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Rachats de titres financés par emprunt: la confusion des intérêts

Rachats de titres financés par emprunt: la confusion des intérêts

Le recours par les sociétés à la technique juridique du rachat de leurs propres titres en vue de leur annulation s’est sensiblement accru ces dernières années, en raison d’un environnement favorable.

La clarification récente du régime fiscal applicable aux rachats participe probablement au développement de ces opérations puisque, rappelons-le, la loi de finances rectificative pour 2014 a mis un terme au régime complexe applicable jusqu’alors aux sociétés non cotées pour soumettre l’ensemble des gains de rachat que peuvent réaliser leurs actionnaires à la fiscalité des plus-values de cession.

Mais ce sont aussi les conditions de marché de l’endettement, actuellement très avantageuses, qui peuvent amener les entreprises à reconsidérer leur structure de financement. Car si les opérations de rachat peuvent permettre de modifier la géographie du capital des sociétés, en facilitant par exemple la sortie d’un ou plusieurs actionnaires, elles peuvent également servir, lorsqu’elles sont financées par dette, à modifier l’allocation faite par les groupes de sociétés entre leurs différentes sources de financement.

En elles-mêmes, ces opérations de réduction de capital sont fiscalement neutres pour les sociétés puisque le rachat étant suivi par l’annulation des titres, il n’a pas pour effet de dégager une perte déductible du résultat imposable faute même d’avoir une incidence sur le résultat comptable.

Leur financement par emprunt est en revanche plus discutable selon certains vérificateurs puisque, par hypothèse, la société opérant le rachat décide à cette occasion de substituer une dette, génératrice de charges financières futures, à des fonds propres qui n’en dégageaient pas.

La question de la déductibilité fiscale de ces charges s’avère dès lors source de complexité, ainsi que l’illustre la jurisprudence récemment rendue en la matière.

1. L’arrêt de principe du Conseil d’Etat : la décision SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise du 15 février 2016

Pour la toute première fois, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 15 février 2016 (décision n°376739, SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise) sur la question de savoir si les intérêts d’emprunts contractés par une société en vue de réduire son capital, par voie de rachat de ses propres titres, peuvent être déduits de son résultat imposable.

Dans cette affaire, trois pharmaciens, qui exerçaient leur profession au sein d’une SNC, avaient décidé de réduire drastiquement le capital de la SNC en rachetant puis en annulant 100% des parts de l’un deux, qui était d’accord pour se retirer, mais aussi plus de 90% des deux autres, au motif invoqué qu’ils ne s’entendaient plus et étaient confrontés à de sérieuses difficultés économiques.

Le rachat ayant été financé par emprunt, l’Administration fiscale s’était opposée à la déduction des intérêts dudit emprunt au motif que « les capitaux empruntés n’étaient pas destinés à être utilisés pour les besoins professionnels de la société mais pour les besoins personnels de ses associés », et que l’opération de rachat était donc constitutive d’un acte anormal de gestion pour la société.

Les juges de première instance puis d’appel ont confirmé la position de l’Administration et la SNC s’est donc pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Statuant en droit, la Haute juridiction a tout d’abord rappelé les principes généraux de déduction des charges au plan fiscal, à savoir qu’elles doivent être exposées dans l’intérêt direct de l’entreprise ou se rattacher à sa gestion normale, correspondre à une charge effective et être appuyées de justificatifs.

Elle a ensuite jugé qu’au plan des principes, l’exécution, par la SNC, d’une opération qui présente un avantage pour ses associés « ne peut être regardée comme étrangère à une gestion commerciale normale que s’il est établi que l’avantage consenti était contraire ou étranger aux intérêts de cette société ».

La déduction des charges financières ne peut donc être valablement remise en cause par l’Administration, sur le truchement de la théorie de l’acte anormal de gestion, qu’à la condition que le rachat financé par emprunt ait été réalisé contrairement aux intérêts de la société émettrice, le fait que le rachat satisfasse également les intérêts des associés n’étant à cet égard pas exclusif de l’intérêt social.

Ces principes exposés, le Conseil d’Etat a renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux à qui il revenait, comme formation de renvoi, de trancher le litige au fond.

2. L’appréciation in concreto des juges du fond : l’intérêt de la société peut se confondre avec celui de ses associés

Lors du renvoi devant la Cour administrative d’appel, la SNC prétendait à nouveau justifier de l’intérêt pour elle de l’opération de rachat par l’existence d’une mésentente entre les associés qui conduisait à une situation de blocage préjudiciable à son exploitation.

La Cour a néanmoins constaté (décision du 5 juillet 2016, n°16BX00662) l’absence d’élément tangible au dossier permettant d’étayer cette situation de blocage et a par suite confirmé l’acte anormal de gestion allégué par l’Administration, à défaut pour la société de justifier factuellement de son intérêt propre, distinct de celui de ses associés, à s’endetter pour financer l’opération de réduction de capital.

