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L’avenir des règles françaises de limitation de la déduction des intérêts au regard du droit européen

L’avenir des règles françaises de limitation de la déduction des intérêts au regard du droit européen

Les nouvelles règles de limitation de la déduction des intérêts, adoptées au sein de la récente directive de lutte contre l’évasion fiscale (Directive ATAD), et celles envisagées dans le cadre du projet de directive visant à établir au niveau européen une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés, posent la question du devenir des règles françaises actuelles, déjà nombreuses dans ce domaine.

La Directive ATAD, qui a été adoptée le 12 juillet 2016, impose aux Etats membres de transposer dans leur législation interne un socle minimal de règles visant à lutter contre l’évasion fiscale.

Elle contient un dispositif qui fixe le principe d’une limitation de la déduction des « surcoûts d’emprunt1 » à 30% de l’EBITDA fiscal2, tout en offrant aux Etats membres une certaine latitude pour en déterminer le champ et les modalités d’application.

Les Etats membres peuvent notamment décider d’appliquer cette règle directement au niveau des groupes fiscaux, d’en dispenser les entités autonomes et les entreprises financières, et de ne pas tenir compte des emprunts contractés avant le 17 juin 2016 ou pour financer des infrastructures publiques à long terme.

Ils peuvent également autoriser la déduction des surcoûts d’emprunt dans la limite de 3 millions d’euros, et mettre en place un mécanisme de report des surcoûts d’emprunt non déductibles ou des capacités inemployées de déduction. Ils peuvent enfin prévoir une clause de sauvegarde qui permettrait de limiter la réintégration des surcoûts d’emprunt pour les entités appartenant à un groupe consolidé qui présente un ratio d’endettement supérieur au leur.

Ce dispositif a vocation à s’appliquer au plus tôt le 1er janvier 2019 et au plus tard le 1er janvier 2024. En effet, si la date limite de transposition de la Directive ATAD est en principe fixée au 31 décembre 2018, par dérogation, les Etats membres, qui disposent aujourd’hui de règles nationales comparables et jugées aussi efficaces pour limiter les risques d’évasion fiscale, peuvent attendre jusqu’à la clôture de l’exercice au cours duquel les pays membres de l’OCDE auront conclu et publié un accord portant sur une règle minimale en matière de déduction des intérêts dans le cadre du projet BEPS, et à défaut jusqu’au 1er janvier 2024, pour le transposer.

Quelle que soit la date de transposition retenue, il se pose cependant d’ores et déjà la question de savoir si ce dispositif s’ajoutera simplement aux nombreuses règles existant dans notre législation fiscale en matière de limitation de la déduction des intérêts d’emprunt, ou s’il viendra, au moins en partie, s’y substituer.

A cet égard, le préambule de la Directive ATAD précise qu’en sus des règles de limitation des intérêts qu’elle prévoit, « les Etats membres pourraient également utiliser des règles ciblées pour lutter contre le financement de la dette intragroupe, en particulier des règles en matière de sous-capitalisation ».

Il est vrai que si la Directive ATAD propose aux Etats membres des mécanismes de mise en œuvre de son dispositif de limitation de la déduction des intérêts qui rappellent ceux que nous connaissons dans le cadre du régime français en vigueur depuis 2007 pour lutter contre la sous-capitalisation (tels que la clause de sauvegarde et le mécanisme de report des intérêts non déductibles), pour autant ce nouveau dispositif n’a pas le même champ d’application puisqu’il vise l’ensemble des intérêts payés (et reçus) par une entité, et non les seuls intérêts versés à des sociétés liées (ou à des sociétés garanties par des sociétés liées).

Il ne serait donc pas surprenant que les règles de lutte contre la sous-capitalisation survivent à la Directive ATAD, de la même façon qu’elles coexistent aujourd’hui avec le régime de limitation générale de déduction des charges financières, couramment appelée la règle « du rabot ».

La Directive ATAD pose en particulier la question du devenir de la règle dite « du rabot ».

En revanche, il est permis de se demander dans quelle mesure la règle du rabot pourrait encore être appliquée dès lors que le dispositif de limitation de la déduction des intérêts issu de la Directive ATAD aura été transposé.

