Recourir à un prestataire étranger : où en est-on après la loi Macron?
30 novembre 2015
La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances (dite « loi Macron ») contient plusieurs mesures visant à renforcer la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs en France par des entreprises établies à l’étranger.
Plusieurs dispositions de la loi renforcent l’arsenal des mesures destinées à combattre et sanctionner les fraudes liées aux détachements de salariés et aux prestations de services en France par des entreprises établies à l’étranger. En augmentation ces dernières années, notamment dans les secteurs du BTP, de l’agriculture ou des transports, les pratiques en matière de prestations de services internationales avaient déjà conduit le législateur à prendre, dans le cadre de la loi du 10 juillet 2014 (Loi Savary), des mesures qui sont entrées en application en avril 2015. La loi «Macro » les renforce en créant notamment des obligations nouvelles pour les clients français de ces entreprises.
Quelles sont les obligations à respecter pour les employeurs ? Quelles sont les sanctions mises en place pour en assurer l’efficacité ?
Au sens de l’article L 1262-1 du Code du travail, un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.
Ce détachement peut intervenir :
- soit pour le compte de l’employeur étranger et sous sa direction, dans le cadre d’un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France
- soit entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe
- soit pour le compte de l’employeur étranger sans qu’il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire français.
Lorsque ces conditions sont réunies, l’employeur étranger est tenu d’appliquer aux salariés concernés -quelle que soit la loi applicable à leur contrat de travail- un nombre minimum de règles dont bénéficient les salariés français de la même branche d’activité (article L. 1262-4 du Code du travail). Lorsque l’une de ces conditions n’est pas satisfaite et notamment lorsqu’il n’a pas d’activité significative dans son pays d’origine ou si son activité est réalisée sur le territoire français de façon habituelle et stable, il doit appliquer l’ensemble des règles de droit du travail applicables aux entreprises françaises (article L.1262-3 du Code du travail).
Les nouvelles mesures et obligations pesant sur les employeurs en cas de détachement de travailleurs en France :
- la déclaration de détachement
Les employeurs établis à l’étranger détachant des salariés en France doivent souscrire une déclaration de détachement qui peut être -à titre facultatif- effectuée en ligne. Actuellement, la déclaration de détachement doit être accomplie par tout moyen lui conférant une date certaine (C. trav. art. R 1263-5). Le décret du 30 mars 2015 précise le contenu de la déclaration de détachement. Celle-ci doit être établie avant le détachement, en langue française (les formulaires sont téléchargeables sur www.travail.gouv.fr/formulaires) et adressés à l’unité territoriale de la Direccte dans le ressort de laquelle s’effectue la prestation ou, si celle-ci est exécutée dans différents lieux, à l’unité territoriale dans le ressort de laquelle se situe le premier lieu d’exécution. (C. trav. art. R 1263-4-1 et R 1263-6-1 nouveaux ; décret art. 2, 3° et 3, 2°). Les coordonnées des unités territoriales sont disponibles sur le site du ministère du travail : www.direccte.gouv.fr.
L’article 283 de la loi Macron impose aux employeurs concernés de transmettre, par voie dématérialisée, la déclaration de détachement préalable de salariés sur le territoire français. Les conditions de cette obligation doivent être fixées prochainement par un décret (C. trav. art. L 1262-2-2 nouveau).
- la désignation d’un représentant de l’entreprise sur le territoire national
Le prestataire établi à l’étranger doit désormais désigner, par un écrit comportant diverses mentions obligatoires et traduit en langue française, un représentant de l’entreprise sur le territoire national, chargé d’assurer, pendant la durée de la prestation, la liaison avec les agents de contrôle compétents en matière de travail illégal (inspecteurs et contrôleurs du travail, contrôleurs Urssaf, officiers et agents de police judiciaire…). Un décret en Conseil d’Etat doit préciser les modalités de cette désignation et les attributions du représentant de l’employeur.
- le client doit demander la copie de la déclaration de détachement
Avant le début de chaque détachement, le client doit demander au prestataire une copie de sa déclaration préalable de détachement et du document désignant son représentant en France, sauf s’il s’agit d’un particulier ayant contracté pour son usage personnel.
A défaut de s’être fait remettre cette copie, il doit adresser, dans les 48 heures suivant le début du détachement, une déclaration à l’inspection du travail du lieu où débute la prestation. Le contenu de la déclaration spécifique sera fixé par décret.
Cette obligation nouvelle fait désormais peser des obligations de vérifications sur le client français, en cas de prestataire étranger intervenant en France.
Quelles sont les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations ?
Pour rappel, le prestataire encourt d’ores et déjà, en cas de défaut de déclaration de détachement, une amende pénale de 4e classe, soit au maximum 750 € pour les dirigeants personnes physiques et 3 750 € pour les personnes morales (C. trav. art. R 1264-1).
- Le plafond de l’amende administrative est revu à la hausse
Il était prévu par la loi Savary du 10 juillet 2014 que s’ajoutait à l’amende pénale une amende administrative maximale de 10 000 € en cas de non-respect des obligations applicables en matière de déclaration de détachement. L’article 279 de la loi Macron porte le montant maximal de l’amende administrative encourue en application de l’article L 1264-3 du Code du travail de 10 000 à 500 000 €.
Cette amende est encourue par le prestataire établi à l’étranger ayant manqué à l’une de ses obligations de déclaration préalable du détachement auprès de l’inspection du travail et de désignation d’un représentant de l’entreprise sur le territoire national (C. trav. art. L 1264-1) et par le client n’ayant pas vérifié le respect de celles-ci (C. trav. art. L 1264-2 modifié).
- La prestation de services en France peut être suspendue
La loi Macron (art.280) autorise l’Administration à suspendre temporairement l’activité d’un prestataire de services établi hors de France en cas de manquements à certaines règles essentielles, constatés par l’inspection du travail, et à lui infliger une amende s’il ne respecte pas cette décision.
Son entrée en vigueur effective est subordonnée à la publication du décret devant fixer le délai dont dispose le prestataire pour faire cesser le ou les manquements constatés.
L’employeur ne respectant pas la mesure de suspension prescrite par le Direccte est passible d’une amende administrative au plus égale à 10 000 € par salarié détaché concerné (C. trav. art. L 1263-6 nouveau).
- Solidarité financière automatique du donneur d’ordre
En application de la loi Macron, le donneur d’ordre pourra voir sa solidarité financière engagée en cas de non-paiement, partiel ou total du salaire minimum légal ou conventionnel dû au salarié détaché par son co-contractant direct ou indirect.
Ainsi, lorsque le donneur d’ordre est informé par un agent de contrôle du non-respect du salaire minimum dû à un salarié détaché, il doit enjoindre aussitôt, par écrit, à son co-contractant de faire cesser sans délai cette situation. A défaut de régularisation de la situation dans un délai qui sera fixé ultérieurement par décret, le donneur d’ordre est tenu solidairement au paiement des rémunérations, sauf s’il met fin au contrat de prestations de services (article L.1262-4-3).
Il convient donc que les employeurs recourant à des prestataires étrangers détachant les travailleurs en France soient très vigilants sur les nouvelles obligations mises à leur charge, et le cas échéant insèrent dans les contrats de prestations de services des clauses imposant au prestataire le respect de la réglementation applicable.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Cathy Clairet Roig, avocat en droit social
Recourir à un prestataire étranger : où en est-on après la loi Macron – Article paru dans Les Echos Business le 25 novembre 2015
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