Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Recours contre le brevet européen unitaire

Recours contre le brevet européen unitaire

A peine adopté, le règlement n°1257/2012 du 17 décembre 2012 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet a été remis en cause devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Ce n’est pas tant le contenu du texte qui était contesté par l’Espagne, requérante, que sa construction même.

En effet, le règlement a été adopté sur la base de l’article 118 du Traité fondamental de l’Union européenne, qui prévoit que le législateur européen établit « les mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union« . Pourtant, au cas particulier, ce règlement n’édicte pas lui-même un corpus de règles contraignantes ; il se contente de conférer le caractère de brevet unitaire, c’est-à-dire de brevet bénéficiant de la même protection juridique sur tout le territoire de l’Union, en renvoyant, pour le surplus à deux textes préexistants :

  • la convention sur la délivrance de brevets européens1, qui définit l’étendue et les limitations des effets du brevet européen ;
  • et l’Accord international sur une juridiction unifiée du brevet2, qui prévoit les modalités juridictionnelles de règlement des différends en la matière.

Selon l’Espagne, en procédant ainsi, le législateur de l’Union européenne :

1 – se dépossède de son pouvoir normatif, et confie à un traité international, conclu en dehors de l’Union, le soin de régir le droit des brevets et donc de le réformer dans l’avenir, potentiellement en méconnaissance des principes fondamentaux de l’Union ;

2 – confie aux Etats membres le soin d’intégrer en droit national lesdits traités, se privant pour l’avenir de la possibilité de légiférer par lui-même ;

3 – interdit tout contrôle de la CJUE sur la protection des brevets.

C’est pourquoi l’Espagne a demandé que ce règlement soit jugé juridiquement inexistant, ou à défaut annulé, dans un recours introduit le 22 mars 2013.

Dans un arrêt du 5 mai 2015, la Grande chambre de la CJUE estime que le règlement du 17 décembre 2012 n’a pas pour objet d’encadrer les conditions de délivrance des brevets dans l’Union européenne, mais de définir les conditions dans lesquelles, sur le territoire de l’Union, un brevet peut être qualifié d’unitaire. La conséquence majeure du règlement est donc que la protection accordée aux brevets délivrés dans un Etat membre de l’Union sera uniforme dans tous les Etats membres3, alors que sous l’empire de la convention du 5 octobre 1973, cette protection était déterminée par le droit national de chaque Etat. Les Etats membres ne sont donc pas mis en position de légiférer en dehors de tout cadre, contrairement à ce que soutient l’Espagne.

Par ailleurs, s’agissant de l’accord relatif à la juridiction unifiée des brevets, le fait qu’il ne soit pas en vigueur n’est que transitoire et résulte de la volonté des Etats membres, signataires de l’accord et du règlement. Dès lors, « la cohérence de la jurisprudence, et partant, la sécurité juridique ainsi qu’un bon rapport coût-efficacité pour les titulaires de brevets » seront assurés, à terme, sans discussion possible, au même titre que si la Cour de justice de l’Union européenne avait été compétente en la matière.

De ce fait, le recours de l’Espagne est rejeté (CJUE, 5 mai 2015, C-146/13), et l’existence d’un brevet européen unitaire confirmée. Le règlement entrera en vigueur lorsque l’accord de Bruxelles du 19 février 2013 sera lui-même entré en vigueur4. Affaire à suivre, donc…

Notes

1 Convention signée à Munich le 5 octobre 1973, et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. En sont parties tous les Etats membres de l’Union européenne.
2 Accord signé à Bruxelles le 19 février 2013 par 25 des 28 Etats membres de l’Union. Cet accord n’est pas en vigueur à ce jour.
3 A titre de précision, le règlement n°1257/2012 a été adopté au titre de la coopération renforcée. Cela signifie que le titre européen de propriété intellectuelle ainsi créé est en vigueur non pas sur tout le territoire de l’Union, mais uniquement sur le territoire des Etats membres participants (cf. CJUE, 16 avril 2013, C-274/11 et C-295/11, points 67 et 68). En l’espèce, tous les Etats membres ont signé la convention de Munich de 1973, le champ d’application géographique des dispositions adoptées en matière de brevets s’étend donc à tout le territoire de l’Union.
4 Il entrera en vigueur lors du dépôt de l’instrument de ratification du 13ème Etat signataire (article 89 de l’accord). Il a à ce jour été ratifié par sept d’entre eux, dont la France (vous pouvez suivre l’état des ratifications en cliquant ici)

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management.