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Réorganisations intragroupe avec transfert d’actifs

La Cour de cassation sonne le glas de la non-imposition des conventions de successeur conclues dans le cadre de réorganisations intragroupe

Par un arrêt du 3 avril dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue réaffirmer l’application aux conventions de successeur d’un régime identique à celui dont relèvent les cessions de fonds de commerce ou de clientèle, sans que l’appartenance à un groupe de sociétés des parties à l’opération, ni l’objectif de réorganisation poursuivi par ladite opération, puissent être pris en considération pour éluder le paiement des droits d’enregistrement.

I – L’article 720 du CGI ou l’assimilation des conventions de successeur aux cessions de fonds de commerce

L’article 720 du Code Général des Impôts (« CGI ») soumet aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de fonds de commerce ou de clientèle « toute convention à titre onéreux ayant pour effet de permettre à une personne d’exercer une profession, une fonction ou un emploi occupé par un précédent titulaire, même lorsque ladite convention conclue avec ce titulaire ou ses ayants cause ne s’accompagne pas d’une cession de clientèle ».

Le paiement des droits est alors dû sur l’ensemble des sommes dont le paiement est imposé en application de la convention concernée, ainsi que sur toutes les charges incombant au successeur.

On rappelle que l’application de l’article 720 du CGI requiert que les trois conditions suivantes soient cumulativement remplies :

  • la convention doit avoir été conclue à titre onéreux ;
  • l’activité exercée par le nouveau titulaire doit être la même que celle qui était exercée par le précédent titulaire ; et,
  • l’opération qui fait l’objet de la convention ne doit pas tomber dans le champ d’application d’une autre disposition fiscale.

Cette disposition a été introduite dans le CGI en vue de permettre l’application des droits de mutation aux opérations qui produisent des effets comparables à ceux d’une cession de fonds de commerce ou de clientèle, sans en avoir les caractéristiques juridiques. La jurisprudence a progressivement dessiné les contours du champ d’application de l’article 720 du CGI pour y intégrer plusieurs types d’opérations ; il s’agit notamment des conventions conclues par certaines professions libérales, principalement les professions médicales et juridiques, en vue d’organiser la présentation d’un successeur, de certaines conventions conclues dans le secteur des assurances (conventions emportant changement du titulaire d’un portefeuille d’assurances moyennant le versement d’une indemnité versée par le successeur), ou encore des cessions et concessions de services publics.

Dans ces différents domaines, le terrain a rapidement été « balisé », mais une tolérance a longtemps existé s’agissant des opérations intervenant au sein des groupes de sociétés.

Il n’est en effet pas rare au sein de tels groupes qu’il soit procédé à des transferts de fonctions ou de contrats prenant la forme d’un transfert gratuit de la charge et du bénéfice de la fonction ou du contrat et à la vente concomitante des matériels et outillages nécessaires à l’exploitation transmise.

II – L’arrêt du 3 avril 2013 : une nouvelle confirmation du refus de reconnaître l’existence des groupes de sociétés

La Cour de cassation a, à l’origine et pendant longtemps, retenu une approche clémente à l’égard de ce type d’opérations. En effet, la Cour avait considéré dans une première décision que c’était sans fraude qu’une opération de réorganisation réalisée au sein d’un groupe de sociétés n’avait donné lieu qu’au seul règlement de la valeur de certains biens corporels, à l’exclusion de tout paiement d’un prix de cession pour le transfert de l’activité (Cass.com. 2 octobre 1978 N° 77-12.719).

Cette position de la Haute Cour favorisant la réalisation de ce type d’opérations avait d’ailleurs été confortée par des décisions ultérieures, qui concluaient que l’administration fiscale ne peut appliquer l’article 720 du CGI à une opération qui s’inscrit dans le cadre d’une restructuration ou d’une réorganisation industrielle d’un groupe, car celle-ci est privée par « nature » du caractère onéreux et donc n’entre pas, comme on l’a vu plus haut, dans le champ de la définition légale de cet article (Cass. com. 17 décembre 1991, n° 89-18.302, et Cass. com. 7 avril 1992, n° 90-10.254).

