Effets de la réforme du droit des obligations sur la pratique des contrats de distribution
L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 réforme, à compter du 1er octobre 2016, le droit des obligations. Si nombre de ses articles sont la traduction des principes dégagés par la jurisprudence, d’autres sont au contraire novateurs et devraient induire des modifications dans les pratiques contractuelles existantes ou la réécriture de certaines clauses. Voici celles qui, plus particulièrement, doivent retenir votre attention à tous les stades de la vie du contrat.
I – Phase précontractuelle : la continuité
Les contrats conclus dans le secteur de la distribution sont soumis à une nouvelle obligation d’information précontractuelle, consacrée par l’article 1112-1 nouveau du Code civil. Toutefois, celle-ci devrait avoir peu d’effet sur les contrats de distribution. En effet, dans les contrats « simples » de fourniture, les informations sur les caractéristiques essentielles des produits, leur prix et leurs modalités de délivrance sont inévitablement fournies dans le cadre des négociations précontractuelles.
Dans la franchise, l’article R. 330-1 du Code de commerce prévoit un dispositif d’information précontractuelle si précis qu’en pratique, l’obligation générale du Code civil ne pourra jouer que de matière résiduelle, s’agissant d’informations passées sous silence et non visées par les textes applicables à la franchise.
Dans le cadre des négociations, l’article 1112-2 nouveau du Code civil prévoit, quant à lui, que celui qui utilise une information confidentielle engage sa responsabilité. Le principe est d’évidence mais le texte est imprécis sur sa portée. Les clauses ou accords de confidentialité pratiqués aujourd’hui resteront donc indispensables. Ce nouvel article pourra toutefois constituer un outil pour se prémunir contre la concurrence déloyale des concurrents, si le principe est bien utilisé et si les juges y sont réceptifs.
II – Rapports de force entre les parties au contrat : des outils renforçant l’existant
Deux notions ont été introduites dans le Code civil. Elles ont d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre.
L’abus de dépendance est prévu à l’article 1143 nouveau du Code civil : pour que cet abus soit constitué, il faut, d’une part, qu’existe une dépendance entre les cocontractants et, d’autre part, que cela aboutisse à l’obtention d’engagements que la partie faible « n’aurait pas souscrit[s] en l’absence d’une telle contrainte et [qu’il en soit tiré] un avantage manifestement excessif ». Si tel est le cas, la nullité du contrat est encourue.
Le droit de la concurrence connaît déjà la notion de dépendance, puisque l’article L. 420-2 du Code de commerce consacre l’abus de dépendance économique. En outre, dans le cadre de la rupture des relations commerciales établies, le juge apprécie le préjudice en prenant en compte, entre autres, la dépendance économique de la victime de la rupture par rapport à son cocontractant (Cass. com., 20 mai 2014, n°13-16.398). Concernant les avantages ainsi obtenus, là encore, le juge pourra se référer à la jurisprudence commerciale rendue sur le fondement de l’article L. 442-6 I 1° du Code de commerce, qui prohibe l’obtention d’un « avantage […] manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu » ou de l’article L. 442-6 I 2° qui sanctionne la soumission ou la tentative de soumission d’un partenaire commercial à un déséquilibre significatif. La nécessité de prouver le caractère « excessif » de l’avantage obtenu soulève en revanche de véritables questions. Selon l’appréciation qui en sera faite par le juge civil, les entreprises victimes d’un partenaire commercial indélicat auront recours à ce mécanisme ou s’en détourneront au profit des outils mis à leur disposition par le Code de commerce.
