Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Le régime d’exonération des dividendes de filiales dit « régime mère-fille » : de la difficulté d’être Mère…

Le régime d’exonération des dividendes de filiales dit «régime mère-fille», que l’on croyait à tort aisé à appréhender, connaît une riche actualité jurisprudentielle, en particulier au regard des critères permettant de qualifier une participation éligible à ce régime.

Ainsi, après avoir refusé de reconnaître cette qualification à des titres ayant fait l’objet d’un prêt et alors qu’on attend prochainement sa décision en ce qui concerne les dividendes reçus par l’intermédiaire d’un partnership américain fiscalement transparent, le Conseil d’Etat vient opportunément d’éclaircir la notion de détention en capital pour l’application de ce régime.

1- Rappel des dispositions du régime d’exonération des dividendes

Ce régime prévu aux articles 145 et 216 du CGI permet d’éviter que les bénéfices de filiales françaises ou étrangères distribués à une société mère fassent l’objet d’une double imposition économique en exonérant les dividendes perçus entre sociétés soumises à l’IS (sous réserve de la taxation d’une quote-part de frais et charges de 5%) pourvu que la société mère détienne au moins 5% du capital de sa filiale pendant deux ans.

L’article 145-1 dispose ainsi que :

«les titres de participation doivent représenter au moins 5% du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s’apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation … ».

Quoique cette rédaction ne fasse référence qu’à une seule condition exprimée en pourcentage de la société émettrice, l’Administration a néanmoins exigé dans son instruction du 20 juin 2001 (4 H-1-01) que le taux de détention de la filiale s’exprime en droits financiers et en droits de vote.

Certes, une disposition spéciale (le § 6-b-ter de l’article 145) prévoyait, dans sa rédaction alors en vigueur, que «le régime spécial n’est pas applicable aux produits de titres auxquels ne sont pas affectés des droits de vote». Le § 6-b-ter a été assoupli comme suit pour les distributions intervenues à compter de 2005 : «Le régime fiscal des sociétés mères n’est pas applicable aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, sauf si la société détient des titres représentant au moins 5% du capital et des droits de vote de la société émettrice». L’Administration en a déduit, dans son instruction du 19 mars 2007 (4 H-3-07), que le régime mère-fille ne peut trouver à s’appliquer que si l’associé dispose d’un «socle» représentant à la fois au moins 5% des droits de vote et 5% des droits à dividendes.

Cette interprétation allait au-delà des exigences de la loi comme vient de le rappeler avec force le Conseil d’Etat : une société détenant au moins 5% du capital de la société distributrice peut revendiquer le bénéfice du régime mère-fille alors même que ce dernier taux n’est pas atteint s’agissant des droits de vote.

2- La jurisprudence relative aux titres démembrés avait déjà précisé la notion de détention en capital.

En 2008, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE devenue CJUE) avait rendu un arrêt très éclairant sur la notion de «participation» au sens de la Directive Européenne 90/435/CEE du Conseil dans l’hypothèse de titres détenus en usufruit (affaire «Etat belge c/ Les Vergers du Vieux Tauves SA» du 22 décembre 2008).

La CJUE y exposait sans ambiguïté que le rapport de droit du nu-propriétaire avec sa filiale

«est celui d’associé, résultant du seul fait qu’elle détient, en tant que nu-propriétaire, des parts dans le capital de cette dernière. Cette participation remplit, de façon évidente, le critère d’une «participation dans le capital» au sens de l’article 3 de la directive 90/435 et cette société, pourvu qu’elle remplisse également les autres critères fixés par cette directive, doit être considérée comme une « société mère » au sens dudit article 3».

Ladite directive «concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents», prévoyait en son article 3 que :

«1- Aux fins de l’application de la présente directive :
a) la qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d’un Etat membre qui remplit les conditions énoncées à l’article 2 et qui détient, dans le capital d’une société d’un autre Etat membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 20% … » (15% à compter de 2007) ;
(…) 2- Par dérogation au paragraphe 1, les Etats membres ont la faculté par voie d’accord bilatéral, de remplacer le critère de participation dans le capital par celui de détention des droits de vote».

Dès lors que la législation française n’avait pas remplacé le critère de «participation dans le capital» par celui de «détention des droits de vote», c’est bien la notion de «détention dans le capital» qui devait régir les dispositions de l’article 145-1 du CGI dès lors que celui-ci a été reconnu conforme aux dispositions de ladite Directive.

