Régimes de retraite à prestations définies et directive du 16 avril 2014 : où en sommes-nous?
8 juin 2018
La situation des régimes de retraite à prestations définies en France est amenée à évoluer substantiellement compte tenu de la transposition à venir de la directive européenne 2014/50/UE du 16 avril 2014 relative à l’acquisition et à la préservation des droits à pension complémentaire.
Même s’il faut constater que cette transposition avance difficilement, tant pour des raisons juridiques que politiques, reste que l’examen des dispositions de la directive permet dès aujourd’hui de donner un certain nombre d’éléments sur les grands traits du futur texte.
Où en sommes-nous concrètement aujourd’hui ?
Point sur la directive 2014/50/UE du 16 avril 2014
La directive du 16 avril 2014 nécessite d’aménager les régimes de retraite à prestations définies dont l’acquisition des droits est subordonnée à la présence du bénéficiaire dans l’entreprise au moment de la liquidation de ses droits à retraite.
Les principales contraintes posées par la directive
Les principales contraintes posées par la directive sont les suivantes :
- une condition d’ancienneté, si elle existe, ne peut excéder trois ans pour avoir des droits acquis dans le cadre du régime de retraite supplémentaire ;
- lorsqu’un âge minimal est fixé pour l’acquisition de droits à pension, celui-ci n’est pas supérieur à 21 ans.
En revanche, aucune transférabilité des droits n’est imposée par la directive, même si celle-ci est recommandée par le texte.
On relèvera également que la directive n’est pas d’application obligatoire aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur d’un même État membre. Toutefois, le texte indique que les États membres peuvent envisager d’étendre ces règles aux bénéficiaires qui changent d’emploi au sein d’un même État membre. En pratique, comme le remarque un rapport commun de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) de décembre 20141, il apparaît difficile de ne pas étendre l’application de ce texte à la mobilité au sein d’un état. En effet, on voit mal comment une entreprise pourrait justifier qu’un bénéficiaire qui part à l’étranger a des droits acquis au titre du régime alors que celui qui part dans une autre entreprise en France perd tous ses droits.
Quels sont les régimes concernés ?
Sont concernés tous les régimes de retraites complémentaires (prestations ou cotisations définies, individuels ou collectifs, gérés en interne ou externalisés) pour lesquels un droit existe en raison d’une relation de travail et qui sont liés à la condition d’atteindre l’âge de la retraite ou de satisfaire à d’autres exigences.
La directive indique toutefois qu’elle ne s’applique pas aux régimes complémentaires de pension qui ont été fermés à la date d’entrée en vigueur de la directive (à savoir le 20 mai 2014), c’est-à -dire ceux qui à cette date n’acceptent plus de nouveaux affiliés.
On remarquera également que la directive ne s’applique qu’aux périodes d’emploi accomplies après sa transposition. En conséquence, tous les droits « potentiellement » acquis avant l’entrée en vigueur du texte qui transposera en droit français cette directive ne seront pas concernés par cette réforme.
Quelles difficultés à anticiper ?
La transposition de ce texte en droit français soulève de très nombreuses difficultés en ce qui concerne les régimes de retraite à prestations définies.
En effet, actuellement ceux-ci sont majoritairement à droits non acquis si le bénéficiaire quitte l’entreprise avant la retraite. Or, la mise en place de droits acquis renchérira fortement le coût de ces régimes du fait de l’augmentation du nombre de bénéficiaires.
Par ailleurs, il existe une incertitude sur l’application de la directive aux mandataires sociaux car celle-ci vise les « travailleurs » et parfois expressément les travailleurs « salariés » (point soulevé également par le rapport de l’IGAS/IGF de décembre 2014).
Dans l’affirmative, la directive est-elle compatible avec les exigences posées actuellement par la loi « Macron » pour les mandataires sociaux de sociétés cotées, lesquelles prévoient que l’acquisition de droits potentiels est subordonnée au fait de remplir des conditions de performance ? Les droits pourraient ainsi être acquis au plan du droit des assurances et non acquis au plan du droit des sociétés ? Ce point devra également être réglé au moment de la transposition du texte.
Mais le vrai point de complexité est le régime social et fiscal de ces régimes une fois que les droits s’acquerront progressivement, dès lors que celui existant actuellement pour les régimes à cotisations définies s’avère inadapté.
Où en est-t-on à ce jour ?
La directive prévoit qu’elle doit être transposée en droit interne au plus tard le 21 mai 2018. Ce délai est déjà dépassé mais le projet de loi PACTE2 prévoirait que le Gouvernement serait autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi PACTE, les mesures relevant du domaine de la loi propres à transposer la directive.
