La réforme fiscale américaine : cadeau de Noël !
Le 2 décembre 2017, le Sénat du Congrès américain a adopté le projet de réforme fiscale présenté en novembre par sa commission des finances.
Pour mémoire, la Chambre des représentants avait adopté son propre projet le 16 novembre 2017. La volonté politique de restaurer la compétitivité des États-Unis pourrait malheureusement aboutir à l’instauration de mesures dommageables aux entreprises étrangères et dictée principalement par des considérations de financement des baisses de recettes. L’Europe tente actuellement de peser dans la phase dite de reconciliation des deux textes et cinq ministres européens ont adressé le 11 décembre une lettre à l’ensemble des parlementaires américains pour critiquer notamment le droit d’accise de 20% envisagé.
Précisions préalables
Le montant des réductions d’impôt envisagées sur une période de 10 ans est estimé à 1.400 milliards de dollars (soit environ 4 fois le budget de l’État français). Les deux projets de texte reprennent dans les grandes lignes les propositions de la Maison Blanche et ambitionnent de mettre en œuvre la plus importante réforme fiscale américaine depuis le milieu des années 80. L’opposition des Démocrates et les dissensions au sein même du parti Républicain n’ont eu raison d’aucun des deux projets et ainsi, le processus de reconciliation des deux textes devrait aboutir à un projet unique voté par le Congrès dans son ensemble avant le 22 décembre. Cette étape devrait être aisée à franchir dans la mesure où la majorité républicaine à la Chambre est plus large que celle du Sénat. Dès lors, ce premier texte d’envergure promulgué sous la présidence de Donald Trump permettrait de faire oublier le blocage rencontré lors de la révision républicaine du système de santé dit Obamacare. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la version définitive du texte, ce sont les pratiques actuelles des entreprises qui justifient une réforme en profondeur du système américain d’imposition mondiale.
A l’origine de la réforme, un principe de mondialité pour les entreprises très décrié
Au contraire de nombreux autres pays dont la France qui ont un principe d’imposition territorial associé à une exonération des dividendes, le système fiscal américain applicable aux entreprises repose actuellement sur un principe de mondialité associé à une imposition des dividendes avec un mécanisme de crédit d’impôt. Le taux d’imposition de 35% au niveau fédéral auquel s’ajoute la fiscalité des Etats, portant parfois le taux d’imposition global à plus de 40%, est l’un des plus élevé au monde. Ce taux d’imposition dissuasif a incité de nombreux groupes américains à conserver leurs profits réalisés à l’étranger hors des Etats-Unis, ceux-ci n’étant imposés que lors de leur rapatriement. Le montant total de la trésorerie accumulée à l’étranger par l’ensemble des multinationales américaines, et pas seulement les entreprises du digital, avoisinerait les 3 000 milliards de dollars. Cette stratégie d’évitement constitue un frein à la croissance dans la mesure où la richesse n’est pas réinjectée dans l’économie américaine.
Ce principe d’imposition aurait aussi contribué aux opérations d’inversion qui consistent pour une société américaine à acquérir une société localisée dans un pays à la fiscalité plus clémente puis à faire absorber le siège social de la société mère américaine par cette société étrangère. Ces pratiques ont conduit à repenser le système fiscal américain.
Les principales mesures visant à redonner de la compétitivité aux entreprises
Le projet de la Chambre prévoit une baisse du taux d’imposition fédéral des bénéfices des entreprises à 20% à compter des exercices ouverts en 2018. Le Sénat, plus prudent que la Chambre quant à la mise en œuvre de cette baisse, a préféré retenir l’année 2019. Par ailleurs, le dispositif
autorisant le report en arrière des pertes d’exploitation nettes serait abrogé et seul subsisterait un mécanisme de report en avant qui, désormais, serait autorisé dans la limite de 90% du revenu imposable des années bénéficiaires suivantes.
Deux nouvelles règles de limitation de la déductibilité des charges financières seraient instaurées, en remplacement du régime existant. A cet égard, les projets de la Chambre et du Sénat s’accordent sur la limite de 30% de l’EBITDA applicable à la déduction des dépenses liées aux paiements d’intérêts. En revanche, si le projet de la Chambre envisage un report en avant sur 5 ans des intérêts non déductibles d’une année, celui du Sénat prévoit un report en avant illimité dans le temps. Une seconde limite s’appliquerait aux situations dans lesquelles une société américaine supporte une fraction disproportionnée de l’endettement total du groupe. Cette limite serait fixée à 110% de la part de la société américaine dans l’EBITDA total du groupe. La baisse significative du taux de l’impôt sur les sociétés, combinée aux nouvelles règles de limitation de la déductibilité des charges financières, vise à décourager les groupes internationaux à localiser la dette aux États-Unis.