Les deux régimes présentent en effet des similitudes. Ils ont tout d’abord un champ d’application matériel comparable puisque la notion de surcoûts d’emprunt est relativement proche de celle de charges financières nettes retenue pour l’application du rabot. De la même façon, le nouveau dispositif aurait vocation à s’appliquer directement au niveau du résultat d’ensemble des groupes fiscaux, et si le montant des surcoûts d’emprunt excède 3 millions d’euros (pour l’application de la règle du rabot, le seuil de 3 millions d’euros constitue toutefois une franchise à partir de laquelle le mécanisme du rabot s’applique à l’ensemble des charges financières nettes, alors qu’elle constituerait plutôt un abattement dans le cadre du nouveau dispositif).

Cependant, il est vrai que ces deux régimes obéissent à des logiques différentes. La règle du rabot se traduit en effet par la réintégration systématique de 25% des charges financières nettes (dès lors qu’elles excèdent 3 millions d’euros) quel que ce soit le niveau de résultat fiscal de la société ou du groupe fiscal concerné, alors que l’application du niveau dispositif est réservé aux seules sociétés ou groupes

fiscaux présentant un niveau d’endettement jugé disproportionné par rapport aux profits qu’ils sont susceptibles de réaliser.

En théorie, on pourrait donc imaginer que les deux mécanismes coexistent. La règle du rabot continuerait alors de s’appliquer de la même façon, tandis que le nouveau dispositif interviendrait plutôt dans un deuxième temps pour constater un éventuel complément de charges financières nettes non déductibles.

Une telle approche ne semble cependant pas souhaitable car elle aurait pour inconvénient de rendre encore plus complexe un arsenal législatif déjà très fourni en France pour limiter la déduction des intérêts.

Le champ d’application de la règle du rabot, devrait en tout état de cause se réduire considérablement si le projet de directive relative à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés est finalement voté.

En tout état de cause, les règles françaises actuelles de limitation de la déduction des intérêts, et en particulier la règle du rabot, pourraient à l’avenir voir leur champ d’application se réduire d’une façon relativement significative si les Etats membre de l’Union européenne adoptent la directive relative à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés.

Un projet de directive3 a en effet été présenté en ce sens le 25 octobre dernier par la Commission européenne. Cette directive constituerait la première étape d’un projet visant à mettre en place une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS) au niveau européen.

En l’état du projet de directive, l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés aurait vocation à s’appliquer obligatoirement aux sociétés appartenant à des groupes réalisant un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 750 millions d’euros, et sur option aux sociétés appartenant à d’autres groupes.

Les sociétés concernées cesseraient d’être soumises à la législation nationale relative à l’impôt sur les sociétés pour tous les domaines réglementés par cette directive (sauf indication contraire).

Or le projet de directive actuel contient pour seule règle de limitation de la déduction des intérêts d’emprunt un dispositif comparable à celui prévu par la Directive ATAD (à cette différence près qu’il ne laisse plus aucune latitude aux Etats membres pour déterminer son champ et ses modalités d’application mais impose des règles communes).

Dans ces conditions, les sociétés qui se trouveraient soumises à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés ne seraient notamment plus concernés par la règle du rabot.

Or, compte tenu de son seuil de déclenchement, fixé à 3 millions d’euros de charges financières nettes, la règle du rabot vise principalement les grands groupes (réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros), et à la marge les groupes d’une taille intermédiaire.

En pratique, si la directive relative à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés était adoptée, seuls quelques groupes de taille intermédiaire pourraient donc encore être soumis à la règle du rabot (à défaut d’avoir opté pour les règles de l’assiette commune), et s’en trouveraient potentiellement pénalisés.

Dans ces conditions, la Directive ATAD, comme le projet de directive relative à l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés, devraient inciter le législateur à envisager la suppression de la règle du rabot.

Notes

1 Les surcoûts d’emprunt correspondent à la différence entre les coûts d’emprunt déductibles et les revenus d’intérêts imposables.
2 L’EBITDA fiscal correspond au bénéfice imposable avant prise en compte des intérêts, impôts, dépréciations et amortissements. Les revenus exonérés d’impôts, comme par exemple les dividendes perçus en application du régime des sociétés mères et filiales, sont exclus de l’EBITDA du contribuable.
3 Projet de directive COM (2016) 685 final

 

Auteur

Nicolas Riou, avocat counsel, droit fiscal.

L’avenir des règles françaises de limitation de la déduction des intérêts au regard du droit européen – Article paru dans le magazine Option Finance le 28 novembre 2016