Ainsi, lorsque la CJUE jugeait que le critère de «participation dans le capital» vise exclusivement la relation de droit entre la mère et la fille, son interprétation était directement applicable aux dispositions de l’article 145-1 du CGI.

C’est au demeurant précisément ce qu’avait jugé le Tribunal administratif de Paris dans un jugement du 8 juillet 2009 (n°04-17286 et 08-3363, «Sté Sof-Invest»), dont l’administration n’avait d’ailleurs pas fait appel.

Il pouvait donc d’ores et déjà en être déduit que la seule détention de titres représentant 5% du capital de la filiale ouvrait droit au régime d’exonération des dividendes, peu important que les droit de vote ne soient moindres.

3- L’arrêt «Sofina» du Conseil d’Etat tranche la question

La SA Sofina société de droit belge et résidente de Belgique, avait reçu, au cours des années 2008 et 2009, des dividendes d’une société française, sur lesquels des retenues à la source au taux de 15% avaient été prélevées.

Or, par une instruction 4 C-7-07 du 10 mai 2007, l’administration a tiré les conséquences de l’arrêt du 14 décembre 2006 de la CJCE dans l’affaire Denkavit en décidant qu’à compter du 1er janvier 2007, les distributions de source française profitant à une mère communautaire doivent, sauf montage artificiel, échapper à la retenue à la source dès lors que la participation atteint au moins 5%, du capital de la société distributrice.

L’administration avait par ailleurs précisé (instruction 4 C-8-07), que :

«Pour l’appréciation du respect du seuil de 5%, il est fait application des mêmes règles
que celles existant pour le régime mère-fille prévu à l’article 145 du code général des impôts (…) » .

La société Sofina s’était prévalue de ces instructions pour obtenir la restitution des retenues à la source acquittées.

Au cas d’espèce, la société belge détenait bien 5% du capital de la société française mais ceux-ci ne représentaient que 3,63% des droits de vote en 2008 et 4,29% en 2009.

L’administration lui avait objecté que n’ayant pas 5% des droits de vote, l’exonération de la retenue à la source applicable dans le régime européen des sociétés mères ne pouvait pas s’appliquer.

Le Conseil d’Etat (05/11/2014, 370650) a fort logiquement donné raison à la société Sofina en jugeant que :

«si les dispositions de l’article 145 du code général des impôts subordonnent notamment l’application du régime fiscal des sociétés mères à la condition que la société mère détienne une participation représentant au moins 5% du capital de la société distribuant les dividendes, elles n’exigent pas, pour l’appréciation du seuil de détention d’au moins 5% du capital de la société émettrice, que des droits de vote soient attachés à chacun des titres de participation détenus par la société mère ni, a fortiori, que les droits de vote éventuellement attachés aux titres de participation soient strictement proportionnels à la quotité de capital qu’ils représentent».

Le Juge écarte également l’argument de l’administration fiscale selon lequel l’intention présumée du législateur aurait été de réserver l’exonération des dividendes aux seuls associés impliqués dans la gestion de la filiale (et ayant à ce titre un certain montant de droits de vote), au motif classique qu’en l’absence d’ambiguïté, il n’est nul besoin de rechercher l’intention du législateur au regard d’un texte suffisamment clair.

Le Conseil d’Etat devrait être appelé à confirmer prochainement sa position dans une affaire Financière Pinault dans le cadre du pourvoi qui avait été introduit par le Ministre du Budget à l’encontre de l’arrêt rendu le 11 septembre 2012 par la Cour administrative d’appel de Versailles, laquelle avait confirmé le droit à l’exonération des dividendes perçus par une société dont le pourcentage des droits de vote dans sa filiale était tombé à moins de 5% par suite de la création de droits de vote doubles au bénéfice de certains actionnaires, mais qui avait continué à détenir 5% au moins de son capital.

L’article 145 du CGI est dès lors très clair ; il signifie que :

  • pour bénéficier de l’exonération des dividendes, la société bénéficiaire doit détenir une participation égale à 5% au moins du capital de la société distributrice (principe) ;
  • parmi ces dividendes, sont exclus de l’exonération ceux afférents à des titres sans droits de vote (exception) ;
  • cette exception est cependant ignorée si la société bénéficiaire détient au moins 5% du capital et 5% des droits de vote (exception à l’exception).

 

Auteurs

Arnaud Donguy, avocat associé en matière de fiscalité des entreprises et d’impôt sur les sociétés.

Jean-René Bénichou, avocat associé en matière de fiscalité directe

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 1er décembre 2014