A ce jour, à notre connaissance, aucun texte véritablement aboutit n’est en circulation. Les assureurs de la place proposeraient un dispositif très similaire à celui qui avait exposé dans le cadre de l’amendement « de Courson »3 en 2017, lequel avait toutefois été rejeté par le gouvernement, à savoir:
- les droits seraient acquis après au moins trois ans d’ancienneté dans l’entreprise ;
- les droits du bénéficiaire, exprimés par année d’ancienneté, ne pourraient augmenter annuellement d’un montant supérieur à 3% de la rémunération annuelle servant de référence au calcul de la rente versée dans le cadre des régimes différentiels et 50% de ce plafond pour les régimes additifs ;
- la rémunération annuelle de référence serait constituée par le salaire moyen des années d’activité, sans que le nombre d’années pris en compte puisse être inférieur à trois ans ;
- le montant de la rente annuelle serait plafonné au montant le plus élevé entre huit PASS (plafond annuel de la sécurité sociale) et 30% de la rémunération annuelle de référence.
En ce qui concerne le régime fiscal et social applicable :
Pour l’entreprise :
- les cotisations seraient considérées comme des charges déductibles au titre de l’impôt sur les sociétés ;
- les cotisations supporteraient une taxation forfaitaire dont le taux serait égal à celui prévu à l’article L.137-16 du code de la sécurité sociale (« forfait social »).
Pour le salarié :
- les prestations seraient imposées à l’impôt sur le revenu selon le régime de droit commun des rentes acquises à titre gratuit, compte tenu du différé d’acquisition définitive à l’âge de la retraite;
- les cotisations ne seraient pas un élément de rémunération individualisable car les droits ne seraient versés que sous réserve que le bénéficiaire soit en vie lors de son départ à la retraite ;
- les prestations supporteraient également les charges sociales de droit commun sur les pensions de retraite. Serait donc supprimée la taxation spécifique actuellement prévue (7% et 14%) compte tenu de l’encadrement législatif des nouveaux régimes.
En tout état de cause, tant que la directive ne sera pas transposée en droit français, elle ne sera pas invocable par les bénéficiaires de régimes de retraite à prestations définies pour revendiquer des droits acquis.
Quelles solutions alternatives ?
Dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les contraintes imposées aux régimes de retraite à prestations définies de type « article 39 » par les dispositions de l’article L.225-42-1 du Code de commerce tel que modifié par la loi Macron, c’est-à -dire des conditions de performance non seulement pour l’acquisition graduelle des droits conditionnels mais également pour le versement de la rente lors de la fin de la carrière, ont amené les acteurs du marché à réfléchir aux alternatives moins pénalisantes pour leurs bénéficiaires.
D’emblée, nous écartons les bons de souscription d’actions, dispositif qui présente aujourd’hui un risque fiscal trop important pour être recommandé. Les principaux dispositifs auxquels il est proposé de réfléchir ici comme alternative aux retraites « article 39 » permettant une rémunération liée à une motivation à moyen ou long terme, sont : les attributions gratuites d’actions, les stock-options, les primes et les régimes de retraites de type « article 82 ».
Les attributions gratuites d’actions et les octrois de stock-options sont effectués, selon le cas, par le conseil d’administration, le directoire ou la gérance, sur autorisation de l’assemblée générale des actionnaires. Le bénéfice de ces attributions gratuites d’actions et octrois de stock-options est ouvert aux dirigeants opérationnels des sociétés émettrices ou de leurs filiales. Dans le cas des attributions gratuites d’actions, hors le cas des PME européennes, il ne peut être attribué plus de 10% du capital à la date d’attribution, individuellement et globalement (la limite globale pouvant être portée à 30% en cas d’attribution à tous les salariés). Dans le cas des stock-options, le nombre total des options ouvertes et non encore levées ne peut donner droit à souscrire un nombre d’actions excédant le tiers du capital social. En tout état de cause, une personne détenant plus de 10% du capital ne peut recevoir ni actions gratuites ni stock-options, étant précisé, dans le cas des actions gratuites, que l’attribution ne doit pas non plus conduire un bénéficiaire à détenir plus de 10% du capital, une telle limite n’existant pas s’agissant des stock-options. Enfin, dans les deux cas, les actions résultant d’une attribution gratuite ou d’une levée d’options pourront être des actions nouvelles ou des actions existantes rachetées par la société.
Les attributions gratuites d’actions font l’objet d’une période d’acquisition et le cas échéant de conservation. Les durées minimum sont soit une période d’acquisition d’un an assortie d’une période de conservation d’un an, soit une période d’acquisition de deux ans sans période de conservation obligatoire. Une telle restriction n’existe pas pour les stock-options, dont le conseil d’administration peut décider qu’elles seront exerçables dès la date de l’octroi. En revanche, l’exercice des stock-options est payant, à hauteur du prix de souscription ou d’achat des actions. De plus, la fixation de ce prix d’exercice est encadrée par les textes.