La Cour était toutefois revenue partiellement sur cette position par un arrêt du 12 novembre 1996 en s’attardant sur le critère du caractère onéreux de la convention, sans toutefois s’intéresser à l’objectif de réorganisation du groupe. La Cour avait aussi, peu de temps après, reconnu le caractère onéreux d’une convention passée entre deux sociétés filiales d’un même groupe exerçant une activité de fabricant de matériel informatique, qui résultait du seul paiement exigé de la société cessionnaire pour la cession des biens devant lui permettre succéder à l’activité de l’autre société partie à la convention, n’important pas à cet égard, qu’elles appartenaient au même « groupe » (voir également dans le même sens Cass.com. 16 décembre 1997 n° 2544P).

Depuis ces décisions, aucun doute n’était plus permis sur le caractère onéreux, au sens de l’article 720 du CGI, des opérations associant un transfert gratuit du bénéfice et de la charge d’un contrat et la vente des matériels nécessaires à l’exploitation de l’activité transmise.

L’exception admise du fait que l’opération se produit dans le cadre de la réorganisation du groupe devait-elle être considérée comme ayant été abandonnée ? L’administration considérait que non (BOI-ENR-DMTOM-10-10-30 n° 70 et 80) et elle avait obtenu récemment une décision conforme à ses vues dans le cas d’un fabricant qui avait cédé à une entité nouvellement créée par ses soins les immobilisations nécessaires à l’exploitation d’une branche d’activité et lui avait transféré à cette occasion le bénéfice des contrats fournisseurs et des contrats de travail (Cass. com. 29 janvier 2013 n° 12-14-032).

Toutefois, la Haute Juridiction n’avait pas décidé d’intégrer les deux décisions visées ci-dessus à sa doctrine, dans la mesure où lesdites décisions n’avaient pas été publiées au Bulletin des arrêts de la Cour. On pouvait donc y voir l’illustration de la volonté du juge suprême de ne donner qu’une portée relative à ces décisions qui avaient pourtant retenu toute l’attention des praticiens.

Mais la Cour vient de confirmer sa position, cette fois sans aucune équivoque, dans un arrêt du 3 avril 2013 dont la portée de principe est soulignée par la publication qui en est faite à la fois au Bulletin des arrêts de la Cour et au Bulletin d’information de la Cour de cassation (Cass.com. 3 avril 2013, FS+P+B n° 12-10.042).

Cet arrêt précise les conditions d’application de l’article 720 du CGI aux conventions de successeur conclues au sein d’un groupe dans un cas où une société avait, dans le cadre d’une restructuration interne, décidé de sous-traiter à une société slovaque de son groupe la fabrication de certaines de ses productions et lui avait à cet effet cédé les matériels nécessaires.

Pour conclure au bien-fondé de l’application des droits de mutation au prix des matériels cédés sur le fondement de l’article 720 du CGI, la Cour juge que :

  • Le caractère onéreux des cessions résulte du seul paiement exigé de la société cessionnaire pour la cession des biens devant lui permettre de succéder à l’activité de production du cédant.
  • Peu importe que les deux parties appartiennent au même groupe ou que l’opération soit réalisée à l’occasion de la réorganisation interne du groupe, ces circonstances n’étant pas de nature à enlever à l’opération son caractère onéreux.
  • La Cour d’appel n’avait pas à se prononcer sur les causes de la restructuration interne, leur incidence sur le prix de cession et l’absence de reprise des engagements.

L’objectif de réorganisation du groupe de sociétés, qui n’avait pas été visé, et donc pas formellement écarté par la Cour dans sa décision de 1996, est donc désormais explicitement exclu en tant que critère pouvant permettre aux parties à une opération de ce type d’échapper à l’application de l’article 720 du CGI.

 

A propos de l’auteur

Thomas Hains, avocat. Il traite essentiellement des dossiers de fusions-acquisitions, de private equity, et de restructurations tant dans un contexte international que domestique.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 15 juillet 2013

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