Le nouvel article 1171 du Code civil introduit dans le droit commun des contrats le concept du déséquilibre significatif pour les contrats d’adhésion. L’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce sanctionne déjà des agissements de ce type entre partenaires commerciaux, mais il exige qu’il y ait soumission ou tentative de soumission à des obligations créant un tel déséquilibre. Le Code civil, lui, n’en fait pas une condition d’existence d’un déséquilibre significatif, mais il exclut la possibilité d’apprécier l’équilibre de l’objet principal du contrat ou l’adéquation du prix. Le champ d’application de l’article 1171 nouveau du Code civil semble donc plus limité. Par ailleurs, le Code civil semble mesurer le déséquilibre clause par clause, alors que le Code de commerce envisage une appréciation concrète et globale de la relation commerciale. Enfin, les sanctions encourues divergent : alors que le Code de commerce prévoit la mise en jeu de la responsabilité civile du partenaire commercial, la nullité de la clause et le prononcé d’une amende, le Code civil répute la clause significativement déséquilibrée non écrite.
Les nouveaux articles 1143 et 1171 marquent assurément une innovation dans la pratique civiliste, mais ils ne constituent pas une révolution dans la pratique des contrats commerciaux. C’est donc de leur interprétation par les juges que dépendra la fréquence du recours à ces articles.
III – Exécution des contrats : de nouveaux principes à la portée limitée
L’ordonnance du 10 février 2016 a intégré dans le Code civil la jurisprudence autorisant la fixation unilatérale du prix dans les conventions qui prévoient la conclusion de contrats ultérieurs (Cass. plén., 1er décembre 1995, n°91-15.578, n°91-19.653, n°91-15.999, et n°93-13.688). Toutefois, cette possibilité est strictement encadrée : réservée à la pratique des contrats-cadres, elle ne peut jouer que si la faculté de fixation unilatérale du prix a été stipulée expressément, ce qui implique d’adapter contrats et conditions générales de vente ou de prestations de services en ce sens. Celle des parties qui fixera le prix unilatéralement sera alors tenue d’en motiver le montant en cas de contestation. Reste à savoir comment cette « motivation » pourra être établie : la jurisprudence devra le préciser.
Par ailleurs, l’article 1195 nouveau consacre la théorie de l’imprévision. Si cette insertion a été très commentée, elle devrait avoir peu d’effets, en pratique, sur les contrats commerciaux. En effet, les contrats de fourniture et d’approvisionnement sont très régulièrement renégociés. Les cas où l’imprévision pourrait être invoquée sont donc peu nombreux. Dans les contrats d’une certaine durée portant sur la fourniture de produits au cours ou à la disponibilité très volatil(e), l’insertion de la clause de renégociation prévue par l’article L. 441-8 du Code de commerce devrait permettre d’écarter le jeu de la règle posée par le Code civil.
La question se pose davantage dans des contrats tels que la concession ou la franchise, qui peuvent être conclus pour de nombreuses années et qui impliquent parfois, pour le distributeur, des investissements très importants au début de la relation contractuelle. Toutefois, l’évolution des caractéristiques du marché ne peut que difficilement être invoquée comme un cas d’imprévision car c’est précisément en se fondant sur des perspectives espérées de maintien ou d’évolution positive du marché que le distributeur aura relevé le pari de s’intégrer au réseau de franchise ou de concession. Si la conjoncture économique ne suit pas, sauf cas très exceptionnel, il ne pourra s’agir que d’un aléa mesurable ab initio et donc prévisible.
IV – Résiliation des contrats à durée indéterminée : codification de la jurisprudence
L’article 1211 nouveau du Code civil consacre expressément la solution acquise en jurisprudence selon laquelle chacune des parties peut librement, en donnant un préavis suffisant, résilier unilatéralement un contrat à exécution successive qui ne prévoit pas de terme. Cette solution, qui n’était jusqu’alors pas énoncée de manière générale par un texte, se trouve ainsi clairement établie, valant en principe pour tous les contrats.
La durée du préavis peut être fixée par contrat. A défaut, un délai de préavis raisonnable devra être respecté par l’auteur de la rupture. La consécration de ce principe permettra de sanctionner la brutalité de la rupture. Malgré tout, le recours à l’article 1211 du Code civil devrait rester l’exception. En effet, en matière commerciale, l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce pose le principe de la responsabilité de tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. En présence d’un texte spécial s’appliquant aux relations commerciales, le champ d’application et la portée de la règle générale du Code civil devrait être restreint.
