Représentants du personnel : la délicate conciliation du mandat et de l’activité professionnelle
6 janvier 2015
Concilier l’exercice d’un mandat de représentant du personnel avec l’activité professionnelle peut s’avérer complexe pour l’employeur.
Dans un arrêt du 3 novembre 2014 (n° 369038), le Conseil d’Etat a considéré qu’un salarié disposant d’un mandat de délégué syndical ne pouvait s’abriter derrière ce dernier pour s’exonérer de toute activité pour le compte de son employeur.
Cette décision, dont la solution apparaît pleine de bon sens, fournit l’occasion de faire le point sur l’articulation entre le temps passé par les représentants du personnel aux fonctions représentatives qu’ils exercent dans l’entreprise (mandats électifs et/ou désignatifs) et celui consacré à l’exercice de leur activité professionnelle, thème dont l’appréhension demeure en réalité délicate tant pour le salarié, que pour l’employeur.
En effet, l’analyse de la jurisprudence est révélatrice d’un certain paradoxe ou, à tout le moins, d’une certaine complexité dans l’appréciation et la gestion de la charge de travail des représentants du personnel.
La nécessaire prise en compte du mandat dans la détermination de la charge de travail
Il n’est pas contestable que la charge de travail des salariés détenteurs de mandats doit nécessairement être réduite à hauteur de leur participation à la vie collective, en prenant notamment en compte les heures de délégation dont ils bénéficient pour l’exercice de leur(s) mandat(s), ainsi que le temps passé aux réunions convoquées par l’employeur.
Non seulement l’employeur ne peut exiger du salarié titulaire d’un mandat qu’il fournisse la même quantité de travail qu’auparavant, mais il ne peut pas non plus, en application du principe de non-discrimination, en tirer une quelconque conséquence défavorable en termes de rémunération ou d’appréciation des performances du salarié. Il doit au contraire «neutraliser» le temps passé par le salarié à l’exécution de ses mandats.
La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi considéré dans un arrêt du 6 juillet 2010 (N°09-41.354) que l’employeur s’était rendu coupable de discrimination à l’encontre d’une salariée, conseiller commercial, occupant «plusieurs mandats électifs et syndicaux pour une partie significative de son temps de travail», s’agissant de l’attribution d’une prime variable subordonnée à la réalisation d’un certain nombre d’entretiens commerciaux auprès d’une clientèle déterminée.
Selon la Haute juridiction, pour justifier la baisse de la rémunération variable subie par la salariée, l’employeur était tenu de justifier «d’une part, que la clientèle confiée à la salariée avait été adaptée en fonction des seules heures consacrées à l’exécution de ses obligations contractuelles et, d’autre part, que le montant de cette prime était identique à celui prévu au profit des autres salariés et était soumis à des abattements eux-mêmes proportionnés au temps de travail de production de la salariée».
En ce qui concerne les résultats professionnels des salariés titulaires d’un mandat, l’employeur doit également, en toute logique, les apprécier à hauteur du temps qu’il a pu y consacrer.
L’article R. 2421-7 du Code du travail fait d’ailleurs obligation à l’Inspecteur du travail de vérifier si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat – la jurisprudence précisant «avec son exécution normale».
En application de cette règle, l’Administration rappelle ainsi, en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé, qu’il doit «être tenu compte du temps effectivement nécessaire à l’exercice du ou des mandats» (Circulaire DGT 07/2012 du 30 juillet 2012).
Se pose alors la question des limites, en pratique, de l’ «écran» du mandat à l’accomplissement par le salarié de ses missions : en d’autres termes, le représentant du personnel peut-il invoquer son mandat pour ne pas accomplir les tâches confiées par l’employeur ?
Les heures de délégation ne justifient pas tout
Dans l’arrêt précité du 3 novembre 2014, le Conseil d’Etat a répondu par la négative, jugeant que «si les absences reprochées à M.A…, qui l’avaient amené à manquer trois réunions internes de préparation, étaient justifiées par des heures de délégation», celui-ci avait commis une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement en s’abstenant de rédiger une note en vue d’une réunion capitale et en tardant à renseigner la base de données permettant d’assurer le suivi de son activité d’éducateur.
Il convient de souligner qu’en l’espèce, le juge administratif a pris le soin de relever, d’une part, l’absence de justification de l’inexécution par le salarié des tâches qui lui avaient été confiées et les multiples rappels de l’employeur restés sans effet, et, d’autre part, l’importance pour l’employeur des tâches confiées au salarié.
Cet arrêt confirme un arrêt plus ancien (CE 1er février 1989, n° 85577) dans lequel le Conseil d’Etat avait jugé justifié le licenciement d’un salarié cumulant plusieurs mandats, en raison d’un travail manifestement insuffisant pendant plusieurs mois et de la persistance du salarié dans cette voie, malgré des avertissements écrits et répétés de l’autorité hiérarchique.
Si l’employeur doit bien adapter la charge de travail des représentants du personnel, ce que le présent arrêt ne remet nullement en cause, cette obligation ne signifie pas pour autant que l’exercice de ces mandats peut dispenser leurs titulaires de toute activité et/ou de toute justification du temps qu’ils ont dû normalement consacrer à leur activité professionnelle.
L’employeur conserve donc un droit de contrôle et d’appréciation du travail fourni par les représentants du personnel. Pourtant, la jurisprudence judiciaire rend paradoxalement cette évaluation extrêmement périlleuse.
La délicate évaluation de l’activité des salariés protégés
Il est désormais constant que l’employeur ne peut pas, sauf application d’un accord collectif visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser, prendre en considération l’exercice d’activités syndicales dans l’évaluation professionnelle d’un salarié sans se rendre coupable de discrimination (not. Cass. Soc. 23 mars 2011, n°09-72.733).
Alors que l’employeur a l’obligation d’adapter la charge de travail des représentants du personnel de façon à la rendre compatible à l’accomplissement de leur(s) mandat(s), cette interdiction jurisprudentielle empêche toute formalisation d’un échange constructif sur la fixation d’objectifs appropriés.
Afin d’éviter cet écueil, il est donc recommandé aux entreprises de mettre en place de tels accords : le dialogue social demeure bien la solution.
Auteur
Raphaël Bordier, avocat associé, département droit social.
Aurore Friedlander, avocat, département droit social
Article paru dans les Echos Business le 5 décembre 2015
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