Si un pourvoi en cassation a de nouveau été formé par la SNC devant le Conseil d’Etat, les décisions rendues dans cette affaire apportent d’ores et déjà des éclaircissements importants.

Ainsi, pour prétendre déduire des charges financières générées par une opération sur son capital, l’entreprise doit pouvoir justifier que le recours à l’emprunt était conforme à son intérêt social.

Un service vérificateur ne peut pas, à cet égard, s’opposer à la déductibilité d’une charge au seul motif que l’opération profite aux actionnaires. Mais la société doit en tout état de cause pouvoir justifier que l’opération s’inscrit également dans son intérêt propre.

Les dirigeants d’une entreprise ont donc une liberté de gestion, notamment dans leur choix de financement de l’activité, mais cette liberté cède devant certaines règles supérieures, dont font partie la théorie de l’acte anormal de gestion et, de manière plus exceptionnelle, l’abus de droit fiscal.

On soulignera ensuite l’importance pour la société opérant le rachat d’être en mesure de justifier de son intérêt propre par des éléments de preuve « concrets ».

L’arrêt précité de la Cour administrative d’appel de Bordeaux est à cet égard particulièrement éclairant puisque c’est sur ce terrain de la preuve que le contribuable a échoué à convaincre : il peut être aisément compréhensible qu’une mésentente entre associés ne soit pas spontanément rendue publique au travers de la documentation sociale publiée au greffe, tels que les procès-verbaux d’assemblée, mais des éléments matériels (compatibles avec le caractère écrit de la procédure fiscale) sont en tout état de cause nécessaires aux juges pour leur permettre d’apprécier l’intérêt de la société à réaliser l’opération.

Il est intéressant de noter ici qu’un litige de même nature avait été porté en 2012 devant la Cour administrative d’appel de Versailles dans une affaire « Yoplait » qui, à l’inverse de la décision SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise, a été jugé dans un sens favorable au contribuable, sans que l’Administration n’ait décidé de se pourvoir devant le Conseil d’Etat (décision du 24 janvier 2012, n°10VE03601).

Dans cette affaire, la société Yoplait avait lancé un programme de rachat de ses propres titres qu’elle avait financé par emprunt. Seul un actionnaire avait participé au rachat et la société avait alors réussi à démontrer devant le juge son intérêt propre à la réalisation de cette opération en établissant que le rachat constituait l’ultime étape d’une restructuration plus globale d’une de ses branches d’activité et qu’il apparaissait nécessaire à la mise en place d’une alliance stratégique et financière avec l’un de ses actionnaires.

Ainsi, une opération qui se traduit par une restructuration de l’actionnariat peut présenter un intérêt propre pour la société qui rachète ses titres, notamment si cette dernière est en mesure de justifier que la nouvelle répartition du capital est bénéfique au maintien ou au développement de l’activité.

Au-delà de ces considérations liées à la répartition du capital et à ses incidences sur l’exploitation, il est également permis de penser qu’une société devrait légitimement être en mesure de justifier de l’intérêt d’une opération de « décapitalisation » financée par emprunt lorsque celle-ci est l’occasion de renégocier une dette et d’améliorer sa structure de financement.

Les besoins d’endettement évoluent en effet selon les phases de croissance de l’entreprise et une société, une fois sa phase de maturité atteinte, peut être amenée à refinancer des fonds propres jugés excédentaires (notamment par rapport aux ratios observés dans son secteur d’activité) par une dette aux conditions avantageuses.

Cet intérêt peut sembler d’autant plus prégnant dans les conditions de marchés actuelles qui se caractérisent par des taux d’intérêts très bas propices aux opérations de refinancement.

On observera à cet égard que de nombreux dispositifs fiscaux ont déjà pour objet de limiter la déduction des intérêts d’emprunts, parmi lesquels figure un régime spécifique visant à lutter contre les situations fiscales dites de « sous-capitalisation ». Ces règles apportent des limites objectives au niveau d’endettement des sociétés vis-à-vis de leurs actionnaires et ont précisément pour objet de s’assurer, sur le plan fiscal, qu’une société ne contracte pas un niveau de dette anormalement élevé.

Il n’en demeure pas moins qu’au regard des récentes décisions de jurisprudence exposées ci-dessus, les sociétés finançant par emprunt un rachat de leurs propres titres devront veiller, sur le plan fiscal, à être en mesure de justifier de leur intérêt propre à réaliser l’opération, notamment au travers d’analyses économiques, juridiques et/ou financières appropriées.

Auteurs

Laurent Hepp, avocat associé, en droit fiscal

Philippe Gosset, avocat en droit fiscal

 

Rachats de titres financés par emprunt : la confusion des intérêts – Article paru dans le magazine Option Finance le 18 avril 2017