V – Traitement des incidents d’exécution (1/2) : poursuivre le contrat malgré tout
Les mesures et sanctions applicables en cas d’inexécution contractuelle, partielle ou totale, ont été entièrement réaménagées. Ainsi, il devient possible d’obtenir amiablement ou judiciairement l’exécution forcée d’une obligation qui n’a pas été satisfaite, ou la réévaluation du prix. Quand ces solutions ne peuvent pas être mises en œuvre, il reste envisageable de mettre fin au contrat, unilatéralement ou par voie judiciaire (voir point VI).
► Le traitement de l’inexécution survenue ou probable : du nouveau
L’article 1219 nouveau consacre le mécanisme jurisprudentiel dit de l’exception d’inexécution, c’est-à-dire la possibilité, pour l’une des parties, de tirer les conséquences de l’inexécution, par son cocontractant, des prestations qui lui sont dues. Cette inexécution doit être « suffisamment grave ». C’est ici la notion d’obligation essentielle du contrat qui est implicitement visée. Si cette règle est de bon sens, elle n’était pas reconnue dans les textes du Code civil : les parties pouvaient l’invoquer pour refuser d’exécuter leurs propres obligations, mais elles devaient faire constater en justice l’inexécution du contrat et obtenir en justice sa résiliation ou sa résolution. A l’évidence, l’appréciation de la « suffisante gravité » de l’inexécution, qui peut exister même en cas d’inexécution partielle, sera sujette à débat. Il sera de l’intérêt des parties contractantes de définir contractuellement cette notion.
Plus sensible encore est la possibilité, prévue par l’article 1220 nouveau, de suspendre l’exécution d’un contrat lorsqu’une partie peut raisonnablement penser que son cocontractant risque d’être défaillant. Une telle faculté d’invoquer, en quelque sorte préventivement, une exception d’inexécution probable n’était pas admise par la jurisprudence française. Aussi comprend-on que les rédacteurs de l’ordonnance aient exigé du cocontractant, qui entend faire usage de cette faculté, qu’il notifie dans les meilleurs délais sa décision à l’autre partie. Subtile sera l’appréciation à faire du risque d’inexécution « manifeste ». Dans tous les cas, celui qui souhaitera s’en prévaloir devra disposer d’éléments de preuve, ou à tout le moins d’un faisceau d’indices convergents et tangibles. Il devra également être en mesure d’établir que les conséquences de cette inexécution anticipée présentent, pour lui, un degré de gravité suffisant, faute de quoi sa responsabilité pourra être engagée.
► La réduction de prix en cas d’exécution imparfaite
Le créancier d’une obligation qui n’a été que partiellement exécutée ou de manière non conforme peut en prendre acte et proposer une réfaction du prix correspondant au quantum de l’obligation non exécutée. Pour ce faire, un recours au juge était jusqu’à présent nécessaire.
Il en va différemment du mécanisme inscrit à l’article 1223 nouveau : le créancier d’une obligation imparfaitement exécutée pourra mettre en œuvre cette disposition sans saisir le juge. Certaines exigences doivent néanmoins être respectées. En toute hypothèse, le créancier qui entend se prévaloir du texte aura dû, préalablement, mettre en demeure le débiteur d’exécuter parfaitement son obligation. Si l’inexécution persiste, deux situations peuvent se présenter. Si le créancier n’a pas encore payé, il lui incombe de notifier à son débiteur, dans les meilleurs délais, sa décision de réduire le prix. S’il a déjà payé le prix, il ne pourra que solliciter un remboursement partiel, et proportionnel, du prix. Même si le texte n’en dispose pas, le fournisseur qui n’est pas en mesure d’exécuter entièrement ses obligations contractuelles pourra prendre l’initiative de proposer une réduction de prix, et la continuation du contrat sur la base de quantités diminuées et d’un prix réduit en proportion. En l’absence d’accord du créancier, la résolution du contrat pourra être sollicitée.