Une autre disposition centrale de la réforme est le passage à un régime d’imposition « territorial ». En application de ce nouveau principe de territorialité, les deux projets de texte prévoient que les multinationales américaines détenant au moins 10% de leurs filiales étrangères bénéficieraient d’une exonération intégrale des dividendes en provenance de ces filiales. Par ailleurs, les projets introduisent une règle transitoire qui permettrait aux multinationales de rapatrier leurs actifs accumulés à l’étranger en contrepartie du paiement d’un impôt non récurrent de 14 à 14.5% sur la trésorerie et les équivalents de trésorerie et de 7 à 7.5% sur les autres actifs. Les contribuables concernés pourraient étaler le paiement de cet impôt sur une période de 8 ans et le paiement annuel ouvrirait droit à un crédit d’impôt d’égal montant imputable sur l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun.
Les mesures de lutte contre l’érosion de l’assiette imposable, une source d’inquiétude pour les groupes internationaux
Le projet de la Chambre prévoit une taxe d’accise de 20% qui s’appliquerait aux paiements de biens, de services ou de redevances versés par une société américaine à une société étrangère liée L’objectif affiché de la mesure est double : il s’agit d’éviter que la société mère américaine ne transfère ses bénéfices à l’étranger en achetant des biens produits à l’étranger par ses filiales mais également de décourager la délocalisation de la production.
Telle qu’elle est actuellement envisagée, cette taxe pourrait toutefois soulever des difficultés, en droit comme en fait. En droit d’abord, car le flux pourrait se voir doublement imposé : d’une part, le paiement de l’entreprise américaine à l’entreprise étrangère qui lui est liée ferait l’objet d’un prélèvement égal à 20% du montant du paiement et d’autre part, le paiement serait taxé dans le chef de l’entreprise étrangère en application du droit local. La mesure porterait dès lors atteinte à la fois aux principes des conventions fiscales internationales et, sans doute, aux règles de l’OMC.
En fait ensuite, car si cette taxe vise à pénaliser les entreprises américaines importatrices, elle serait corrélativement défavorable aux pays étrangers exportateurs aux Etats-Unis. En conséquence, certaines entreprises pourraient délocaliser certaines de leurs activités aux Etats-Unis, ne pouvant supporter une taxe de 20% face à des concurrents américains auxquels la taxe ne s’appliquerait pas. Par ailleurs, les entreprises américaines qui ont des filiales à l’étranger, en l’absence de contrat de sous-traitance, seraient elles aussi concernées par la taxe d’accise. Enfin, cette taxe pourrait augmenter le taux d’imposition des groupes internationaux installés aux Etats-Unis au-delà du taux d’imposition des sociétés proposé de 20%.
Probablement conscient des enjeux et critiques liés à l’introduction d’un tel droit d’accise, le Sénat a préféré retenir une mesure moins radicale mais probablement tout aussi dommageable : la BEAT (Base Erosion and Anti-abuse Tax). Cette taxe serait applicable aux sociétés américaines, dont le chiffre d’affaires excède 500 millions d’euros et dont la part de dépenses intragroupe déductibles (hors achats de marchandises) excède 4% du total de leurs dépenses déductibles. Dans ces circonstances, le montant de la taxe serait égal à la différence entre, d’une part, 10% de la base imposable de la société déterminée dans les conditions de droit commun et augmentée des flux intragroupe visés et, d’autre part, le montant de la charge fiscale nette de la société, déduction faite de certains crédits d’impôt imputables (hors crédits d’impôt étranger).
Taxe d’accise ou BEAT, la mesure anti-érosion de l’assiette fiscale est donc désormais au centre de toutes les tractations. Elle est en effet la clé du financement de la réforme fiscale dont le coût avoisinerait 1 400 milliards de dollars sur 10 ans. La croissance économique et la réduction de l’évasion fiscale résultant de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et des nouvelles règles de territorialité ne combleraient en effet ce déficit qu’à hauteur de 1 000 milliards de dollars. Afin de pallier le manque à gagner, le Congrès ne saurait se passer des futures recettes fiscales générées par la taxe anti-évasion, quelle que soit la forme retenue dans le projet de texte définitif soumis au vote. Cependant, la compatibilité d’une telle taxe avec les conventions internationales demeure discutable. Nul doute que la bataille fait rage dans les coulisses de la reconciliation des deux textes.
Auteurs
Rosemary Billard-Moalic, avocate, fiscalité internationale
Michel Collet, avocat associé en fiscalité internationale
Edouard Milhac, avocat associé, fiscalité internationale