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Rachat de titres : conséquences pratiques de la récente décision QPC

Les actionnaires et associés personnes physiques ayant participé à une opération de rachat sont les principaux concernés par une intéressante décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014.
Cette décision produit des effets pour le passé et pour l’avenir.


Le traitement fiscal des rachats de titres par la société émettrice est assez complexe. Schématiquement, pour les actionnaires et les associés personnes physiques, la règle consistait, après avoir limité l’imposition au gain effectif, à appliquer la règle suivante :

  • imposition suivant le régime des distributions, mais avec une partie pouvant relever du régime des plus-values,
  • ou, par exception dans les cas prévus par l’article 112-6° du CGI, imposition selon le seul régime des plus-values.

Dans ces colonnes (Option finance du 28 avril 2014), le renvoi d’une QPC relative la constitutionnalité de cette distinction avait été signalé. L’article invitait à introduire rapidement une réclamation. Au vu de la décision, il est encore temps d’agir.

1. La décision QPC et ses effets dans le temps

Pour les actionnaires ou associés personnes physiques, la différence d’imposition du gain de rachat découlait de l’existence :

  • d’une règle générale qualifiant de revenus distribués « toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices » (2° du 1 de l’article 109 du CGI),
  • d’une règle spéciale qualifiant de plus-value « les sommes ou valeurs attribuées aux actionnaires au titre du rachat de leurs actions, lorsque ce rachat est effectué dans les conditions prévues aux articles L. 225-208 ou L. 225-209 à L. 225-212 du code de commerce » (6° de l’article 112 du CGI) : rachats réalisés en vue d’une attribution aux salariés ou dans le cadre d’un plan de rachat d’actions par une société cotée.

Le requérant, qui avait participé à un rachat n’entrant pas dans le cadre dérogatoire de l’article 112, 6°, réclamait l’application du régime des plus-values. Il arguait que la règle spéciale posait problème au regard des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et les charges publiques.

Le juge constitutionnel lui a donné raison par une décision n° 2014-404 QPC du 20 juin dernier au motif que la différence de traitement ne repose ni sur une différence de situation entre les procédures de rachat ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi.
D’intéressants effets dans le temps sont prévus par la décision pour faire disparaître la règle dérogatoire inconstitutionnelle de l’article 112-6° du CGI en tenant compte du souhait du contribuable d’en bénéficier :

  • l’abrogation de l’article 112-6° du CGI est reportée au 1er janvier 2015,
  • l’article 112-6° est étendu à l’ensemble des rachats antérieurs au 1er janvier 2014,
  • la règle applicable aux rachats opérés en 2014 dépendra en principe de l’intervention du législateur avant le 1er janvier 2015 ; à défaut d’une telle intervention, le traitement comme plus-value serait applicable.

La décision du Conseil constitutionnel précise qu’elle doit produire un effet utile « notamment » aux instances en cours, ce qui permet de couvrir les contribuables qui sont encore dans le délai de réclamation mais n’ont pas encore entamé une procédure contentieuse.

Les principaux concernés sont les contribuables ayant acquitté l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux à l’occasion de rachats de titres non couverts par l’article 112-6° du CGI. Par ricochet, elle intéressera d’autres contribuables.

2. Conséquences pour les actionnaires ou associés personnes physiques résidentes

Les actionnaires ou associés ayant reçu des sommes avant le 1er janvier 2014 à l’occasion de rachats de titres pourront demander à être imposés selon le régime des plus-values :

  • si le rachat est intervenu depuis 2011, le délai de droit commun (du a) de l’article R. 196-1 du LPF) n’est pas encore expiré (il se prescrit le 31 décembre 2014 pour les rachats intervenus au cours de l’année 2011),
  • si le rachat est intervenu antérieurement à 2011, des possibilités de réclamation étendues peuvent exister, notamment pour les contribuables ayant fait l’objet d’une proposition de rectification (article R. 196-3 du LPF).

Préalablement à leur réclamation, ils devront s’assurer que le régime des revenus distribués qui leur a été appliqué est moins favorable que la fiscalité des plus-values pour la même année. Cette vérification préalable est délicate car les règles d’imposition des plus-values et des dividendes, de même que les régimes favorables et les modalités de prélèvement de l’impôt, ont significativement évolué au cours des dernières années.

