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Regards sur l’expert-comptable du comité d’entreprise après l’ANI du 11 janvier 2013

L’ANI et sa transposition législative accroissent substantiellement les possibilités de recours à un expert-comptable déjà offertes par le droit du travail aux comités d’entreprise. Les difficultés résultant de la durée ou du coût de ces expertises et auxquelles les employeurs se trouvent souvent confrontés invitent à l’examen des nouvelles dispositions.

Depuis la loi Auroux du 28 octobre 1982, le droit des comités d’entreprise de se faire assister par un expert-comptable a été significativement renforcé. Pour ne citer que les principaux cas légaux de recours à cette assistance, on rappellera qu’un expert, rémunéré par l’employeur, peut être désigné en vue de l’examen annuel des comptes, lors de l’examen d’un projet de licenciement collectif concernant au moins dix salariés ou encore lorsque le comité exerce son droit d’alerte. Une lecture attentive de l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013 (ANI) et du projet de loi portant transposition de cet accord laisse entrevoir une nouvelle extension notable de l’intervention de l’expert dans le dialogue social.

Trois nouveaux cas de recours à l’expert-comptable

L’ANI impose désormais la consultation annuelle du comité d’entreprise sur les « orientations stratégiques » de l’entreprise (futur article L.2323-7-1 du code du travail), dans le cadre de laquelle le comité pourra se faire assister. Ce nouveau cas de recours à l’expert-comptable apparaît dans une certaine mesure redondant avec l’intervention de celui-ci en vue de l’examen annuel des comptes : en pratique, ses investigations s’étendent déjà en effet aux perspectives économiques et à la stratégie adoptée par l’employeur. La désignation de l’expert au titre des « orientations stratégiques » pourrait toutefois ne pas être systématique puisque la loi prévoit que 20 % de ses honoraires seront, dans ce cas et sauf accord contraire, à la charge du comité.

L’ANI institue par ailleurs la possibilité pour l’employeur de négocier avec les organisations syndicales un accord dit « de maintien de l’emploi » permettant, en cas de graves difficultés économiques conjoncturelles, d’aménager temporairement la durée du travail des salariés ou leurs conditions de rémunération en contrepartie de l’engagement de maintenir les emplois (futur article L.5125-1). À l’occasion de cette négociation, le comité d’entreprise pourra mandater un expert-comptable pour accompagner les organisations syndicales dans leurs discussions avec l’employeur. Il est notable que l’expert ainsi désigné sera chargé d’assister non pas son mandant mais les négociateurs syndicaux.

Enfin, on le sait, les signataires de l’ANI ont entendu favoriser la conclusion d’accords collectifs portant sur la mise en oeuvre des procédures de licenciement collectif impliquant l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi (futur article L.1233-24-1). Là encore, aux termes du projet de loi, le comité d’entreprise pourra confier à un expert-comptable la mission d’apporter aux organisations syndicales « toute analyse utile » pour mener cette négociation. Il faut souligner que ce nouveau cas de recours à l’expert ne privera pas le comité de son droit de se faire lui-même assister lors de la procédure d’information-consultation sur le projet de licenciement collectif pour motif économique. Le cas échéant, la mission de l’expert s’étendra à cette occasion au processus de recherche d’un repreneur auquel l’entreprise sera contrainte si la fermeture d’un établissement est envisagée (futur article L.1233-90-1). S’agissant de ce double recours à l’expertise, le projet de loi pose un garde-fou : l’expert-comptable désigné lors de l’information-consultation du comité sera le même que celui préalablement chargé par ce dernier d’accompagner les organisations syndicales dans leurs négociations avec l’employeur. On ose penser que les experts-comptables mandatés dans ce cadre, ou les juges saisis de cette question, prendront en compte cette redondance des missions pour fixer le montant de leurs honoraires.

Un encadrement du coût et de la durée des expertises ?

Au-delà de la multiplication des cas de recours à l’expertise, l’ANI traite de la question du coût et de la durée de l’assistance des représentants du personnel. Ainsi le texte de l’ANI prévoit que les honoraires de l’expert du comité feront l’objet d’un barème établi par le conseil de l’ordre des experts-comptables, en fonction de l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement. Ces dispositions n’ont toutefois pas été reprises dans le projet de loi ; on peut le regretter car un tel barème aurait probablement permis de tarir un contentieux relatif au coût de l’expertise de plus en plus abondant. Les signataires de l’ANI avaient par ailleurs initié un encadrement de la durée des expertises ; cette démarche a, quant à elle, été poursuivie par le législateur. Hormis le cas de l’assistance dans le cadre d’une consultation sur un projet de licenciement collectif, l’expert-comptable devra remettre son rapport dans un délai préfix déterminé par accord ou, à défaut, par un futur décret. L’accord ou le décret fixeront le délai dans lequel l’expert pourra présenter sa demande d’informations et celui accordé à l’employeur pour y répondre (futur article L.232-42-1).

Concernant les procédures de licenciement pour motif économique, l’expert disposera, à compter de sa désignation, de dix jours pour formuler ses demandes, auxquelles l’employeur devra satisfaire sous huitaine. Des demandes et des réponses complémentaires pourront alors être échangées dans ces mêmes délais. L’expert devra ensuite présenter son rapport au plus tard quinze jours avant le terme du processus consultatif du comité d’entreprise (futur article L.1233-35). L’intention des signataires de l’ANI et du législateur de limiter le temps de l’expertise est pour le moins louable. On peut toutefois craindre qu’elle ne reste lettre morte chaque fois que l’expert, à raison ou non, s’estimera dans l’impossibilité de remettre son rapport au motif qu’il n’aurait pas disposé de toutes les informations nécessaires à sa mission. Plus généralement, le développement de l’assistance des partenaires sociaux par un expert-comptable, laquelle en soi reste évidemment souhaitable, risque d’aggraver une situation parfois déplorée par les employeurs, à savoir la substitution d’une bataille d’experts à un dialogue de qualité avec les représentants du personnel.


Au jour de la rédaction du présent article, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi avait été entériné par l’Assemblée nationale et restait soumis à son adoption définitive par le sénat.

 

A propos de l’auteur

Damien Decolasse, avocat. Il conseille et défend des entreprises en matière de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale. Il est spécialisé en droit social et traite plus particulièrement des questions relatives : à l’aménagement du temps de travail, à la politique salariale et l’épargne salariale, à la négociation collective et à la représentation du personnel, aux plans de sauvegarde de l’emploi, à l’harmonisation européenne des politiques de ressources humaines, aux plans de retraite et de prévoyance, à la gestion de la mobilité internationale et aux restructurations nationales et internationales, à la mise en place de plans d’actionnariat salarié, aux restructurations, aux fusion-acquisition et transfert partiel d’actif, à la négociation collective et à la représentation du personnel, à la procédure de détachement et d’expatriation, à l’épargne salariale, au contrôle URSAFF, aux audits, à l’embauche et la rupture individuelle des contrats de travail.

 

Article paru dans la revue Décideurs de mai 2013

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