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Reconnaissance et enjeux du co-emploi : un défi pour les groupes de sociétés

En principe, pour un même emploi, un salarié n’a qu’un seul employeur et leurs relations sont gouvernées par un lien de subordination unique. Toutefois, ce lien s’étiole peu à peu pour laisser la place à la notion de coemploi.

Qu’est-ce que le coemploi ?

Le coemploi est une notion ancienne de droit du travail qui permettait, à l’origine, de caractériser l’existence d’un lien de subordination établi entre, d’une part, le salarié et, d’autre part, un tiers à la relation de travail – par exemple une entreprise utilisatrice.

Mais la Cour de cassation a, au fil des années, largement étendue cette possibilité, y compris dans des situations exemptes de lien de subordination.

Du lien de subordination à la confusion d’intérêt, d’activité et de direction

Par des arrêts très commentés du 18 janvier 2011, la Cour de cassation a remis en cause les principes pourtant établis en jugeant qu’en dehors de l’hypothèse où un lien de subordination juridique existe, une situation de coemploi peut également naitre en cas de confusion « d’intérêt, d’activité et de direction ».

Cette confusion « d’intérêt, d’activité et de direction » peut être caractérisée à l’aide de la technique du faisceau d’indices. Cette technique juridique permet d’établir l’existence d’une situation grâce à la réunion de plusieurs indices qui, pris isolément, n’auraient pas été suffisants.

A titre d’illustration, ont été reconnus comme des indices caractérisant une situation de co-emploi le fait que la société mère intervienne de manière constante dans les décisions relatives à la gestion financière et sociale de la cessation d’activité de sa filiale (Cass. soc. 18 janvier 2011) ou encore qu’elle s’immisce dans la gestion de son personnel (Cass. soc. 28 septembre 2011), sans qu’il soit nécessaire de prouver que le salarié était effectivement placé sous la subordination de la société mère.

A l’inverse, et fort heureusement, le fait qu’une société mère place au sein de sa filiale un cadre dirigeant sur lequel elle conserve un pouvoir de direction ou que le président de la société mère annonce que le groupe ne présenterait pas de plan de continuation de la filiale ne permettent pas en soi de caractériser une situation de coemploi (Cass. soc. 25 septembre 2013).

Quels enjeux ?

Les conséquences de la reconnaissance d’une situation de coemploi ne sont pas neutres et ce d’autant qu’elles tendent à se multiplier au fil du temps.

En effet, une société qui est considérée comme coemployeur doit assumer, de manière rétroactive, l’ensemble des obligations de l’employeur d’origine.

Il a ainsi été jugé que :

  • la reconnaissance de la qualité de coemployeur a un effet rétroactif et ne permet pas à la société de s’exonérer de la charge de licenciements dont elle n’a pas pris l’initiative (Cass. soc. 22 juin 2011) ;
  • l’obligation de reclassement incombe aux deux coemployeurs et la validité du plan de sauvegarde de l’emploi établi par l’un deux dépendra des moyens dont disposent les deux employeurs (Cass. soc. 28 septembre 2011) ;
  • l’interruption de l’activité de l’employeur d’origine ne constitue plus à elle seule une cause économique valide, cette dernière devant exister, au jour de la rupture, chez les deux coemployeurs (Cass. soc. 15 février 2012).

La conception particulièrement large de la notion de coemploi et ses conséquences créent une insécurité juridique forte qui, mise à l’épreuve des groupes de sociétés, paraît très discutable.

Haro sur les groupes de sociétés ?

Si certains ont pu saluer l’élargissement de la notion de coemploi en ce qu’elle permet désormais de sanctionner les groupes provoquant volontairement la fermeture d’une filiale, cette notion n’en demeure pas moins critiquable par sa généralité.

De nombreuses voix se sont d’ailleurs élevées pour critiquer la position de la Cour de cassation en lui reprochant notamment de sacrifier le lien de subordination juridique essentiel à toute relation de travail dans l’unique but de trouver un employeur solvable capable de prendre en charge la dette de sa filiale.

En effet, même si la Cour de cassation a jugé que la seule appartenance à un groupe de sociétés ne suffit pas à caractériser une situation de coemploi (Cass. soc. 6 juillet 2011 ; Cass. soc. 12 décembre 2012), il reste qu’en pratique, et eu égard à leurs modes d’organisation, les groupes de sociétés sont les principales victimes de cette jurisprudence.

C’est ainsi que le Conseil de prud’hommes de Compiègne a jugé, dans une décision du 30 août 2013, que le Groupe Continental devrait être considéré comme le coemployeur de sa filiale française dans la mesure où ses « interventions (…) dans le fonctionnement de la société Continental France dépassaient le degré normal des règles de fonctionnement d’un groupe de société ».

Les magistrats de la Cour de cassation estiment pourtant que les critiques des praticiens sont excessives. Ils considèrent en effet que la jurisprudence en matière de coemploi est restrictive et que seule une immixtion anormale de la société mère dans le fonctionnement de sa filiale est créatrice de droits à l’égard des salariés.

La caractérisation d’une situation de coemploi semble donc désormais liée, selon les juges, à l’existence d’une immixtion « normale » ou « anormale » de la société mère dans la gestion de sa filiale.

Ce terme plus que flou aura bien du mal à être défini. En attendant plus de précisions, il conviendra que les sociétés mères soient particulièrement vigilantes dans l’exercice de leur pouvoir de direction et de contrôle envers leurs filiales.

A propos des auteurs

Caroline Froger-Michon, avocat. Son expertise porte sur les restructurations (transfert des contrats de travail, adaptation des statuts collectifs, articulation des procédures),les licenciements collectifs, les plans de départ volontaire, le droit des comités d’entreprise et des comités européens, les expertises (CE/CHSCT, …), les chartes éthiques et procédures d’alerte, les discriminations, le harcèlement, les risques psycho-sociaux.

Céline Martinez, avocat spécialiste en droit social et notamment en matière de relations individuelles et relations collectives.

 

Article paru dans Les Echos Business du 9 décembre 2013