La comparaison est relativement aisée pour un rachat 2013 : dividendes et plus-values relevaient du barème progressif de l’impôt sur le revenu. Le régime des plus-values était plus favorable en cas d’exonération ou d’application de l’abattement pour durée de détention (commençant à 50% pour une détention d’au moins deux ans, voire un an seulement pour certaines plus-values visées par un régime de faveur). A défaut, le régime des dividendes est plus favorable du fait de son abattement fixe de 40% applicable sans durée de détention. En matière de prélèvements sociaux, la principale différence n’est que le décalage d’un an de la déduction de la CSG en cas d’imposition comme plus-value (qui produit des effets, qui restent limités, si le contribuable change de tranche d’imposition).

Pour les années antérieures à 2013, la comparaison est plus délicate car il faut mettre en balance l’imposition en principe progressive des dividendes (sous réserve de l’option pour le prélèvement libératoire) et l’imposition proportionnelle des plus-values dont le taux a lui-même évolué (19% en 2011, 24% en 2012). La complexité s’accroît du fait que la taxation des dividendes permettait la déduction d’une fraction de la CSG et des frais de courtage, ce qui n’était pas possible pour les plus-values imposées au taux forfaitaire.

Pour les actionnaires ou associés ayant reçu des sommes après le 1er janvier 2014, le Conseil constitutionnel a invité le législateur à modifier la législation. Il se pourrait donc qu’à la faveur des lois de finances adoptées en fin d’année 2014, un nouveau régime, par hypothèse conforme à la Constitution, soit défini et qu’il s’applique à tous les rachats intervenus en 2014, par l’effet de la « petite rétroactivité » de la loi fiscale :

  • si le législateur modifie les règles de l’imposition à compter de l’impôt acquitté en 2015, les rachats intervenus en 2014 et non encore imposés seraient visés par la modification,
  • à défaut, le Conseil constitutionnel a prévu l’application du régime des plus-values aux contribuables venus au rachat en 2014. Il faut alors espérer que les formulaires déclaratifs seront modifiés pour éviter aux contribuables d’introduire une réclamation. Pour les contribuables qui viendraient au rachat à partir de 2015, l’abrogation décidée par le Conseil constitutionnel conduirait à écarter en toute hypothèse le traitement comme plus-value (sauf intervention du législateur avant le 31 décembre de l’année concernée).

3. Enjeux, par ricochet, pour les personnes autres que les personnes physiques résidentes

Pour les actionnaires ou associés personnes physiques non-résidentes, une réclamation en vue de la restitution des retenues qui ont été appliquées à tort est envisageable :

  • les plus-values réalisées par les non-résidents échappent généralement à l’impôt en France (sont seulement imposables les gains afférents à une participation substantielle, en vertu des dispositions combinées des articles 164 et 244 bis B du CGI, dès lors que la convention fiscale n’y fait pas obstacle),
  • mais il faut faire la comparaison en tenant compte de la retenue à la source appliquée au revenu mobilier de source française, atténué par le crédit d’impôt (généralement octroyé en présence d’une convention fiscale) utilisé dans l’Etat de résidence.

Pour les sociétés distributrices

En principe, les sociétés qui ne bénéficient pas de l’exonération prévue en faveur des PME au sens communautaire sont soumises à la contribution additionnelle de 3% sur les montants distribués (CGI, art. 235 ter ZCA). Or, les distributions imposées étant définies par renvoi aux articles 109 à 117 du CGI, le droit actuel permet d’écarter la contribution additionnelle de 3% sur les sommes consacrées aux rachats visés à l’article 112-6° du CGI.

En étendant pour le passé le périmètre des rachats qualifiés de plus-value conformément au 6° de l’article 112 du CGI (en matière d’impôt sur le revenu), le Conseil constitutionnel nous semble ouvrir de bonnes chances aux sociétés qui ont supporté la contribution de 3% sur les distributions à raison d’un tel rachat et en réclameraient la restitution, sans attendre une modification législative, en faisant valoir la règle dégagée par la décision QPC.

Pour les actionnaires ou associés qui ne sont pas des personnes physiques

Il est difficile d’évaluer les conséquences de la décision du Conseil lorsque les associés sont des personnes morales dans la mesure où l’article déclaré inconstitutionnel s’applique à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Notons toutefois que les organismes sans but lucratif tireraient un net avantage à basculer de la qualification de revenus de capitaux mobiliers, supportant l’IS au taux réduit de 15% (en vertu de l’article 206. 5 du CGI) à celle de plus-value non imposée, tandis que les sociétés actionnaires imposables normalement à l’IS trouveront moins d’applications favorables (les produits sont généralement exonérés sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges plus élevée s’il s’agit d’une plus-value).

 

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale.

Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 15 juillet 2014