L’intérêt principal de ces mécanismes tient au fait que, sous réserve d’en respecter le cadre légal, l’organe qui en décide l’attribution ou l’octroi est libre de fixer les conditions de l’attribution définitive des actions ou de levée des options : condition de présence aux effectifs, conditions de performance ou encore condition de co-investissement (rare en pratique). Les attributions gratuites d’actions et les levées d’options peuvent également être étalées dans le temps en plusieurs tranches, chacune soumises à des conditions particulières. Il s’agit de mécanismes permettant de mesurer précisément la performance dans le temps et de la récompenser de manière adéquate, avec un régime fiscal et social encadré (moins avantageux dans le cas des stock-options que dans celui des actions gratuites). Enfin, contrairement aux retraites « article 39 », ces dispositifs ne constituent pas des conventions réglementées, même si cet avantage est atténué par les obligations récentes en matière de « say on pay », ni ne se voient imposer par la loi des conditions de performance.
Toutefois, ces mécanismes présentent également certaines contraintes : autorisation préalable de l’assemblée générale extraordinaire, et, pour les mandataires sociaux attributaires : obligation de conservation de tout ou partie des actions jusqu’à la fin de leurs fonctions au sein de la société attributrice, conditions de performance recommandées par les codes de gouvernance (à défaut : explications à fournir dans le rapport annuel). De plus, dans les sociétés cotées sur un marché réglementé, il faut améliorer la situation des salariés (attribution générale d’actions gratuites ou de stock-options ou amélioration de l’intéressement) pour pouvoir attribuer des actions gratuites ou des options aux mandataires sociaux.
Un autre mécanisme alternatif est celui de la prime à acquisition graduelle : une prime annuelle, perçue à partir d’une certaine ancienneté ou tranche d’âge, dont l’importance croît avec les années. Ce dispositif qui permet de moduler par avance l’augmentation annuelle de la prime sur un critère d’ancienneté. Une telle prime constitue un pourcentage de la rémunération fixe. Il en résulte qu’elle ne donne lieu ni à une convention réglementée, ni, pour les sociétés concernées, à un vote « say on pay » ex post par l’assemblée générale. De plus, s’agissant d’une rémunération en espèces, il n’y a pas de sous-jacent en actions à gérer. Le principal inconvénient est le coût, en l’absence de régime fiscal et social de faveur : application du régime fiscal et social des traitements et salaires. Enfin, un point de vigilance à signaler : le versement d’une telle prime ne doit en aucun cas être causé par le départ du bénéficiaire de la société, sinon cette prime sera traitée comme un golden parachute : convention réglementée avec conditions de performance.
Une dernière alternative qui pourrait être considérée, mais avec davantage de prudence : les régimes de retraite « article 82 ». Il s’agit de régimes individuels à adhésion facultative, constituant des conventions réglementées pour les mandataires sociaux des sociétés cotées sur un marché réglementé, mais reposant sur un mécanisme d’assurance-vie. De ce fait, si la sortie et la liquidation du régime se font en général au moment du départ à la retraite, il est possible de le faire avant. Dans ce second cas, on peut légitimement se demander si une liquidation anticipée de ce type de retraite pourrait permettre d’échapper à l’obligation légale des conditions de performance pour les rémunérations dues à raison de la fin des fonctions, mais il n’existe à ce jour aucune jurisprudence sur ce point.
Il conviendra de réexaminer l’attractivité de ces dispositifs alternatifs à la lumière des nouvelles dispositions qui seront adoptées concernant les régimes de retraite à prestations définies dans le cadre de la transposition de la directive.
Notes
1 Rapport dit « Charpin » sur l’encadrement des retraites chapeau . Le rapport et ses annexes ont été rendus publics le 16 janvier 2015.
2Projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises.
3 Amendement n°883 déposé dans le cadre du PLFSS pour 2018, rejeté par le Gouvernement au motif que: « Afin d’offrir un cadre juridique protecteur des droits des salariés mais aussi pour nous prémunir contre le retour de certaines dérives du système actuel, le Gouvernement souhaite prendre le temps de la réflexion et poursuivre les échanges avec les acteurs de la retraite complémentaire »
Auteurs
Florence Duprat-Cerri, avocat counsel, droit social
Thibault Jabouley, avocat, Corporate et droit boursier
Régimes de retraite à prestations définies et directive du 16 avril 2014 : où en sommes-nous? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 7 juin 2018
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