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Recours abusif au statut d’autoentrepreneur : gare à la requalification en CDI

Travail à domicile

La tentation de recourir à des travailleurs indépendants dans de jeunes entreprises en expansion peut être grande. Toutefois, à l’heure où le débat gravite surtout autour des travailleurs des plates-formes collaboratives, les URSSAF, les inspections du travail et les juges sont particulièrement attentifs à toute situation qui ressemble de près ou de loin à du salariat.

Les autoentrepreneurs, présumés indépendants

L’autoentrepreneur, ou micro-entrepreneur depuis le 1er janvier 2016, est une forme indépendante d’exercice individuel d’une activité commerciale, artisanale ou libérale.

Travail indépendant et salariat sont deux notions antinomiques, et pourtant, si l’autoentrepreneur exerce ses prestations « dans des conditions qui [le place] dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard [d’un donneur d’ordre] », un autoentrepreneur peut démontrer l’existence d’un contrat de travail et en tirer toutes les conséquences (C. trav., art. L. 8221-6).

C’est précisément ce qui s’est passé dans une affaire où les juges ont approuvé la requalification en contrat de travail de la relation entre plusieurs autoentrepreneurs et une entreprise donneuse d’ordre et la condamnation de cette dernière pour dissimulation d’emploi salarié (Cass. crim., 10 janv. 2017, n°15-86.580).

Indices permettant de constater l’existence d’un contrat de travail

Depuis 2015, les juridictions sont saisies de plus en plus d’affaires portant sur la requalification de contrats de « faux indépendants ». L’origine des contentieux est très variée, des actions pouvant être engagées par l’URSSAF, par le travailleur lui-même, ou encore par l’inspection du travail.

Dans l’affaire du 10 janvier 2017, des inspecteurs de l’URSSAF se sont présentés dans les locaux de la société à la suite d’un signalement pour des faits de travail dissimulé et ont constaté à cette occasion la présence de quatre personnes en situation de travail, un stagiaire et trois autoentrepreneurs.

Pour caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique permanent et requalifier les contrats des travailleurs, les juges doivent s’appuyer sur un faisceau d’indices variés. Ici, ils ont retenu que :

  • lors du contrôle, les quatre personnes s’étaient présentées comme des employés de la société, accueillant le public, et non comme des travailleurs indépendants ;
  • aucun devis préalable aux travaux effectués n’avait jamais été proposé à la société par les supposés autoentrepreneurs ;
  • les factures émises pour justifier le versement de sommes étaient toutes sous la même forme, quel que soit le prestataire, et comportaient toutes des termes généraux sur les prestations fournies, ainsi qu’une somme forfaitaire identique, quel que soit le prestataire et sa qualification, soit 600 ou 700 euros sans précision sur le travail exact effectué ;
  • selon les déclarations des employés, c’est à la demande du gérant qu’ils avaient opté pour ce statut d’autoentrepreneur alors même qu’ils n’avaient aucun autre donneur d’ordre que la société ;
  • les fonctions de ces travailleurs au sein de cette entreprise avaient toujours été identiques depuis leur arrivée, de même que leurs horaires, les quatre personnes se présentant dans l’entreprise à heures fixes, selon les horaires d’ouverture fixées par le gérant.

Les juges ont considéré que la société avait ainsi sciemment pu s’exonérer du paiement des charges sociales par le fait du transfert du paiement de ces charges aux autoentrepreneurs. Le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié était donc caractérisé.

Des situations à haut risque !

Les condamnations pénales pour travail dissimulé peuvent être prononcées aussi bien à l’encontre du gérant personne physique que de la société personne morale. Les sanctions peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, ce montant étant quintuplé s’agissant de la personne morale, soit 225 000 euros (C. trav., art. L. 8224-1). Ces peines peuvent être assorties de peines complémentaires telles que l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée, l’exclusion des marchés publics, l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une activité professionnelle ou encore l’interdiction temporaire de percevoir toute aide publique (C. trav., art. L. 8224-3 et L. 8224-5). Ici, les juges ont condamné la société à une amende de 10 000 euros, dont 5 000 avec sursis et le gérant à hauteur de 2 000 euros, dont 1 000 avec sursis.

En outre, le donneur d’ordre qui a fait l’objet d’une condamnation pénale pour travail dissimulé à la suite d’une requalification en contrat de travail est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux travailleurs au titre de la période pour laquelle la dissimulation d’emploi salarié a été établie (C. trav., art. L. 8221-6, II).

Il doit cependant être rappelé que l’URSSAF peut toujours demander à la société de réintégrer dans l’assiette des cotisations les sommes versées à des travailleurs faussement recrutés sous un statut d’indépendant (voir par exemple, s’agissant de la requalification des prestations d’un autoentrepreneur : Cass. 2e civ., 7 juill. 2016, n°15-16.110).

En tout état de cause, le faux indépendant peut saisir le conseil de prud’hommes pour tirer toutes les conséquences civiles de la requalification de son contrat et de son éventuelle rupture : application de la convention collective, rappel d’heures supplémentaires, indemnité de légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à 6 mois de salaire (C. trav., art. L. 8223-1), etc.

Il est donc capital pour les entreprises qui ont recours au travail indépendant de s’assurer qu’il s’effectue dans des conditions réellement autonomes, et non pas dans le but de pourvoir de manière permanente au sein de la société. La flexibilité du travail indépendant est un atout indéniable pour les entreprises, qui doivent faire preuve de justesse lorsqu’elles choisissent de faire appel à un prestataire plutôt que de recruter un salarié.

Quoi qu’il en soit, compte tenu de la forte augmentation constatée par les pouvoirs publics du taux de recours à des formes de travail indépendant dans des circonstances parfois très ambiguës, ces situations sont surveillées de près par les URSSAF et l’Inspection du travail, et sont aujourd’hui à très haut risque pour les donneurs d’ordre impliqués.

 

Auteur

Louis Paoli, avocat, droit social

 

Recours abusif au statut d’autoentrepreneur : gare à la requalification en CDI ! – Article paru dans L’Usine Digitale du 7 juin 2017