Réparation en cas de clause de non-concurrence nulle : le salarié doit faire la démonstration du préjudice qu’il a subi
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2 août 2016
Revenant sur une jurisprudence pourtant bien établie en la matière, la Cour de cassation a jugé par une décision du 25 mai 2016 que le salarié qui se prévaut d’une clause de non-concurrence nulle doit justifier du préjudice subi pour prétendre à une indemnisation. Retour sur une décision qui ne surprend guère car s’inscrivant finalement dans le droit fil de décisions récentes de la Chambre Sociale de la Haute Cour selon lesquelles la réparation est désormais subordonnée à l’existence et la justification d’un préjudice.
De la préparation du préjudice de principe en cas de nullité de la clause de non-concurrence …
Une clause de non-concurrence qui ne satisfait pas aux conditions de validité posée par la jurisprudence (indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur, limitée dans le temps, l’espace et quant à son objet et existence d’une contrepartie financière ; ces critères étant cumulatifs) encourt la nullité.
La question qui se posait était de savoir si le salarié tenu par une clause de non-concurrence ne satisfaisant pas aux conditions de fond déterminées par la jurisprudence subissait un préjudice emportant automatiquement et, en soi, indemnisation ; sachant que la jurisprudence considère de longue date que le fait d’imposer une clause de non-concurrence nulle n’emportait pas pour le salarié le droit à la perception d’une contrepartie financière lorsque celle-ci n’était pas prévue.
Jusqu’à la décision du 25 mai 2016, la Cour de cassation considérait que la stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié qui devait donner lieu à réparation (en ce sens Cass. soc. 27 novembre 2013 et 28 janvier 2015, notamment).
Ainsi, alors même qu’avant ces décisions la Cour de cassation décidait que la nullité de la clause de non-concurrence n’ouvrait droit à réparation que pour le salarié qui avait respecté la clause illicite, ce qui pouvait aisément et logiquement se concevoir, la haute juridiction décidait pour autant que l’existence d’une clause de non-concurrence nulle entrainait, par principe (c’est-à -dire « nécessairement »), un préjudice pour le salarié qui devait donner lieu à réparation.
Ainsi, le salarié tenu contractuellement par une clause nulle pouvait prétendre à des dommages-intérêts sans devoir apporter la moindre justification du préjudice subi. Paradoxalement, un salarié pouvait bénéficier d’une réparation alors même qu’il n’avait pas respecté les stipulations de la clause … seul le montant des dommages-intérêts alloués pouvait varier selon que le salarié avait respecté la clause ou non.
… à la nécessaire démonstration de l’existence d’un préjudice pour prétendre à indemnisation
Toutefois et par cette décision du 25 mai 2016, dont on ne peut que se satisfaire, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence et met fin à la réparation de principe. Pour les juges du droit, prétendre à une indemnisation pour le salarié invoquant une clause de non-concurrence nulle suppose que celui-ci fasse la démonstration du préjudice subi.
L’attendu de la décision de la Chambre Sociale de la Cour de cassation est dénué d’ambiguïté :
« L’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relève du pouvoir souverain des juges du fond. Il ne peut être reproché à une cour d’appel ayant constaté que le salarié n’avait subi aucun préjudice résultant de l’illicéité et de l’annulation de la clause de non-concurrence contenue dans son contrat de travail de l’avoir débouté de sa demande d’indemnisation. »
La position de la Chambre Sociale de la Cour de cassation ne peut qu’emporter l’adhésion. Il était effectivement difficile d’admettre qu’un salarié entré au service d’une société concurrente de son employeur, libéré de tout engagement du fait de la nullité d’une clause de non-concurrence, puisse malgré tout bénéficier d’une réparation au motif de l’existence d’un préjudice de principe …
A cet égard, c’est précisément dans ce contexte que s’est inscrite la décision du 25 mai 2016.
Au cas d’espèce, le salarié était lié par une clause de non-concurrence nulle. Il tentait de ce fait d’invoquer à son profit la réparation du préjudice de principe subi. A tort selon les juges du fond non contredits par la Cour de cassation : ces derniers ont en effet considéré que le salarié ne rapportait pas la preuve de son préjudice puisqu’il était entré au service d’une société concurrente de son ancien employeur, et exerçait donc désormais une activité prohibée par la clause discutée, seulement quelques jours après la cessation de son contrat de travail.
De cette décision, deux enseignements généraux peuvent être tirés : l’existence d’une clause de non-concurrence nulle n’emporte pas de réparation de principe et il appartient aux juges du fond d’apprécier tant l’existence que l’évaluation du préjudice subi.
Accessoirement et sur un plan plus pratique, on peut penser que le salarié tenu d’une clause de non-concurrence nulle qui entre au service d’une société concurrente de son ancien employeur peu de temps après le terme de son contrat de travail ne pourra justifier d’un préjudice et, partant, ne sera éligible à aucune indemnisation.
Une décision qui s’inscrit dans le cadre d’un courant de jurisprudence plus général
La décision du 25 mai 2016, dont on ne peut que se réjouir, ne surprend pas complètement. Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une décision rendue un mois plus tôt où la Cour de cassation a pu considérer que les juges du fond, saisis d’une demande de réparation, doivent toujours établir la réalité du préjudice subi par la victime et l’évaluer.
En effet, dans une décision du 13 avril 2016, un salarié demandait que son ancien employeur, qui lui avait remis tardivement des bulletins de salaire et son certificat de travail, soit condamné au versement de dommages-intérêts. A l’appui de son argumentaire, le salarié soutenait que le comportement de l’employeur lui avait nécessairement causé un préjudice.
Or pour les juges du droit, l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir d’appréciation des juges du fond. Qu’en conséquence, la demande d’un salarié en condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de la remise tardive d’un certificat de travail et de bulletins de paie doit être rejetée si le demandeur n’apporte aucun élément de nature à justifier le préjudice allégué.
Ce principe avait déjà été repris dans une décision du 17 mai 2016 rendue à propos d’un salarié demandant l’allocation de dommages-intérêts pour défaut d’information sur la convention collective applicable dans l’entreprise.
Ainsi, avec la décision du 25 mai 2016, la Cour de cassation s’inscrit dans le prolongement des décisions des 13 avril et 17 mai dernier et applique donc à la clause de non-concurrence nulle un principe déjà jugé tant en chambre mixte qu’en assemblée plénière lesquelles subordonnent l’indemnisation du préjudice à la démonstration de l’existence de ce dernier ; l’admission de l’existence d’un préjudice nécessaire sans démonstration de la part du demandeur demeurant désormais du domaine de l’exception.
Auteur
Vincent Delage, avocat associé en droit social.
Réparation en cas de clause de non-concurrence nulle : le salarié doit faire la démonstration du préjudice qu’il a subi Les Echos Business le 13 juillet 2016A lire également
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