu’un licenciement puisse être prononcé par une personne physique qui n’est pas mandataire social ou salariée de la société employeur, elle ne semble pas, en revanche, prête à admettre que le licenciement soit notifié par une autre personne morale que l’employeur.
En 2015, la Haute Cour retenait déjà qu’une société mère ne pouvait pas, en cette qualité, licencier un salarié de sa filiale. Dans cette affaire, le représentant légal des deux sociétés avait précisément utilisé un papier à en-tête de la société mère pour licencier le salarié de la filiale dans laquelle ce dernier avait été transféré avant son licenciement. Cette situation, qui procédait vraisemblablement d’une erreur matérielle a néanmoins conduit les magistrats à décider que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 9 décembre 2015, n°14-14.145).
Il est regrettable que ce qui semblait être une simple erreur matérielle, n’ait pas été prise en considération par le juge pour ne retenir, éventuellement, qu’un défaut de procédure.
Dans l’arrêt commenté, la chambre sociale n’a ainsi pas été sensible au pragmatisme de l’argumentaire développé par l’employeur. En effet, cet arrêt offre une lecture stricte des articles L.1232-2, L.1232-3 et L.1232-6 du Code du travail en exigeant que le licenciement soit effectivement prononcé au nom de la personne morale employeur, peu important que l’auteur du licenciement ait le pouvoir de la représenter.
Compte tenu des enjeux financiers (dans les deux arrêts en cause, c’est un licenciement pour faute grave qui a été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse), la prudence s’impose dans l’élaboration d’une lettre de licenciement, dans l’hypothèse, en particulier, d’un salarié ayant fait l’objet d’une mobilité Groupe.
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