L’appréciation du caractère « proportionnel » de la réduction de prix est toutefois porteuse de risques. Comment apprécier, ainsi, la réduction de prix à appliquer en cas de retard de livraison ? Contractuellement, deux réponses pourront être faites à ce nouveau principe légal : exclure l’application de ces dispositions ou, au contraire, renforcer et développer la réduction de prix. Les aménagements contractuels devront cependant veiller à éviter deux écueils : l’abus de dépendance économique et la création d’un déséquilibre significatif.
► Exécution forcée par priorité en nature
Aux termes de l’article 1221 nouveau, l’exécution forcée en nature peut être poursuivie par le créancier de l’obligation sauf si cette exécution est impossible ou si son intérêt pour le créancier est manifestement disproportionné au regard de son coût pour le débiteur.
L’exécution forcée par un tiers indépendamment de tout recours au juge était déjà possible mais uniquement admise dans le cadre des contrats commerciaux. Reste à savoir si le fait de matérialiser cette possibilité dans un texte rendra le procédé plus attractif. Car, en pratique, la solution majoritairement retenue aujourd’hui en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution du contrat reste d’y mettre fin.
VI – Traitement des incidents d’exécution (2/2) : mettre fin au contrat
► Résolution unilatérale : rien de neuf
L’article 1226 nouveau consacre la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat par lettre recommandée en cas d’inexécution « suffisamment grave » et, sauf urgence, après avoir mis en demeure le débiteur défaillant de s’exécuter. Cette disposition fait écho à l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui reconnaît la possibilité de ne mettre fin à la relation commerciale sans respecter un préavis raisonnable en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations.
► Résolution judiciaire : une utilité résiduelle
L’article 1227 nouveau prévoit la possibilité de demander la résolution en justice du contrat. Cette possibilité existe « en toute hypothèse ». Il s’agit donc d’une disposition d’ordre public, qui ne pourra être combattue par voie de stipulation. Toutefois, à la lettre du texte de l’article 1224 nouveau, le juge ne pourra prononcer la résolution qu’en cas d’inexécution « suffisamment grave ». Cette hypothèse devrait, en pratique, assez peu se présenter pour les contrats commerciaux, puisque le Code de commerce permet spécifiquement à chaque contractant de rompre la relation commerciale en cas d’inexécution suffisamment grave, sans recourir au juge. Il ne devrait donc être recouru à ce dispositif qu’à titre subsidiaire, si le juge ne fait pas droit à d’autres demandes introduites à titre principal, comme l’exécution forcée du contrat ou la réduction du prix.
Il faut également signaler la possibilité d’obtenir la résolution judiciaire du contrat en cas d’abus dans la fixation du prix (article 1164 nouveau).
► Clause résolutoire : une pratique resserrée
Le nouvel article 1225 renforce les exigences requises pour l’efficacité d’une clause résolutoire. En effet, jusque-là, une telle clause pouvait valablement être mise en œuvre pour n’importe quel manquement dès lors qu’elle visait l’inexécution de l’une des quelconques obligations contractuelles. Le nouvel article, exigeant que soient précisés les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat, pourrait bien priver d’effet les clauses à spectre large, quel que soit le contexte dans lequel elles s’inscrivent. En pratique, cette formulation s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence, qui avait déjà été amenée à encadrer la pratique de la clause résolutoire dans les contrats commerciaux (Cass. com., 25 septembre 2007, n°06-15.517 ; Cass. com., 9 juillet 2013, n°12-21.001). Ainsi, en dépit de la liberté contractuelle, on voit bien que la résiliation ou résolution de plein droit d’un contrat sera moins fréquente, sauf à faire contractuellement un inventaire à la Prévert de toutes les conditions contractuelles susceptibles d’être ainsi sanctionnées et si tant est que le juge ne se considère pas alors investi du pouvoir d’apprécier la gravité du manquement invoqué.
Auteurs
Brigitte Gauclère, avocat Counsel en droit commercial, de la distribution et immobilier.
Vincent Lorieul, avocat en droit de la concurrence et de la distribution
Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence