Redéfinir la société ?
14 décembre 2017
Une proposition de loi met en lumière une question souvent présentée comme déterminante dans les réflexions en cours sur l’entreprise : faut-il redéfinir la notion même de société ?
Une proposition de loi annoncée par la Nouvelle gauche met en lumière une question qui est souvent présentée comme déterminante dans les réflexions en cours sur l’entreprise : faut-il redéfinir la notion même de société pour qu’elle intègre des exigences issues de la nécessaire prise en compte de l’intérêt social, de celui des parties prenantes (salariés, créanciers, État, etc.), de la responsabilité sociale et sociétale, des conditions d’une croissance durable et respectueuse de la préservation des biens communs ? La consultation diligentée à la demande du ministre de l’Économie Bruno Lemaire sur le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises appelait déjà à la réflexion sur le sujet et elle a suscité des prises de position souvent incompatibles.
Selon l’article 1382 du Code civil, la société est instituée par des personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Et l’article 1833 ajoute que toute société doit être constituée dans l’intérêt commun des associés. On n’aperçoit guère dans ces deux textes qualifiés « d’archaïques » par les auteurs de la proposition anciens la prise en compte des objectifs évoqués ci-dessus, sauf à retenir le mot « entreprise ». Or la société est devenue la technique dominante d’organisation de l’entreprise en tant qu’unité de production et de plus en plus, en tant qu’acteur citoyen, débiteur d’obligations multiples à l’égard de son environnement.
Pour autant, tenter une redéfinition n’est pas chose simple, indépendamment des objectifs que l’on souhaite privilégier. Les deux définitions semblent certes étriquées et peuvent se voir reprocher de ne prendre en compte que l’intérêt des associés. Mais le mérite que l’on doit leur reconnaître est celui de constituer le plus petit dénominateur commun à toutes les formes sociétaires. Si l’attention se porte spontanément sur les sociétés cotées, on ne peut oublier que d’innombrables sociétés civiles sont utilisées à des fins exclusivement patrimoniales ; que la société permet à beaucoup de petits entrepreneurs d’organiser leur patrimoine pour mieux le sécuriser et que les pouvoirs publics n’ont cessé d’encourager ce choix ; que la société constitue parfois un simple véhicule d’investissement (SICAV par exemple).
À partir de ce constat et compte tenu de l’intérêt que les projets du ministère de l’Économie semblent témoigner pour une redéfinition, plusieurs options sont possibles. On peut d’abord considérer qu’il faut conserver ce plus petit dénominateur commun garant de l’unité du concept de société et chercher par d’autres techniques à promouvoir des finalités sociales ou sociétales. Bien des textes contribuent déjà à cette perspective et le droit français est plutôt précurseur notamment sur les questions de parité, de place faite à la diversité ou encore de responsabilité sociale. Si l’on entend néanmoins dépasser cette option, la tentation sera alors d’intégrer ces finalités dans la définition même de la société, mais au risque de multiplier ensuite les sources de conflits entre associés. L’intérêt de l’entreprise, l’intérêt social, sont des notions vagues et l’on demandera au juge de leur donner un contenu.
Une troisième approche consiste, sans véritable redéfinition, à adjoindre une exigence suffisamment fédératrice pour avoir du sens quelle que soit la forme sociétaire : la proposition de loi évoquée en début précise que la société doit être gérée « en tenant compte des conséquences économique, sociale, environnementale de son activité ». Mais à vrai dire, la proposition combine les deux approches puisqu’elle intègre dans la définition l’exigence que la société soit gérée « conformément à l’intérêt de l’entreprise ».
Les trois options ont leurs défenseurs et l’arbitrage entre elles sera complexe.
Auteur
Alain Couret, avocat associé, responsable du service de doctrine juridique et professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université de Paris I)
Redéfinir la société ? – Article paru dans Le Cercle Les Echos le 7 décembre 2017
A lire également
Actionnaires activistes ou actionnaires actifs ?... 25 avril 2018 | CMS FL
Augmenter les dividendes majorés dans les sociétés cotées pour lutter contre... 30 juillet 2013 | CMS FL
La triple incohérence de l’article 1161 du Code civil appliqué au droit des ... 3 mars 2017 | CMS FL
Directive sur le reporting de durabilité des sociétés (CSRD), sur la route de... 13 avril 2023 | Pascaline Neymond
Loi Sapin II – Dispositions en droit des sociétés... 22 décembre 2016 | CMS FL
Le vélo : outil de mobilité verte en entreprise... 25 octobre 2022 | Pascaline Neymond
La structuration des droits pécuniaires des investisseurs : l’affirmation dâ€... 10 janvier 2018 | CMS FL
Perception des dividendes en communauté légale : domaine réservé de l’asso... 6 juillet 2016 | CMS FL
Articles récents
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?
- [MAJ] – Visites médicales : les nouveaux modèles de documents remis au travailleur à l’occasion des visites réalisées par la médecine du travail sont publiés
- Visites médicales : les nouveaux modèles de documents remis au travailleur à l’occasion des visites réalisées par la médecine du travail sont publiés
- Forfait jours : quel contenu pour la convention individuelle de forfait ?
- La Défenseure des droits publie son premier rapport sur la protection des lanceurs d’alerte en France
- Webinaire – La politique des rémunérations
- Attribution gratuite d’actions et calcul des indemnités de rupture