Réseaux privés de production et raccordement aux réseaux publics
3 janvier 2018
La société Volkswind France, qui développe un projet de construction d’un poste de transformation ayant vocation à être alimenté par des éoliennes appartenant à des producteurs tiers, a formulé une demande de raccordement de cet ouvrage au réseau public de transport. Le réseau public de transport d’électricité (RTE) a accepté cette demande, mais a réclamé à Volkswind le versement, en plus du coût du raccordement, d’une quote-part au schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) de Picardie, comme pour le raccordement de toute installation de production d’électricité d’origine renouvelable.
Contestant cette demande, Volkswind France a décidé de saisir le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du différend l’opposant à RTE (décision n°19-38-16 du 19 juillet 2017, Volkswind France c/ RTE).
Le CoRDIS a tout d’abord classiquement qualifié Volkswind d’« utilisateur » du réseau public de transport, dès lors recevable à le saisir d’un différend : dans le silence de la loi, il s’appuie avec constance sur la définition donnée par la directive 2009/72 du 13 juillet 2009.
Le CoRDiS a ensuite réglé le différend qui lui était soumis en deux temps.
A la lumière de l’article L.321-7 du Code de l’énergie, il a dans un premier temps constaté que le poste de transformation privé de Volkswind, qui ne constitue ni un poste d’un réseau public de transport ou de distribution, ni une liaison entre de tels postes, n’entrait pas dans le périmètre de mutualisation du S3REnR de Picardie et n’avait pas vocation à l’intégrer.
Or, les deux alinéas de l’article L.342-1 du même code, qui définissent le « raccordement » des « utilisateurs » aux réseaux publics, organisent une alternative : en principe, le raccordement comprend la création d’ouvrages d’extension et de branchement et, le cas échéant, le renforcement des réseaux existants, l’utilisateur payant alors le branchement et l’extension selon les termes du dernier alinéa de l’article L.342-12 ; par dérogation, lorsque le raccordement est destiné à desservir une installation de production à partir de sources d’énergie renouvelable et qu’il s’inscrit dans un S3REnR, le coût du raccordement comprend, outre celui des ouvrages propres à l’installation, une quote-part des ouvrages créés en application de ce schéma.
Dans un second temps, le CoRDiS a constaté que la demande présentée par Volkswind concernait un poste de transformation et non une installation de production, ajoutant que Volkswind n’est pas producteur d’électricité. Il en a déduit que cet utilisateur ne devait donc payer que le prix du raccordement de son poste.
La conséquence pratique de cette décision est que ni Volkswind, ni les producteurs qui seront indirectement raccordés au réseau public de transport par l’intermédiaire du poste de Volkswind ne seront redevables de la quote-part au S3REnR, à la différence des producteurs de la même région qui sont directement raccordés au réseau public de transport ou à un réseau de distribution publique.
Il faut ici rappeler que la quote-part, inhérente à la logique des S3REnR, mutualise entre les producteurs utilisant des sources d’énergie renouvelable les coûts de renforcement des réseaux publics générés par le raccordement de leurs ouvrages ; à défaut, ce sont tous les utilisateurs, et donc principalement les consommateurs français d’électricité, qui supportent ces coûts à travers le tarif. La solution donnée par le CoRDiS, que tous les gestionnaires de réseaux publics doivent généraliser en vertu du principe de non-discrimination, permet donc à des opérateurs privés d’exonérer de cette quote-part les producteurs qui se raccordent à leurs postes. La concurrence ainsi créée entre gestionnaires de réseaux publics et opérateurs privés de postes de transformation a pour premier effet d’entraîner une hausse du montant de la quote-part des producteurs d’électricité à partir d’énergie renouvelable directement raccordés aux réseaux publics. Mais, plus profondément, cette décision risque de remettre à terme en question la mutualisation du coût du renforcement des réseaux publics nécessaire au raccordement de ces nouvelles installations de production, qui sont par ailleurs financièrement soutenues par l’Etat dans le cadre de la transition énergétique.
C’est en réalité une question d’équilibres et donc de choix politiques, qui semble aujourd’hui traitée de manière peu cohérente par le législateur : la décision du CoRDiS le révèle.
Plus profondément encore, elle rejoint deux problématiques naissantes : le développement des réseaux fermés de distribution et l’encouragement à l’autoconsommation individuelle et collective, qui mettent directement en cause la solidarité nationale construite autour des réseaux électriques.
Par un document très riche, consacré aux enjeux associés au développement de l’autoconsommation, publié dans le cadre de la conférence du 12 septembre 2017 sur l’autoconsommation, la CRE vient de souligner que l’autoconsommation peut contribuer à éviter ou à reporter dans le temps des investissements sur les réseaux publics, mais également qu’à long terme, elle pourrait fragiliser la péréquation sociale et territoriale mise en place depuis la Libération autour des réseaux publics d’acheminement de l’électricité.
Le temps semble ainsi venu de mener une réflexion d’ensemble, et de mettre en cohérence ces divers aspects de la politique de l’énergie, à l’échelle nationale aussi bien que régionale et locale. Le but devrait être d’identifier un nouvel optimum collectif, permettant à des solidarités infranationales de se développer, mais en réduisant les coûts pour la collectivité et sans anéantir la solidarité nationale.
Auteurs
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
Marc Devedeix, juriste, droit de l’énergie
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